Les camps polonais

Une initiative, une responsabilité polonaise ?

Depuis maintenant de très nombreuses années, le terme « camps polonais » est régulièrement utilisé dans des articles ou prononcé par diverses personnalités lors de discours ou interventions, surtout dans la presse étrangère sous les dénominations Polish death camps (camps de la mort polonais), Polish concentration camp (camps de concentration polonais). Il m’est même arrivé de lire Polish gaz chambers (chambres à gaz polonaises) dans certains articles.

Selon ces dénominations, pour qui ne possède pas une connaissance précise de la mise en place de la solution finale de la question juive durant la dernière guerre mondiale, il en découle une implication directe ou active des polonais et de l’Etat polonais et une responsabilité directe de collaboration dans la mise en place de l’holocauste sur le sol polonais, que ce soit à travers l’établissement de camps (il y a eu des centaines de camps en Pologne, les principaux camps dont beaucoup ont entendu parler, et une multitude de sous-camps rattachés aux premiers) ou la participation active dans l’administration ou la surveillance des camps de concentration et d’extermination.
A la lecture de très nombreuses réactions que l’on peut observer sur des sites ou des blogs de grands quotidiens lorsqu’un article parait sur ce sujet, il n’est pas anecdotique de lire des réactions qui vont dans ce sens, c’est en fait une conviction très largement répandue et partagée. Dans un article paru dans un grand quotidien français à propos de la mise en ligne par le Musée d’Auschwitz d’une première liste de SS ayant été impliqué directement dans les activités du camp, un lecteur réagissait avec conviction : « … Rien de surprenant qu’aucun polonais n’apparaîtra dans la liste des S.S et de gardiens de camps. C’est de la pure propagande et non de l’histoire … »
En 2012, le président américain Obama employait lors de la remise à titre posthume de la médaille Présidentielle de la Liberté (Presidential medal of freedom) à Jan Karski, le terme de camp de la mort polonais (polish death camp) dans son allocution, ce qui entraînât une vive réaction des autorités polonaises et fut à l’origine de commentaires assez variés dans la presse où la question qui était posée mettait en balance l’historicité de l’événement holocauste et des camps mis en place par les nazis face à une tentative de ré-écriture de l’histoire par les polonais et le gouvernement conservateur polonais alors en place; cette dernière argumentation digressant vers des événements de l’époque comme l’antisémitisme en Pologne et la participation active de polonais dans la dénonciation, la chasse ou le meurtre de juifs.

Origine du terme Polish death camps

En 2016, le site web Times of Israel titrait dans un article « Est-ce que les mots « camps de la mort polonais » diffament la Pologne, et si c’est le cas, qui est à blâmer ? Cette utilisation d’un titre quelque peu ambiguë laisse forcément planer de sérieux doutes quant à la responsabilité directe des polonais sur le sujet des camps. Cet article nous rappelle que Jan Karski lui-même utilisa maladroitement ce terme dans ses compte-rendus établis durant la guerre à destination des alliés concernant l’extermination des juifs, sans pour autant penser à une quelconque responsabilité des polonais dans la mise en place des camps sur le territoire polonais. Mais plus intéressant, l’article remonte à l’origine de cette dénomination des camps polonais en décrivant qu’une officine de renseignements appelée Dienststelle 114, dépendant dès les années 1960 de l’agence de l’Allemagne de l’ouest de renseignements Bundesnachrichtendienst œuvra dans l’ombre, dans le cadre de la guerre froide. L’une de ses actions fut d’effacer la responsabilité de l’Allemagne et de criminels de guerre durant la seconde guerre mondiale. Cette ligne qui fut tenue durant une vingtaine d’années en République Fédérale Allemande (RFA).
L’agence Generalvertretung L, dénommée à l’origine Dienststelle 114 puis Dienststelle 142, était une unité de renseignements de l’Organisation Gehlen créée par le service de renseignements américain en 1946 en zone d’occupation américaine puis du service de renseignements fédéral Bundesnachrichtendienst créé en 1956 et basée à Karlsruhe. Generalvertretung L – GV L, était un nom de code créé par son chef Alfred Bezinger, et son objet était le contre-espionnage contre les agents soviétiques. Entre 250 et 500 personnes travaillaient pour cette agence entre 1948 et 1951. Fondé par Gehlen Hermann Baun, la section du contre-espionnage était pilotée par un personnage peu apprécié de ses collaborateurs, Alfred Bezinger, un ancien membre de la police secrète de la Wehrmacht (Geheimen Feldpolizei) durant la guerre. Parmi ses membres se trouvaient de nombreux anciens membres de la SS et du SD (Sicherheitsdienst des Reichsführers SS), le service de renseignements de la SS dont le chef en 1941 n’était autre que Reinhard Heydrich. Parmi les agents travaillant pour ce bureau avaient été recrutés Walter Kurreck, un ancien membre de l’Einsatzgruppe D et Konrad Fiebig, responsable de l’assassinat de 11 000 juifs en Biélorussie.
C’est en 1956 que Alfred Benzinger engagea une campagne visant à écarter de nombreux criminels de guerre d’éventuelles condamnations et poursuites et que le terme de «Camps de concentration polonais» fut lancé et employé dans les médias afin de soustraire la responsabilité des génocides de masse des allemands vers les polonais.
Ce n’est que dès les années 1960 que l’agence commença à se séparer de ses membres anciens nazis devenus encombrants.
Repris durant des décennies dans les médias du monde entier, cette reformulation s’instilla dans les mentalités des lecteurs jusqu’à devenir aujourd’hui une évidence et un fait historique pour beaucoup.
Au début des années 2000, les autorités polonaises décidèrent de s’attaquer à cette dénomination.

Selon Adam Daniel Rotfeld, ministre polonais des affaires étrangères en 2005 du gouvernement Kwaśniewski, lui-même survivant de l’holocauste, cette expression énoncée de manière intentionnelle ou pas, tend à « faire supporter la responsabilité dans la mise en place, l’organisation et les opérations dans les camps des allemands vers le peuple polonais ». L’utilisation de ces termes qui décrivent explicitement un pays, la Pologne (Poland) ou une nation, polonaise (Polish), a été remis en question sous l’action conjointe des gouvernements polonais et israélien, de même que des organisations de l’étranger polonaises ou juives comme l’American Jewish Committee qui dès 2006 a soutenu la proposition polonaise auprès de l’Unesco de renommer le camp d’Auschwitz comme Ancien camp de concentration de l’Allemagne nazie d’Auschwitz-Birkenau (Former Nazi German Concentration Camp Auschwitz-Birkenau). D’autres voix se sont élevées comme celle de Shewach Weiss, ancien ambassadeur d’Israël en Pologne, lui-même survivant de l’holocauste et sauvé par des polonais et des ukrainiens et qui dénonce cette dénomination en « soulignant que les camps de la mort et de concentration en Pologne sont à 100% nazis et que le nazisme est né à Munich et à Berlin ».
Quelques-uns m’ont déjà reproché de procéder à certaines comparaisons entre la Pologne et la France à propos d’événements de la seconde guerre mondiale. Il est tout à fait vrai que si ces deux pays ont été occupés par les allemands, l’administration et la répression exercées par les forces d’occupation étaient assez éloignées entre l’est et l’ouest. Ceci dit, pour des lecteurs qui possèdent des connaissances de base succinctes des événements de la seconde guerre mondiale, ces comparaisons ciblées permettent d’aider à comprendre et évaluer des différences notoires de certains événements, ici en l’occurrence pour ce qui concerne les camps.
En France, le gouvernement collaborationniste de Vichy a procédé à la mise en place de camps de transit et d’internement à travers le pays avec pour objectif de rassembler certaines populations (essentiellement juives) en vue de leur déportation vers l’est. Ces camps ont été effectivement établis, surveillés et administrés par les autorités françaises. L’implication de français et du gouvernement français, dans l’établissement de ces camps ne portent pas à polémique puisque cela a été officiellement reconnu.
Concernant le camp de Struthof, le seul camp de concentration a avoir été établi sur le sol français en avril-mai 1941, sa création et son administration ont été prises en charge directement par les nazis. Mais il faut rappeler qu’à cette époque, l’Alsace avait été annexée au IIIème Reich. On parle donc de ce camp comme camp de concentration nazi en Alsace annexée, comme cela est précisé sur le site internet du musée du camp.
Alors qu’en est-il pour les camps situés en Pologne ?

Situation de la Pologne durant l’occupation allemande

Lors de l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, déclenchée le 1er septembre 1939, nombre de villes furent bombardées, la capitale n’y échappa pas, elle fut détruite à 15% et elle capitula le 28 septembre. Cependant, il n’y eut jamais d’armistice signée entre les gouvernements polonais et nazi. Il n’y eut donc jamais d’accord de collaboration entre l’Etat polonais et l’Allemagne nazie, à l’instar de la France et d’autres pays d’Europe de l’est. En effet, le gouvernement partit en exil en France au déclenchement de la guerre, jusqu’en juin 1940, puis il s’installa à Londres jusqu’à la fin de la guerre, dirigé par le général Władysław Sikorski jusqu’à sa mort accidentelle en juillet 1943 puis par Stanisław Mikołajczyk. Il en fut de même lorsque l’URSS, alors alliée à l’Allemagne nazie envahit à son tour la Pologne orientale le 17 septembre 1939. La Pologne fut partagée en trois territoires distincts par ses envahisseurs.
Rappelons que la Pologne d’avant guerre était située géographiquement plus à l’est, elle englobait alors une partie de la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine occidentale (Galicie), de fait, la structure de sa population était très hétérogène, avec un habitant sur trois issus des minorités lituanienne, biélorusse, russe, ukrainienne, allemande. Seuls deux tiers des habitants de la Pologne de l’entre-deux guerres (~68%) étaient ethniquement polonais. La minorité allemande était assez forte dans sa partie occidentale (Basse-Silésie, Grande Pologne) et nord (Poméranie et Prusse orientale).
La partie occidentale fut annexée au Reich, la partie orientale à l’URSS. La partie centrale (de Varsovie au nord à Cracovie au sud) fut érigée en un Gouvernement Général et administrée par les nazis. C’est sur ce territoire que furent établis presque tous les camps de concentration et d’extermination. La Pologne avait cessé d’exister en tant qu’Etat et cette période doit être vue historiquement comme une période d’occupation, puisque la Pologne a été effectivement un pays occupé, au même titre que la France.

La Pologne et les forces alliées

La Pologne participa avec les alliés à nombre de combats sur de nombreux fronts, notamment lors de la bataille d’Angleterre avec les aviateurs polonais qui s’illustrèrent en combattant au sein de la RAF où 8 escadrilles d’aviateurs polonais furent formées. 27 unités de la marine polonaise combattirent ainsi que l’armée de terre avec l’armée du général Anders qui s’illustra en Norvège, en Afrique, pendant la campagne d’Italie, notamment à Monte Cassino et durant la bataille de Normandie.

Polonais dans l’armée allemande

Le corps des Waffen SS a rassemblé un nombre important de nationalités. Des petites unités, des brigades ou des divisions ont été mises en place par les nazis et étaient composées de norvégiens, de suédois, de danois, de hollandais, de belges flamands et Wallons, d’estoniens, de lettons, de lituaniens, de hongrois, de roumains, de français, de suisses, d’espagnols, de britanniques (165), d’ukrainiens, de croates et bosniaques musulmans, de russes, de cosaques, de biélorusses, d’albanais, d’italiens, d’indiens, il y eu même une unité SS composée de 80 nationalistes bretons (Bezen Perrot).
Plus de 200 000 polonais ont servi dans la Wehrmacht et une petite quantité dans la 30ème division de grenadiers Waffen SS. Cette dernière division SS était composée de biélorusses, de russes et d’ukrainiens et était estimée à plus de 11 000 combattants. Cependant, l’immense majorité des polonais enrôlés dans l’armée allemande était constituée de Volksdeutsche, c’est à dire de gens issus des minorités allemandes vivant en Pologne avant la guerre dont bon nombre s’étaient déjà organisés en milices paramilitaires (Volksdeutscher Selbstschutz) rangées au côté de l’occupant dès le déclenchement de la guerre. Ils s’illustrèrent notamment entre septembre 1939 et le printemps 1940 par l’exécution de plus de 60 000 membres de l’intelligentsia polonaise, au côté des Einzatsgruppen.
En fait, le chiffre de conscrits enrôlés dans l’armée allemande, Wehrmacht , oscille entre 200 000 et 500 000 suivant les sources. Cette conscription a été rendue possible dès que les territoires de la Pologne occidentale ont été intégrés au Reich allemand et ses habitants soumis aux lois et obligations alors en vigueur. Il est à noter que la plupart des polonais enrôlés, essentiellement dans les territoires à fortes communautés allemandes, ne l’ont pas été de leur plein gré, et tous ont dû se plier au devoir militaire de la même manière que les citoyens allemands. Cet embrigadement s’effectuait en signant la Volksliste et un refus mettait la personne en grande difficulté pour sa sécurité.
La grosse majorité de ces enrôlés était des silésiens (régions actuelles de Haute-Silésie – Katowice, et Basse-Silésie – Wrocław, ancienne Breslau), les autres originaires de Poméranie, de Prusse orientale et des régions actuelles occidentales de la Pologne. Beaucoup de polonais de l’armée allemande ont par la suite rejoint l’armée du général Władysław Anders une fois qu’elle a été constituée en 1943. Certains de ces polonais enrôlés ont combattu dans l’Afrika Korps. Il y en a aussi qui se sont retrouvés embrigadés dans l’armée rouge.
Mais il faut garder à l’esprit que la structure de la société polonaise d’avant guerre était constituée seulement au 2/3 de polonais ethniques. Donc les chiffres restent difficiles à cerner pour ce qui concerne la structure et l’origine ethnique de ces soldats.
En tout état de cause, aucune unité SS constituée de polonais n’a été créée, ce qui reste une singularité qui mérite d’être soulignée quand on regarde les différentes nationalités engagées dans ce corps. En effet, en 1943, les hauts dignitaires de la SS ont refusé de créer des unités polonaises car ces soldats auraient dû être traité d’égal à égal avec les soldats allemands, et surtout l’idée que les polonais n’étaient pas prêt à se battre pour les allemands, 4 ans après le début de la guerre et les importantes défections de soldats d’origine polonaise dans la Wehrmacht.
On ne connait pas le chiffre exact de polonais ethniques qui auraient intégré la 30ème division de grenadiers Waffen SS. Il n’existe plus d’archives des enrôlements, mais une fourchette entre 100 et 300 individus est avancée par des historiens, comprenant des volksdeutsche et ethniques, mais on ignore dans quelle proportion, toujours est-il qu’elle reste extrêmement faible au regard du nombre de combattants concernés enrôlés.
Par contre, la 30ème division de grenadiers Waffen SS a été créée en août 1944 et a été envoyée en opération dans le sud-ouest de la France puis en Alsace et en Allemagne vers la fin de la guerre. De fait elle n’a jamais été impliquée dans le système concentrationnaire ou répressif envers les juifs qui était dévolu à d’autres unités SS spécialement dédiées à cette tâche dans les ghettos et dans les camps. Faut-il rappeler qu’en août 1944, à la création de la division, c’est à dire un mois après les dernières grandes déportations vers Auschwitz des juifs hongrois, environ 95% des juifs morts durant l’holocauste avaient déjà disparu.

Point sur la terminologie des camps polonais

A la question « les polonais ont-ils participé à la mise en place des camps, ou à leur administration ou à leur surveillance ? », la réponse est non.
La désignation de camps de la mort polonais (polish death camps) est-elle adaptée pour désigner les camps situés en Pologne ? La réponse est non, puisque aucun polonais n’a été impliqué dans l’administration, la surveillance des camps de concentration ou d’extermination. On doit parler de camps de concentration et d’extermination de l’Allemagne nazie installés en Pologne occupée.
J’étendrai le questionnement au delà, suite à des remarques complètement définitives que j’ai pu lire sur certains groupes dédiés à la Shoah sur Facebook:
Les polonais ont-ils mis en place les ghettos en Pologne ? La réponse est non. Les ghettos ont été établis en Pologne et dans les autres pays d’Europe de l’est par les allemands. Généralement, les ghettos étaient établis dans les quartiers à forte proportion juive, cependant, dans nombre de villes, comme à Cracovie, le ghetto fut établi dans le quartier de Podgórze situé au sud du quartier juif sur l’autre rive de la Vistule, de fait tous ses habitants durent quitter les lieux pour laisser place aux juifs qui résidaient en centre-ville et dans le quartier de Kazimierz. A Varsovie, le ghetto fut établi en partie dans les quartiers juifs mais où nombre de polonais qui y vivaient durent quitter leurs lieux d’habitation avant que le ghetto ne soit bouclé.
Les polonais ont-ils gardé les ghettos ? La réponse est oui pour certains grands ghettos comme ceux de Varsovie ou de Łódź. En effet, la police polonaise a été réquisitionnée pour procéder à la surveillance des portes de ces grands ghettos, cependant la garde effective relevait de soldats et policiers allemands assistés de policiers juifs dépendant des Judenrat (conseils juifs) eux-mêmes sous la coupe de l’occupant allemand.
Les camps de concentration en Pologne étaient gardés par des unités SS, de même que les camps d’extermination, centres de mise à mort selon la terminologie de Raoul Hilberg. Cependant, ces derniers camps étaient administrés par de petites unités allemandes et la surveillance était dévolue à des unités de supplétifs essentiellement ukrainiens recrutés chez des déserteurs de l’Armée Rouge ou des nationalistes. Ces gardiens suivaient un entrainement spécial dans le camp de Trawniki dans la région de Lublin.
Ces réponses resteront difficilement acceptables pour certains qui liront ici, mais on ne peut pas aller à l’encontre des faits historiques aujourd’hui reconnus par les historiens et les principales institutions qui œuvrent à la mémoire de l’holocauste. La création des camps et des ghettos en Pologne relève de la seule responsabilité de l’Allemagne nazie. Il est à noter que le premier convoi historique pour le camp d’Auschwitz partit de la gare de Tarnów (est de Cracovie) le 14 juin 1940 avec à son bord 728 prisonniers polonais dont 708 non juifs et 20 juifs

Un autre aspect qui devrait faire l’objet d’un article futur concerne des polonais et groupes de polonais plus ou moins organisés qui ont été directement impliqués dans la dénonciation, la chasse et le meurtre de juifs. Les chiffres concernant le nombre de juifs directement tués par des polonais divergent sensiblement et sont très difficilement quantifiables du fait de l’hétérogénéité de la population dont je parlais plus haut et de la complexité du sujet. Ce thème est devenu très polémique depuis que l’universitaire polono-américain Jan T. Gross a affirmé que les polonais avaient tué plus de juifs que d’allemands durant la guerre. Plus généralement, les chiffres estimés ces dernières années par plusieurs historiens, avancent une évaluation qui se base sur une proportion d’environ 10% de juifs qui se seraient échappés des ghettos et des trains en partance pour les camps, 160 000 environ, et le nombre de survivants à la fin de la guerre évalué entre 30 000 et 60 000 juifs pour la fourchette haute et qui auraient survécus cachés en Pologne soit par eux-mêmes, soit cachés par des polonais. Ce qui induit de fait un nombre très important de juifs morts durant cette période, soit par dénonciations, soit par meurtres perpétrés par des polonais ethniques, des allemands durant les rafles et « chasses » menées dans les campagnes et les forêts, conjointement ou pas avec des polonais ethniques ou issus d’autres minorités, chasses également menées sans les allemands. C’est par exemple le cas du dénommé Adolf Hübner, un polonais volksdeutsche de la commune de Książ Wielki au nord de Cracovie qui rechercha et tua 116 juifs qui, durant les déportations de l’été 1942, s’étaient enfuit et cachés dans les forêts avoisinantes.
Le seul camp de concentration qui n’a pas été établi et administré par les nazis est celui de Jasenovac qui a été créé par le régime des Oustachis en Croatie.

Le camp de concentration de Gross Rosen
Entrée du camp de concentration de Gross Rosen (cliquer pour agrandir) – © www.shabbat-goy.com

Les tués, les sauvés

Scène de la vie dans une campagne polonaise

Oleksin (Commune de Brańsk). Région de Podlachie (Podlaskie), nord-est

Oleksin - Région de Podlachie , Pologne - Photo Google Maps
Oleksin – Région de Podlachie , Pologne – Photo Google Maps

Le garde forestier Janinas Wycech et son assistant Kosiak ont découvert dans la forêt un abri où se cachaient un avocat de Brańsk dont on ne connait pas le nom et son épouse enceinte. Ils ont abattu l’avocat mais manquaient de munitions pour sa femme. Ils ont donc envoyé « Wacław Kwiatkowski chercher des cartouches à la maison du garde et celui-ci en a rapporté deux ». Ensuite, « Kosiak a rechargé le fusil et a tiré sur la juive, qui était assise à quinze, vingt mètres de distance. Il l’a manquée. Janusz [Janinas] Wycech s’est alors emparé du fusil et lui a tiré dessus à son tour. Lui aussi a raté son coup. Peut-être parce qu’ils étaient ivres tous les deux. N’ayant de nouveau plus de munitions, ils ont chargé la femme sur une charrette ». Ils l’ont emmenée à un endroit où un trou venait d’être creusé. Un témoin raconte: « Quand nous avons embarqué la femme dans la carriole, Kosiak a dit qu’elle avait peut-être quelque chose et s’est mis à la fouiller après lui avoir arraché sa jupe. Elle était toujours vivante, car elle a bougé le bras et ne s’est pas laissé faire quand il lui tirait la jupe. Mais elle n’a rien dit ». Quand on l’a débarquée de la charrette, « elle a encore essayé de s’agripper de la main à un rancher, et elle y a laissé une trace de main tout entière ensanglantée. On l’a ainsi jetée encore vivante dans le trou… Au fond du trou, pendant qu’on rebouchait, elle essuyait d’une main le sable qui lui tombait sur le visage »

L’enquête a été ouverte en 1947 à partir de témoignages de juifs survivants. Mais il a fallu longtemps pour localiser Wycech, qui n’a été retrouvé qu’en 1965. A son procès le 8 juillet 1967, il a été condamné à 6 ans de prison; sa peine a été réduite à cinq ans et six mois après révision le 1er juin 1967 *, et il a finalement été remis en liberté conditionnelle en 1970. Les citations proviennent de dépositions de témoins et de l’acte de mise en accusation. Kosiak n’a jamais été traduit en justice : il a vraisemblablement été tué par des partisans juifs. Dans le récit de Mojżesz Jęczmień, on peut lire en effet: « le garde champêtre de Flanawa, Kaszak, grand tueur de juifs et bandit, a été exécuté. Avant d’être mis à mort, il a restitué sous la torture des biens juifs et une grande quantité d’or. Il a été exécuté par le partisan juif Szmuel Klajnat ».

Source « On ne veut rien vous prendre… seulement la vie ». Barbara Engelking.

* inversion de date ?

Oleksin – Maria Filińska honorée en 2001 du titre de Juste parmi les Nations pour avoir nourri et caché des juifs (Alperin, Halperin, Zeev, Zef Broide, Józef Broide, Ichak, Icko)

La répression en Pologne occupée

Entre dénonciation de son voisin et sauvetage des juifs

Les 6 et 7 décembre 1942, suite à une dénonciation les informant que les familles Skoczylas et Kosiorów cachaient des juifs, les allemands se rendirent à Rekówka et à Stary Ciepielów, 2 hameaux de la commune de Ciepielów située à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Radom, pour arrêter les polonais et les juifs qu’ils aidaient.
Dans une ferme du premier hameau, ils découvrirent dans la cuisine, une trappe qui permettait d’accéder à une cache, mais celle-ci était vide. Ils questionnèrent les membres présents des familles Skoczylas et Kosiorów qui partageaient la même ferme mais n’obtinrent aucune réponse. Ils les exécutèrent, soit 14 membres de la famille Kosiorów et le couple Skoczylas. Les allemands les enfermèrent dans la grange située derrière la ferme et l’incendièrent. 2 garçons réussirent à s’échapper mais ils furent abattus dans leur fuite. Dans le second hameau, ils exécutèrent 6 membres de la famille Obuchowicz et 6 membres de la famille Obuchów. Ce jour là, 33 polonais furent tués dans le secteur de Ciepielów.

En 2014, apprenant cette histoire, Jonny Daniels, le fondateur de l’organisation From the Depths, qui oeuvre notamment pour la récupération et le retour des pierres tombales vers les cimetières juifs, stèles que l’on retrouve un peu partout à travers le pays; se rendit à Rekówka et ouvrit cette trappe qui avait été condamnée depuis la guerre. La cache était restée intacte depuis cette période.

Jonny Daniels
Jonny Daniels accède à l’ancienne cache des juifs (Cliquer pour agrandir) © Elan Kawesch

Durant ce tragique événement, toute la famille Kosiorów fut tuée dans la grange. Aujourd’hui, un descendant des enfants de la famille Skoczylas habite cette ferme. C’est lui qui a indiqué à Jonny Daniels, l’endroit où une dizaine de juifs se cachaient, dans le sous-bassement de la cuisine, et d’où ils s’étaient absentés avant l’arrivée des allemands pour aller chercher de la nourriture en forêt. On ne sait ce qu’il advint d’eux. Mr Skoczylas fit part de son désir un jour d’entrer en contact avec des descendants de ces juifs autrefois cachés là, s’il y en avait.
Il ajouta que «sa famille avait aidé des juifs, mais n’attendait rien en retour. Ils ne pensaient pas au danger que cela impliquait et les conséquences».

Andrzej Skoczylas, le petit-fils de Piotr Skoczylas tué par les allemands
Andrzej Skoczylas, le petit-fils de Piotr Skoczylas tué par les allemands © www.zyciezazycie.pl

Sur ce plan-là,je suis plus réservé, car les polonais savaient parfaitement ce qui les attendait si on découvrait qu’ils cachaient des juifs, c’était la mort. En Pologne, durant la guerre, porter assistance à des juifs de quelque manière que ce soit, cacher des juifs était puni de mort et la sanction était immédiatement appliquée par l’occupant. De fait de très nombreux polonais et leur famille ont été exécutés. Mais dans les campagnes polonaises où les allemands n’avaient pas une connaissance précise de l’environnement, c’est pratiquement dans tous les cas suite à des dénonciations que des juifs furent ainsi découverts, arrêtés et exécutés, et avec eux, les polonais qui les protégeaient.

On évalue à 10% le nombre de juifs qui s’échappèrent des ghettos, et une faible partie, des trains en partance pour les camps ou de camps; sur le territoire du Gouvernement Général, hors district de Białystok et de Galicie. On avance le chiffre de 160 000 juifs qui se réfugièrent dans des abris, des caches, des forêts, chez l’habitant, dans les campagnes. Le nombre de survivants est évalué entre 30 000 et 60 000 personnes au grand maximum (source Krzysztof Persak). Ce qui signifie que des dizaines de milliers de juifs ont péri suite à des dénonciations, mais pas seulement. Énormément sont également morts suite à des meurtres perpétrés volontairement par des paysans pour des raisons diverses, notamment l’appât du gain, des biens juifs sous forme d’extorsion, de vols, l’obtention d’une récompense de la part de l’occupant (du sucre souvent, denrée rare durant la guerre), suite à des battues organisées soit par l’occupant, soit avec le concours des locaux. Beaucoup de juifs vivaient dans les forêts et se déplaçaient constamment, s’abritaient dans des granges et diverses caches. La plupart faisaient du trocs, revendaient ce qu’il leur restait pour acheter de la nourriture, faisaient des petits travaux quand ils possédaient des papiers (faux), mais généralement ils changeaient très souvent d’endroits. Le danger était partout, permanent, aussi bien du côté allemand que polonais. Les histoires de dénonciations, d’arrestations, de chasses et de meurtres perpétrés par des polonais sont terribles. Et la répression exercée par les allemands sur les polonais l’était également. Aussi, beaucoup de paysans aidaient malgré tout des juifs en fonction de leur situation, souvent pauvre et miséreuse durant cette époque. Mais peu les accueillait chez eux car la peur des risques encourus pour soi et sa famille, d’une dénonciation, ne serait-ce que d’avoir été vu avec un juif, était telle que ceux qui cachaient effectivement des juifs arrivaient jusqu’à une certaine mesure à surmonter cette terreur.
L’un des plus tragiques épisodes durant la guerre en Pologne à propos du sauvetage de juifs concerne le massacre de la famille Ulma en mars 1944 durant lequel le couple, Józef et Wiktoria (alors enceinte de presque neuf mois), et les 6 enfants en bas âge furent exécutés pour avoir caché chez eux 7 juifs qui également furent exécutés. La terreur fut telle dans le village de Markowa où s’était passé le drame et dans les environs, que l’on retrouva le lendemain les corps d’une vingtaine de juifs dans les champs avoisinants, juifs qui pourtant vivaient cachés depuis plus d’un an chez des locaux. La peur engendrée par la répression exercée sur la famille Ulma et celle de la dénonciation éventuelle par des juifs qui seraient interrogés par les allemands s’ils venaient à être pris, fit que des polonais en arrivèrent au point où ils tuèrent les juifs qu’ils avaient aidé, pour protéger leur famille.

Les polonais qui ont péri en cachant des juifs sont morts suite à des dénonciations, essentiellement de la part de leurs voisins. Aussi porter assistance à des juifs durant la guerre avait pris une dimension tout à fait extraordinaire et demandait en dehors du courage et du sang froid dont il fallait faire preuve, une prise de responsabilité extrême qui impliquait directement tous les membres présents sous le toit, les juifs et les membres de sa famille.
Aussi faut-il comprendre que cette prise de décision avait un tout autre sens en Pologne occupée.

Aide et répression en Pologne occupée
Aide et répression en Pologne occupée (Cliquer pour agrandir) – Carte www.zyciezazycie.pl
Cartes ci-dessus: les repères concernent essentiellement des personnes et leur famille qui ont été honorées du titre de Juste parmi les Nations par Yad Vashem. Source Życie za życie – En mémoire des polonais qui ont risqué leur vie en sauvant des juifs. www.zyciezazycie.pl

D’après un article paru dans The Wall Street Journal et complété par d’autres sources.

Shoahland, ou quand il est question de polonophobie

Il faut toujours préciser avec justesse le fond de sa pensée

Mon article, en lien ci-après, Shoahland, quelques remarques sur des inexactitudes et des préjugés, a donné lieu à certains commentaires sur FB, ce dont je me réjouis. Dans l’une de mes réponses, j’ai parlé de polonophobie, ce qui a suscité, je le comprends, la perplexité d’une intervenante.
J’ai rédigé une réponse qui illustre précisément ce que j’entends par l’emploi de ce terme, dans le contexte de l’article initial de Oriane paru sur le site Rootsisrael.com.
En voici le contenu afin que ma pensée reste aussi claire que précise pour le lecteur:
Dans mon article en réaction à celui de Oriane, je ne remets nullement en cause la détestation que des juifs peuvent éprouver à l’encontre des polonais. Je les encourage même à vomir sur des comportements exécrables qui se sont déroulés durant la guerre ou après, et j’irai même leur tenir la bassine, pour parler plus trivialement. C’est vous dire si je suis conscient des nombreux événements qui sont intervenus ici, comme beaucoup de polonais du reste.
Il a fallu du temps, et il en faudra encore, car l’histoire d’après-guerre dans les pays de l’est et la lecture de l’histoire ont été quelque peu interféré par la longue séquence communiste qui a pratiquement modelé nombre de perceptions et compréhensions dans ces populations slaves, et ce, durant 2 générations.

Donc, quand je parle de polonophobie et quand on lit entièrement mon article, on comprend parfaitement l’objet de mes récriminations.
La présentation qu’elle renvoie de son voyage en Pologne a, entre autres, de montrer au monde, de montrer aux juifs, que les polonais d’aujourd’hui (pas des) sont restés aux mieux des gens profondément méprisables au motif qu’ils bafouent la mémoire de la Shoah, au motif qu’ils n’ont que faire de la tragédie des juifs de leur pays, au motif qu’ils continuent à entretenir et opposer un martyr polonais (de la manière dont il était présenté durant le communisme) en voulant occulter le poids de leurs responsabilités passées, au motif qu’ils ignorent ou cherchent à cacher cette présence juive éradiquée.
Pour ce faire elle utilise un artifice fallacieux et malhonnête. Elle assène, parmi ses réactions profondément humaines et émouvantes, une suite de contre-vérités voire de mensonges que je démonte point par point dans mon article, et pas forcément de gaieté de cœur car certainement sa famille, des proches, ont été touchés par la tragédie, mais l’une de ses démarches (l’autre réside dans l’émotion que je partage absolument) dans son compte-rendu est de jeter l’anathème sur une génération de polonais qui œuvrent aujourd’hui, et ce, depuis des années déjà, dans un travail de prise de conscience et d’entretien de la mémoire, d’où cette difficulté pour moi à écrire cet article.

Cette manière de mettre à l’index les polonais d’aujourd’hui, pour des événements dont ils ne sont nullement responsables, d’autant plus au regard de l’important travail déjà réalisé dans la connaissance et l’éducation, même si beaucoup restent encore réticents ou hostiles, pour moi cela s’appelle de la polonophobie, ou tout autre synonyme.

J’ajoute que Oriane appelle à la fin de son article « les juifs et les non-juifs à aller en Pologne ». J’ignore si cet appel concerne aussi à rencontrer les polonais dont je parle, je pense qu’au mieux, elle doit les ignorer. C’est bien dommage parce que eux aussi l’aideraient à «comprendre notre présent, et nous battre pour un avenir meilleur».
Mais bon, si mon article en amène certains à dépasser leurs idées préconçues, à réfléchir et à ouvrir des livres, cela me suffira.

Shoahland, quelques remarques sur des inexactitudes et des préjugés

J’ai été à Shoahland… la mémoire bafouée

Tel est le titre d’un article dernièrement consulté sur le réseau. Il n’est pas dans mon habitude de répondre directement à un article, mais lorsque certaines perceptions entrent frontalement en confrontation avec ce que j’ai pu voir et percevoir sur le terrain, je ne peux que réagir.
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Mémoire vs marteau, le combat inégal

Destruction d’un mémorial à Rajgród

Rajgród, nord-est de la Pologne, voïvodie de Podlachie.
Le mémorial à la mémoire des juifs de Rajgród a été sévèrement endommagé par des individus qui n’ont à ce jour pas été retrouvés par les services de police de Grajewo. La date exacte du dommage n’a pu être précisée.

Mémorial de Rajgród
Mémorial de Rajgród (Cliquer pour agrandir) – Photo Police de Grajewo

Ce monument se trouve sur le site de l’ancien cimetière juif, sur un terrain aujourd’hui sous l’autorité de l’administration des forêts et non des autorités de la ville de Rajgród. Son isolement a facilité sa dégradation qui a nécessité un certain outillage, un acte donc forcément prémédité de par la structure même du monument et perpétré très certainement à l’aide au moins d’une masse amenée sur place par des individus.
Une entreprise locale de construction a proposé bénévolement de procéder à la réparation du monument, toujours est-il que celle-ci ne pourra restituer dans son originalité la création car les sections formant l’étoile de David ont été réduites en pièces. Les autorités communales ont fait part de leur déception et l’administration des forêts a indiqué qu’elle procéderai à un renforcement des mesures de sécurité. Toujours est-il qu’il est bien difficile de surveiller des sites excentrés en pleine nature, comme souvent cela est le cas avec les cimetières juifs.
Le mémorial lors de son inauguration en septembre 2014
Le mémorial lors de son inauguration en septembre 2014 (Cliquer pour agrandir) – Photo Paweł Wądołowski
De nombreux monuments ont été érigés à travers la Pologne depuis des années afin de perpétuer le souvenir des communautés juives disparues durant l’holocauste. Parfois, ils rappellent dans certains lieux des événements tragiques où l’histoire locale se confond ou prend part avec la tragédie des juifs. Ces actes qui tendent à vouloir effacer de l’histoire locale, à éradiquer la présence juive disparue, témoignent de l’importance de l’enseignement et de l’éducation auprès des nouvelles générations et du public.
J’entends d’ici les protestations véhémentes, à juste titre, de mes compatriotes et d’autres, aussi je leur rappellerai les 200 tombes juives fracassées du cimetière juif alsacien de Sarre-Union, acte intervenu durant une période avoisinante à la destruction décrite dans ces lignes pour ne parler que de cet événement.

79 ans après la fin de la guerre, le monument avait été inauguré le 18 septembre 2014 et érigé en bordure de l’ancien cimetière juif aujourd’hui disparu; il avait été l’objet d’un long travail concernant sa conception et son financement.
Karen Kaplan, la fille de Awrum Szteinsaper, un juif né à Rajgród et qui avait survécu à la guerre, après avoir perdu ses proches et s’être caché dans les bois, avait eu l’initiative de ce projet avec Avi Tzur et Risa Dunni. C’est après sa visite à Rajgród en 2011 qu’elle avait décidé de s’investir dans la réhabilitation du cimetière juif avec l’édification d’un mémorial.
Le monument avait été réalisé par le sculpteur israélien Chen Winkler, en Israël, et avait été transporté par bateau jusqu’à Gdańsk puis dirigé par camion jusqu’au site. L’opération avait été encadrée et menée par la fondation pour la préservation de l’héritage juif en Pologne (Foundation for the Preservation of Jewish Heritage in Poland – FODZ). Les fonds récoltés pour le financement du mémorial provenaient principalement des descendants de la communauté juive de Rajgród.

Le monument par sa forme rappelle celle des tombes juives. L’étoile de David symbolisée ici par son absence et barrée par une séparation verticale dépeint la rupture de la vie, de la longue présence de la communauté juive qui vivait ici, à la manière des cassures symbolisées par les arbres coupés ou les chandelles de shabbat brisées que l’on retrouve gravés sur les stèles juives.

Le cimetière juif et les synagogues de Rajgród avant la guerre
Le cimetière juif et les synagogues de Rajgród avant la guerre (Cliquer pour agrandir) Carte igrek.amzp.pl

Les premiers juifs se sont établis à Rajgród durant la seconde moitié du XVIème siècle. Au milieu du XIXème siècle, c’était alors un véritable shtetl avec 86% de juifs. Après la première guerre mondiale, la population déclina jusqu’à 745 juifs. Durant la guerre, un ghetto fut établi en 1941. Une centaine de juifs furent tués durant la période du ghetto. Il fut liquidé en 1942 et les juifs déportés vers la ville voisine de Grajewo, de là vers le camp de travail de Bogusz puis vers le camp d’extermination de Treblinka.

Sources : Virtual Shtetl, Samuel Gruber’s Jewish Art & Monuments.

Antisémitisme ou vandalisme ?

L’inspecteur mène l’enquête !

Voici 2 photos d’un même endroit, qui ont été prises dans le cimetière juif de Wieliczka, une ville située au sud de Cracovie, mondialement célèbre pour ses mines de sel multicentenaires.
La première a été prise au début des années 1980 par le photographe Chuck Fischman, elle représente Jerzy Kiszler qui, avec son père, avaient fait ériger un mémorial sur le site de la fosse commune où périrent de très nombreux juifs et certainement des membres de sa famille puisqu’on arrive à lire 2 Kiszler sur le monument.

Cimetière juif de Wieliczka
Cimetière juif de Wieliczka (Cliquer pour agrandir) – © Chuck Fishman

La seconde photo a été prise par mes soins, sous la pluie, lors de ma visite du cimetière en 2011. Une trentaine d’années séparent ces 2 photographies.
Mémorial du cimetière juif de Wieliczka
Mémorial du cimetière juif de Wieliczka (Cliquer pour agrandir) – © www.shabbat-goy.com

La première chose que l’on constate est que le mémorial a été détérioré, le travail du temps ne suffit pas à expliquer les dommages.
A la vue de ces photos, à peu près tout le monde conviendra qu’il s’agit là d’un acte délibéré de profanation du mémorial, d’un acte antisémite. Quoi de plus normal en Pologne diront certains. C’est du reste ce que j’ai pensé dès que je suis arrivé sur le site.
Pourtant, je vais vous faire la démonstration du contraire.
Quand on y regarde de plus près, on constate que le monument n’a pas été touché. On peut l’affirmer en regardant d’autres photos présentées sur le site (lien plus bas) qui confirme qu’il n’y a eu aucune dégradation sur le mémorial sinon celles des éléments.
Effectivement, quand on y regarde de plus près, on constate que les piliers de la clôture ont été démolis. Pourquoi seulement les piliers me direz-vous ? Hé bien tout simplement pour récupérer les barres métalliques horizontales qui s’y trouvaient.
Ah bon !? et pour faire quoi ?
Hé bien pour les revendre chez le ferrailleur du coin et en tirer peut être 100 złoty (~24 euros) pour acheter quelques canettes de bière ou 2 bouteilles de wódka.
Ceci est effectivement un acte de vandalisme certainement perpétré par les poivrots du coin qui comme les autres dans le reste du pays récupèrent toutes les ferrailles possibles pour les revendre, de fait ils n’hésitent pas détériorer pour dérober. Ici le cimetière étant isolé, dans un bois sur les hauteurs de Wieliczka, la tache a du être relativement facile à mener, malheureusement.

Découvrir la superbe collection de photographies de Chuck Fishman intitulée: « Les juifs polonais: La vie sous le communisme 1975-1983 »
Le cimetière juif de Wieliczka sur Shabbat Goy.