Durant ses visites dans les villes de Pologne, Wojciech Wilczyk en a profité pour saisir sur pellicule les tags et inscriptions antisémites visibles sur de nombreux murs qu’il présente dans le cadre de cette exposition. Si certaines inscriptions sont carrément antisémites, beaucoup d’autres illustrent les invectives et injures proférées entre certains supporters de clubs de football envers l’équipe adverse, « juif » étant devenu l’injure et la caricature ultime pour attaquer l’adversaire, notamment auprès de hooligans de Łódź, de Cracovie ou de Varsovie. Il s’agit là d’un phénomène pas nouveau, apparu depuis la chute du communisme, et déjà présent chez certains supporters d’autres équipes de championnats européens comme cela est arrivé aux Pays-Bas, en Angleterre, en Italie.
Exposition Wojciech Wilczyk au musée de l’Histoire des Juifs polonais
Dans le cadre de l’exposition Poland – Israel – Germany: The Experience of Auschwitz, présentée actuellement au Musée d’Art Contemporain de Cracovie, une installation vidéo qui met en scène des gens nus dans une chambre à gaz jouant au chat et à la souris sème la controverse (c’est le moins qu’on puisse dire). Le centre Wiesenthal a émis une protestation officielle auprès du ministre des affaires étrangères polonais pour dénoncer une banalisation de l’holocauste (tu m’étonnes). Artur Żmijewski, « Berek », courtesy of the Foksal Gallery Foundation
L’ambassade d’Israël en Pologne, qui est également partenaire de cette exposition (??), a également demandé à ce que l’installation soit retirée. Déjà présentée précédemment dans d’autres lieux, elle avait fait l’objet des mêmes protestations et demandes de retrait.
Je vois d’ici les défenseurs de la liberté d’expression et de création vent debout contre la réaction. Bon, vous aurez compris que c’est pas mon truc.
Mais alors pas du tout.
La création… le machin avec des images est une idée de Artur Żmijewski. Ne connaissant pas l’animal, je ne jugerai donc pas le reste de son travail qui je l’espère est un peu plus créatif (le mot est lâché).
L’exposition présente également les œuvres d’autres créateurs polonais, israéliens et allemands.
Nota: la chambre à gaz est factice pour en rassurer certains. Faut pas charrier non plus.
Aleksander Gierymski (1850 Varsovie – 1901 Rome) Les sablonniers (titre original Piaskarze 1887) Musée National de Varsovie Cette superbe et saisissante oeuvre réalisée par Aleksander Gierymski présente une équipe de sablonniers au travail sur la rive gauche de la Vistule à Varsovie, à hauteur du pont Kierbedzia (le premier pont métallique enjambant la Vistule construit à Varsovie et détruit lors de l’insurrection de 1944) qui reliait le centre du quartier de Praga à la vieille ville. Les sablonniers (Cliquer pour agrandir) – Aleksander Gierymski – Photo prise à Varsovie par Shabbat Goy
Au premier plan, un ouvrier en plein songe, cigarette à la bouche, les yeux perdus dans les eaux de la Vistule, au second plan trois autres de ses compères installés dans les embarcations voisines l’ont remarqué et le fixent du regard. Sur la droite, une embarcation attend son tour pour décharger.
En haut du quai en réfection, des gens observent les sablonniers qui déchargent leur cargaison. Parmi eux, à l’extrême gauche, un juif en habit traditionnel appuyé sur une canne regarde également les ouvriers au travail.
L’attique en haut d’un petit bâtiment visible au centre en arrière plan est l’auberge Kurtz édifiée vers 1825-1830 au bas de l’actuelle rue Mariensztat. L’autre bâtiment sur la gauche semble situé du côté d’un secteur autrefois appelé Kasztelanka.
Comme chez d’autres peintres de cette seconde période du XIXème siècle, les juifs sont présents soit comme personnages principaux à l’image d’une autre oeuvre de Gierymski avec la femme juive aux oranges ou comme personnages de second plan à l’image d’autres tableaux comme celui de l’arrivée de la diligence postale, une oeuvre réalisée par Alfred Wierusz-Kowalski dans laquelle plusieurs juifs sont représentés parmi les personnages de la scène à l’instar de leur visibilité dans le paysage et dans la société de l’époque.
Quand on visite le Musée National de Varsovie et sa galerie dédiée à la peinture du XIXème siècle, il est intéressant d’analyser et scruter des tableaux pour apercevoir sur certains d’entre-eux la présence juive de cette population alors en pleine expansion durant ce XIXème siècle.
Les sablonniers – Le juif (Cliquer pour agrandir) – Aleksander Gierymski
Les sablonniers – Détail (Cliquer pour agrandir) – Aleksander Gierymski
Deux années en arrière environ, j’ai acheté un livre d’occasion intitulé KL Auschwitz et qui avait été édité par l’Agence Nationale de l’Edition (Krajowa Agencja Wydawnicza) pour le compte du Musée d’Etat d’Auschwitz. Ce livre avait été édité en 1980 en 5 langues, en polonais, en anglais, en français, en allemand et en russe. Il présente sur plus de 230 pages une abondante collection photographique des camps d’Auschwitz, mais également quelques photographies de sous camps comme ceux de Trzebinia, Świętochłowice et Blechhammer.
Depuis, ce chiffre a été revu à la baisse et aujourd’hui les données avancées par le Musée Auschwitz-Birkenau et par la très grande majorité des historiens au vu des données aujourd’hui disponibles recense environ 1 100 000 victimes dont 1 million de juifs avec 438 000 juifs hongrois, 300 000 juifs polonais et 69 000 juifs français; entre 70 000 et 75 000 polonais, 21 000 tziganes, 14 000 prisonniers de guerre soviétiques et entre 10 et 15 000 victimes d’autres nationalités.
Si nombre d’historiens depuis longtemps s’accordaient à re-évaluer ce premier chiffre de 4 millions de victimes à Auschwitz, cette estimation fut utilisée pendant des décennies par les régimes communistes soviétiques et dans les pays satellites de l’URSS et notamment en Pologne pour re-écrire le récit historique national en minimisant l’extermination juive au profit des victimes polonaises et russes. Mais ce chiffre fut également repris dans le monde occidental, des décennies durant.
De fait, chez nombre de polonais de cette génération ayant connu la guerre, beaucoup pensent que Auschwitz est un lieu de martyr essentiellement polonais. Cette perception ayant été inculquée par des ré-évaluations historiques au cours des années communistes non seulement auprès de cette catégorie de population mais également auprès de la première génération née après la guerre, les quinquas d’aujourd’hui. Avec l’avènement de la démocratie, l’historiographie polonaise sur le thème de cette période a considérablement évolué et l’éducation a permis d’aborder les réalités historiques sous un autre angle. Cependant, depuis quelques années, il semblerait qu’une petite partie de la nouvelle génération porte un regard plus national et replié sur cette période de l’histoire pour plusieurs raisons, en réaction face à une perception intrusive de l’UE dans la vie politique, sociale, un repli nationaliste pour certains, l’accès instantané au discours révisionniste sur Internet, une perception de saturation de l’histoire de la Shoah au détriment d’autres conflits et génocides et la pollution du message sur fond de conflit israélo-palestinien certes à un moindre niveau qu’en France, un problème éducatif. Au final des éléments d’appréciation et d’évaluation que l’on retrouve aujourd’hui dans beaucoup de pays de l’UE. Ajouté à cette condamnation quasi génétique d’antisémitisme faite aux polonais dans leur ensemble et à cette nouvelle génération de jeunes polonais dont la réaction pour certains est le repli ou la radicalisation alors que d’autres s’investissent en profondeur comme nulle part ailleurs en Europe dans la découverte de l’histoire et du passé juif.
Cette évaluation initiale de 4 millions déjà remise en cause alimentait et continue d’alimenter parallèlement le discours négationniste. La réévaluation désormais officielle de 1,1 million de victimes est utilisée plus que jamais pour minimiser au mieux l’importance actuelle de ce chiffre en pointant les 3 millions de victimes « volatilisées » et donc forcément à déduire du nombre total de juifs disparus durant la Shoah. Et partant de là, avancer des chiffres qui minorent complètement la réalité du génocide si on s’appuie sur le recensement des communautés et populations juives d’avant guerre en Europe centrale, en Europe de l’est et du sud.
La liste ci-dessous présente la population juive dans la plupart des pays d’Europe centrale, de l’est et du sud en 1933 et en 1950
Pologne : 3 000 000 / 45 000
Tchécoslovaquie : 357 000 / 17 000
Allemagne : 565 000 / 37 000
Autriche : 250 000 / 18 000
Hongrie : 445 000 / 155 000
Roumanie : 980 000 / 280 000
Yougoslavie : 70 000 / 3 500
Bulgarie : 50 000 / 6 500
Grèce : 100 000 / 7 000
URSS : 2 525 000 / 2 000 000 Source : United States Holocaust Memorial Museum
74 années après la fin de la guerre, dans une Europe où l’antisémitisme resurgit et s’exhibe sous d’autres formes, le rappel de l’histoire et de la mémoire reste un travail quotidien. Curieusement, dans cette large Europe, la Pologne se singularise aujourd’hui avec sa quarantaine de festivals et manifestations sur le thème de la culture juive qui ont rythmé l’année 2014, l’ouverture de son grand Musée juif et la revitalisation de ses quelques communautés juives. Qui pourrait aujourd’hui imaginer un festival de la culture juive place de la République à Paris sans manifestations d’hostilité, voire émeutes ? Cependant, ces espaces de vie juive disséminés à l’est ne remplaceront jamais ces milliers de shtetl et communautés qui faisaient vibrer le yiddishland d’antan.
L’avenir ne peut pas s’envisager avec la relativisation, la banalisation, la minoration ou l’occultation du passé.
Prochaine inauguration de la grande exposition permanente du Musée de l’Histoire des Juifs Polonais à Varsovie
Musée de l’Histoire des Juifs Polonais – Inauguration de la grande exposition permanente
Cette exposition qui occupe plus de 4000 m² autour de 8 galeries retrace 1000 ans de présence juive en Pologne, depuis leur arrivée jusqu’à la chute du communisme. L’inauguration démarre le 28 octobre 2014 et s’étale sur 3 jours. Cliquer ici pour découvrir le programme
A la découverte de l’histoire de la synagogue de Gwoździec
Bien qu’elle avait été érigée dans une localité située aujourd’hui en Ukraine, dans l’actuelle région de Podolie, la synagogue de la communauté juive de Gwoździec se trouvait dans la partie sud orientale de l’Union polono-lituanienne qui réunissait le Royaume de Pologne et le Grand Duché de Lituanie.
Le projet de création d’un musée juif a été initié dès 1996 par l’Institut Historique Juif de Varsovie. C’est en 2005 qu’un partenariat public/privé a été établi entre l’association de l’Institut Historique Juif à l’origine du projet et le Ministère de la Culture associé à la ville de Varsovie afin de financer la construction du musée.
La réalisation du Musée de l’Histoire des Juifs Polonais a été confiée au cabinet finlandais d’architectes Lahdelma & Mahlamäki. Le musée a ouvert ses portes au public en avril 2013, cependant, la grande exposition permanente qui occupera avec plus de 4000 m² le tiers de la superficie totale sera inaugurée le 28 octobre 2014. La réalisation de cette grande exposition unique qui présentera 1000 ans d’histoire de présence juive en Pologne a été confiée au professeur Barbara Kirshenblatt-Gimblett de l’université de New-York et à son équipe. Le site qui avait été retenu pour l’édification du musée est situé au cœur du quartier Muranów, l’ancien quartier juif de Varsovie, à une soixantaine de mètres du monument des héros du ghetto. Avant la guerre, un tronçon de la rue Zamenhof passait entre le musée et le monument. Jusqu’en 1965 s’élevait sur les nouvelles fondations du musée une ancienne caserne.
De la caserne au musée
Cette caserne (image plus bas) édifiée entre 1784 et 1792 abritait un régiment de l’artillerie de la Couronne et un corps des ingénieurs de la Couronne. Dès le début du XIXème siècle, durant la domination russe, le bâtiment abrita un régiment russe et une école d’officiers. Au milieu du XIXème siècle, la caserne fut transformée en prison militaire, fonction qu’elle occupa jusqu’en 1939. Pendant la seconde guerre mondiale le bâtiment fut intégré dans le grand ghetto. Avec la liquidation du petit ghetto, il abrita le Judenrat jusqu’au soulèvement du ghetto en avril 1943. L’ancienne caserne resta à l’état de ruines jusqu’en 1965, date de sa démolition.
En septembre 2006, une tente (Ohel) présentant une exposition a été élevée sur le futur site de construction. L’acte de fondation pour la création du musée a été réalisé en juin 2007 par le Président de la République Lech Kaczyński avec la pose de la première pierre. En 2009, dans le cadre du tournage du deuxième volet de son triptyque vidéo And Europe will be stunned, l’artiste israélienne Yael Bartana fit édifier le fameux kibboutz Muranów sous le regard curieux et perplexe du voisinage. La construction effective a démarré dans le courant 2009.