Des étangs à Umschlagplatz, une histoire singulière

Origine du lieu – rue Stawki

Dès le XVIème siècle, on recensait dans ce qui allait devenir la rue Stawki des moulins et une quinzaines d’étangs.
Les premières maisons d’habitations firent leur apparition vers 1770. C’est vers la fin du XVIIIème siècle que la rue fut officiellement ouverte. Elle prit naturellement le nom de rue des étangs, ulica Stawki (du polonais staw, étang). Dès 1834, Varsovie étant alors sous domination russe, on pouvait se rendre de la rue Okopowa à l’ouest vers la citadelle à l’est en passant par la rue Stawki.

Rue Stawki et place d'Armes vers 1824
Rue Stawki et place d’Armes vers 1824 (Cliquer pour agrandir)
Secteur de la place d'Armes et rue Stawki vers 1879
Secteur de la place d’Armes et rue Stawki vers 1879 (Cliquer pour agrandir)
Secteur de la gare de marchandises et rue Stawki vers 1936
Secteur de la gare de marchandises et rue Stawki vers 1936 (Cliquer pour agrandir)

La place d’Armes

Sur ce qui allait devenir Umschlagplatz un siècle plus tard, les russes aménagèrent un grand terrain entouré d’une palissade de bois et appelé place d’Armes (plac Broni). Ce terrain fut utilisé durant plus d’un demi siècle comme terrain d’exercices pour l’armée polonaise jusqu’à l’insurrection de novembre (1830) puis pour l’armée russe. Vers le milieu du XIXème siècle, le lieu commença à servir de stockage et de transport. La gare de la Vistule située à proximité accéléra la transformation de la place d’Armes en lieu de manutention et de stockage de marchandises avec l’installation de voies ferrées, la construction de rampes de chargement et d’entrepôts durant la dernière décennie du XIXème siècle. Ces installations furent édifiées sur la partie ouest de la place d’Armes. Du côté est de la place d’Armes, dans la rue Inflancka, on édifia un immeuble qui abrita le bureau des douanes (bâtiment toujours existant, aujourd’hui l’hôpital spécialisé « Inflancka »).
L’endroit était également devenu le lieu de batailles rangées entre des garçons des heder du quartier et des jeunes goys qui se caillassaient du côté de la place d’Armes. Quand les batailles prenaient quelque ampleur ou s’éternisaient, des cavaliers cosaques venaient remettre de l’ordre et les gamins s’éparpillaient. Durant cette période, le lieu était toujours appelé place d’Armes; on construisit de très nombreux immeubles dans la rue Stawki et les rues avoisinantes. On continua à appeler la nouvelle gare de marchandises la Place d’Armes, ainsi que le grand terrain situé à l’est et initialement intégré à la place d’Armes d’origine, utilisée par les militaires.
Vers la fin du XIXème siècle, le marché qui se trouvait dans la rue Wałowa fut déplacé vers la place d’Armes sur un terrain qui était inoccupé à proximité des voies ferrées et des entrepôts, le long de la rue Stawki, non loin de la maison des sans-abris. C’était un marché qui s’apparentait plus à un grand bazar organisé autour d’étals et d’échoppes en bois, où on vendait un peu de tout, mais surtout des vieilles choses récupérées et souvent jetées. Vers 1900 une halle marchande fut construite puis 2 bâtiments furent érigés. Les emplacements étaient loués, mais comme tout le monde ne pouvait s’en offrir un, on trouvait des camelots et des artisans qui négociaient leurs articles sans payer de redevances. On vendait surtout des vieilleries, des friperies, des ferrailles, même des affaires qui avaient été portées par des défunts parfois morts de maladies infectieuses, à tel point que des problèmes sanitaires apparurent. Bernard Singer rapporte que l’on pouvait entendre des airs sortis d’orgues de barbarie joués par des gens qui aussi pouvaient vendre là des ustensiles de cuisine volés dans les arrière-cours du quartier. Le marché était essentiellement animé et fréquenté par les juifs du quartier de Muranów. C’était un lieu de vente et d’échange où les voleurs étaient également nombreux.

Secteur de la place d’Armes et le marché des camelots vers 1896
Secteur de la place d’Armes et le marché des camelots vers 1896 (Cliquer pour agrandir)

La maison des sans-abris

A l’angle des rues Dzika (4) et Stawki (12), à l’extrémité sud-ouest de la place d’Armes, les frères Albertyn firent construire en 1895 une maison pour les sans-abris (voir plan ci-dessus, noté en vert) qui fut surnommée le Cirque (cyrk) durant l’entre-deux guerres parce qu’un jour, un des policiers polonais qui faisait là une inspection, demanda, certainement d’une manière ironique, si le lieu était une ménagerie ou un cirque. Pendant et après la première guerre mondiale, le bâtiment servit de refuge pour des rapatriés en provenance de Russie. Situé à l’époque au 64 de la rue Dzika, il fut rénové en 1924. Durant l’entre-deux guerres, un nombre très important de personnes venaient s’abriter dans ce lieu, ce qui générait souvent de gros problèmes d’hygiène. Vers le milieu des années 1930, nombre de voleurs, de criminels et autres personnes douteuses appartenant à des gangs se rendaient à la maison des sans-abris, ce qui entraîna nombre de descentes de police et d’arrestations. Il y avait aussi des problèmes d’alcoolisme parmi les pensionnaires. On ignore si le bâtiment existait encore du temps du ghetto. Toujours est-il qu’en 1945, comme on peut le voir sur une photo aérienne, un petit bâtiment en dur existait à la place de la maison des sans-abris. Il est possible que celle-ci fût détruite lorsque la place de transbordement fut transformée en lieu de déportation pendant la période 1942-1943.

Maison des sans-abris surnommée le cirque (Cyrk) - Angle des rues Stawki (12) à droite et Dzika (4) à gauche
Maison des sans-abris surnommée le cirque (Cyrk) – Angle des rues Stawki (12) à droite et Dzika (4) à gauche

La gare de Gdańsk

A l’origine, une gare appelée gare de la Vistule (Kolej Nadwiślańska) fut édifiée en 1877 à proximité de la place d’Armes (nord-est), elle se trouvait sur la nouvelle voie ferrée de la Vistule (Droga Żelazna Nadwiślańska) qui contournait Varsovie par le nord. Du début du XXème siècle jusqu’en 1915, la gare de la Vistule était également appelée gare Koweler (Dworzec Kowelski). Les russes détruisirent la gare de la Vistule durant leur départ en 1915. Dans les années 1932 à 1939, les polonais reconstruisirent une gare qu’ils nommèrent la gare de Gdańsk (Dworzec Gdański). Une bifurcation située non loin de cette gare menait dès la seconde moitié du XIXème siècle les trains de marchandises vers la future place de transbordement, la gare de marchandises.

L’hôpital orthodoxe

Hôpital orthodoxe
Hôpital orthodoxe (Cliquer pour agrandir)

A l’est de la place d’Armes, à l’angle des rues Inflacka et Pokorna, un hôpital (voir sur le plan en haut) fut installé dans un bâtiment qui fut édifié vers les années 1820 et qui fut remanié en 1835-1838 par l’achitecte Henryk Marconi (dont le fils Leandro Marconi édifia la grande synagogue de Varsovie en 1878) afin d’accueillir un plus grand nombre de patients de la communauté juive de Muranów.
A l’origine, un hôpital juif avait été créé un peu plus au nord en 1799 puis démoli durant la construction de la citadelle au début des années 1830. La nouvelle structure disposait alors de 400 lits répartis dans 5 départements; interne, chirurgie, ophtalmologie, psychiatrie et dermatologie. L’un des bienfaiteurs et philanthropes du nouvel hôpital était Józef Epstein. L’hôpital fut fermé en 1902 et transféré vers un autre quartier de Varsovie. Entre 1914 et 1916, le bâtiment abrita un hôpital de la Croix Rouge puis il fut occupé par les troupes allemandes et redevint un hôpital militaire polonais en 1918. Dès 1921, il servit d’hôpital de district, cependant son état était très dégradé à tel point qu’une partie de la toiture s’effondra en 1938. Le bâtiment fut détruit durant l’insurrection de 1944. Après la guerre, on installa l’hôpital du quartier dans l’immeuble où se trouvaient le service des douanes, à 200 mètres de là . Ce dernier bâtiment a été entièrement rénové et modernisé durant les années 2000, il abrite aujourd’hui un hôpital moderne et un centre des urgences (L’hôpital Inflancka dont il est question plus haut).

Travaux de modernisation

Durant l’entre-deux guerres, vers le début des années 1920 jusqu’en 1935, la municipalité modernisa les installations de la gare de marchandises, l’ancienne place d’Armes. La gare de fret comportait alors 5 entrepôts qui longeaient chacun une voix ferrée. L’ensemble des installations étant désigné Centre municipal d’approvisionnement de Varsovie (Dom Składowy Miejskich Zakładów Zaopatrywania Warszawy – M.Z.Z.W). C’était l’une des plus grandes installations de ce type à cette époque en Pologne. 170 000 tonnes de marchandises transitaient alors par les entrepôts. La gare de marchandises fut ensuite désignée communément place de transbordement (plac Przeładunkowy).
Dans les années 1930, 3 bâtiments furent construits devant la gare de marchandises. Au numéro 4/6 de la rue Stawki (actuel numéro 10) fut édifié vers les années 1935 un immeuble qui abrita 3 écoles primaires (N°112, 120 et 122). Se trouvaient également là des archives municipales, des bureaux de la municipalité, des bureaux d’expédition et de transport ainsi que des bureaux des douanes. L’immeuble voisin, le numéro 8 (également actuel numéro 10) de la rue Stawki fut construit en 1939. Il abritait une école qui devait ouvrir en septembre 1939. Le numéro 21 de la rue Stawki (actuel numéro 5/7), situé en face de la place de transbordement fut édifié entre 1936 et 1938. Il abritait 2 écoles publiques (N°153 et 175). Les 2 premiers bâtiments furent intégrés dans la future structure de déportation mise en place durant la guerre.

La place de transbordement (futur Umschlagplatz) en 1929
La place de transbordement (futur Umschlagplatz) en 1929

Umschlagplatz

La gare de marchandises que l’on appelait alors place de transbordement fut communément appelée par les gens du ghetto Umschlagiem. Les installations étaient dirigées depuis les bureaux de l’administration des transports appelés Transferstelle et qui étaient situés au coin des rues Dzika et Niska, et dont le rôle étaient le contrôle des entrées de marchandises officielles vers le ghetto; d’où l’origine de cette dénomination, Umschlagplatz.
Le lieu se trouvait alors à l’extrême nord du ghetto de Varsovie. Rappelons que dès novembre 1939, les allemands commencèrent à étudier la mise en place d’un ghetto à Varsovie. Ils procédèrent à l’installation de barbelés autour d’une partie du quartier juif afin de limiter les déplacements, celui-ci restant encore ouvert. En octobre 1940, le décret de l’établissement d’un quartier fermé à Varsovie dans lequel les juifs seront confinés fut affiché dans les rues de la capitale, avec la liste des rues qui en feront désormais partie, et dans la presse par le Gouverneur allemand de Varsovie Ludwig Fischer. Les polonais qui habitaient encore la zone furent tenus de déménager et les juifs de Varsovie et des environs durent s’y installer. A ce moment là, on pouvait y entrer librement mais on ne pouvait en sortir qu’à la condition de présenter une autorisation en règle au poste de garde présent à chaque porte du ghetto. Le ghetto fut définitivement bouclé le 15 novembre 1940. Il s’étendait sur une superficie de plus de 300 hectares et était ceint d’un mur de 16 kilomètres de long. Jusqu’aux premières déportations qui intervinrent en juillet 1942, plus de 90 000 juifs moururent de faim et de maladie. Le ghetto concentrait environ 350 000 juifs de Varsovie et de sa région, ce chiffre pouvant atteindre 450 000 personnes. En avril 1942, plus de 4000 juifs en provenance d’Allemagne furent dirigés vers le ghetto de Varsovie.
Les opérations de déportations des juifs du ghetto commencèrent le 22 juillet 1942, le premier convoi partit ce jour là, l’après-midi. 6250 juifs furent déportés durant cette première journée vers le camp d’extermination de Treblinka et 7300 autres juifs le lendemain, le 23 juillet. Ce jour-là, Adam Czerniaków, le président du Judenrat de Varsovie qui ne voulait pas se rendre complice des déportations exigées par les autorités allemandes, se suicida. Hermann Hoefle, représentant de l’autorité allemande, avait demandé au président du Judenrat de remplir un quota journalier de 6.000 personnes à transférer et devant être sélectionnées selon un libre choix laissé aux membres du Judenrat.

Ordre de déplacement transmis au Judenrat le 22 juillet 1942

Tous les juifs seront déplacés vers l’est quel que soit leur âge et le sexe
A l’exception:
— des juifs qui travaillent pour des institutions et entreprises allemandes,
— des juifs qui travaillent pour le Judenrat,
— des membres de l’hôpital juif,
— des membres du service d’ordre juif,
— des femmes et des enfants des personnels précédemment citées,
— des patients des hôpitaux juifs durant la première journée du transfert,
— chaque déplacé pourra emporter un bagage de 15 kg et tous ses objets de valeur, bijoux, argent, etc,
— des provisions pour trois jours pourront être emportées,
— le déplacement commencera le 22 juillet 1942 à 11 heures du matin,
— le Judenrat est responsable de l’envoi quotidien de 6000 personnes avant 4 heures de l’après-midi,
— le point de rassemblement sera l’hôpital juif de la rue Stawki qui devra être vidé afin de réceptionner les déplacés,
— le Judenrat doit procéder à l’annonce des ordres allemands.
Condamnations
— tout juif qui quittera le ghetto durant l’opération de déplacement sera abattu,
— tout juif qui agira contre l’opération de déplacement sera abattu,
— tout juif qui n’appartiendra pas aux catégories mentionnées plus haut et qui sera découvert après l’opération de déplacement sera abattu.

Les premiers déportés furent chosis parmi les prisonniers*, les mendiants, les sans-abris, les vieux.
* La prison du ghetto se trouvait rue Gęsia à l’emplacement de l’ancienne prison militaire.
L’opération était présentée comme un transfert de populations effectué dans des conditions acceptables, mais les membres du Judenrat savaient déjà quelle était la finalité de ces déportations. Quelques jours plus tard, des membres du mouvement socialiste sioniste Hashomer Hatzaïr rejoint par 4 autres mouvements fondèrent l’Organisation Juive de Combat (Żydowska Organizacja Bojowa – ŻOB).
Certains jours, il arrivait que près de 10 000 juifs soient déportés. La moyenne des déportations quotidiennes s’étalait entre 4000 et 5000 juifs. Le 29 juillet, les allemands posèrent des affiches dans le ghetto pour informer que ceux qui se présenteraient d’eux-mêmes à Umschlagplatz recevrait 3 kg de pain et 1 kg de confiture. Nombre de juifs affamés se rendirent à Umschlagplatz où on leur distribua du pain; ils furent envoyés vers Treblinka. Le 5 ou le 6 août 1942, Janusz Korczak accompagna, avec son personnel, les 200 enfants de son orphelinat qui se trouvait alors à la limite sud du petit ghetto, au numéro 16 de la rue Sienna. Lorsque Władysław Szpilman (le pianiste de Polański) croisa le cortège du côté de la rue Gęsia, les enfants chantaient en chœur et Korczak tenait dans ses bras le plus jeune enfant. Le cortège mis 4 heures pour traverser tout le ghetto et se rendre à Umschlagplatz.
Lors de leur arrivée à Umschlagplatz, les juifs pénétraient par la porte d’entrée située au poste de garde de la rue Dzika, qui était située vers l’intersection de cette rue avec la rue Stawki, à peu près où se trouve aujourd’hui le mémorial du mur du ghetto. Ils arrivaient généralement par la rue Zamenhof, depuis la partie sud du ghetto, encadrés par les soldats allemands. Une fois le poste de garde passé, ils tournaient sur la droite en revenant sur leurs pas vers la zone de confinement qui avait été établie dans la rue Stawki.

La zone de confinement située dans la rue Stawki
La zone de confinement située dans la rue Stawki – Vue actuelle (Cliquer pour agrandir)

En fonction des disponibilités des convois, ils étaient soit dirigés vers la zone de déportation où s’effectuait de temps en temps une sélection, soit ils restaient parqués dans la rue Stawki qui était délimitée au sud par le mur du ghetto et du côté est par une palissade en bois, le côté nord étant délimité par les bâtiments 4/6 et 8 de la rue dont les entrées étaient surveillées par des membres de la police juive.
Les déportés étaient entassés dans le convoi à raison de 100 à 150 personnes par wagon. Lorsque la place venait à manquer dans la zone de confinement ou lorsque la nuit tombait, les juifs étaient répartis parmi les pièces des 3 étages de l’immeuble de l’ancienne école. Ils s’installaient là dans des pièces où ils devaient se tenir et attendre de longues heures ou passer le nuit. Ils n’avaient aucun moyen de se désaltérer ou de se soulager, de fait, la puanteur et les excréments régnaient dans tout le bâtiment. Il y avait peu ou pas d’eau dans les bâtiments où étaient parqués les juifs et les toilettes étaient bouchées. Les soldats allemands circulaient dans les salles pour surveiller et extorquer les juifs. L’attente du départ pouvait durer entre quelques heures à quelques jours.

Les juifs quittent la zone de confinement encadrés par la police juive avec les brassards blancs
Les juifs quittent la zone de confinement encadrés par la police juive avec les brassards blancs (Cliquer pour agrandir)

Photo ci-dessus: 1943, les juifs qui étaient confinés dans la rue Stawki sont dirigés vers la zone de déportation pour embarquer dans un convoi. Ils sont encadrés par les membres de la police juive. Ils sont chargés de valises et de baluchons. D’après l’ombre, on est en fin d’après-midi.
Durant les périodes de déportations qui se sont étalées de mi-1942 à mi-1943, les activités de transports de marchandises à Umschlagplatz continuèrent. Les entrepôts et les quais étaient alors séparés de la zone de déportation par l’entrepôt situé le plus à l’ouest et dont les portes restaient fermées de ce côté afin qu’aucun déporté ne puisse s’échapper par la partie toujours dédiée au fret. Les déportés étaient dirigés vers la partie ouest de la place de transbordement où les wagons des trains étaient poussés vers un secteur qui ne possédait pas de quais. Un convoi était composé en général d’une soixantaine de wagons. Des soldats SS et des policiers allemands étaient chargé de la surveillance du convoi jusqu’à sa destination finale.

Embarquement de juifs dans la zone de déportation à Umschlagplatz
Embarquement de juifs dans la zone de déportation à Umschlagplatz (Cliquer pour agrandir) – Photo domaine public

Photo ci-dessus: au centre un officier et 2 membres de la police (Schutzpolizei) de part et d’autre. On distingue plusieurs membres de la police juive (~6) en tenue claire ou grisée qui aident les déportés à monter dans les wagons. Des plans inclinés semblent avoir été installés pour faciliter la montée puisque la zone de déportation ne possède pas de quais. La photo a été prise en regardant dans la direction sud-ouest, les juifs sont arrivés par la gauche. Le grand immeuble visible au fond longe la rue Zamenhof. Vu l’orientation de l’ombre de l’officier et des wagons, l’action doit se dérouler en milieu d’après-midi.
Ci-dessous, vue de Umschlagplatz et de Jurgen Stroop, le général SS qui dirigea la répression contre l’insurrection du ghetto de 1943.

Ci-dessous la partie ouest réservée à la déportation, la zone était plus grande au début des déportations.

Situation de la zone de déportation de Umschlagplatz (Cliquer pour agrandir)
Situation de la zone de déportation de Umschlagplatz (Cliquer pour agrandir)

Dès début août 1942, la résistance juive du ghetto eut connaissance de la destination finale des convois, Treblinka, grâce à l’envoi de l’un de leurs membres en reconnaissance et les témoignages de quelques juifs échappés du camp.
Entre le 19 et le 21 août, les déportations furent suspendues durant la liquidation des ghettos des villes situées autour de Varsovie (Otwock, Rembertów, Falenica et Minsk Mazowiecki). Une seconde pause intervint du 28 août et le 2 septembre en raison de la réorganisation du camp d’extermination de Treblinka et la construction d’un nouveau bâtiment abritant une chambre à gaz. Les déportations de masse furent interrompues avec le dernier convoi du 21 septembre 1942 et dans lequel se trouvaient 2200 juifs, qui emportait la plupart des policiers juifs et leur famille, dont l’effectif fut réduit à 380 membres. Environ 300 000 juifs du ghetto de Varsovie furent déportés essentiellement vers le camp d’extermination de Treblinka durant une période comprise entre le 22 juillet et le 21 septembre 1942 (plus de 250 000 selon les sources allemandes). Après un passage de Heinrich Himmler dans le ghetto le 9 janvier 1943, 40 000 juifs s’y trouvaient encore et ordre fut donné de reprendre les déportations et de nouveaux convois partirent de Umschlagplatz; entre le 18 et le 21 janvier 1943, 5000 juifs furent envoyés vers Treblinka. Durant l’insurrection du ghetto en avril-mai 1943, c’est entre 6000 et 7000 juifs qui furent envoyés vers Treblinka, et environ 36 000 qui furent déportés vers les camps de Majdanek, Poniatowa et Trawniki.
Durant les grandes aktions de l’été 1942, environ 10 300 juifs furent tués dans le ghetto et à Umschlagplatz. 11 580 passèrent la sélection qui était réalisée par moments à l’arrivée à Umschlagplatz et furent déportés vers le camp de transit de Durchgangslager (Dulag 121 – Musée de l’ancien camp) qui était situé à Pruszków, une ville située à l’ouest de Varsovie, et de là envoyés vers des camps de travail, et environ 8000 s’échappèrent du côté aryen.
Les premiers jours des déportations de juillet 1942, nombre de personnes qui ne pouvaient supporter le voyage vers Treblinka, comme les vieux et les personnes malades furent abattues par les allemands à Umschlagplatz. Beaucoup de juifs qui possédaient encore de l’argent soudoyèrent des gardiens, spécialement les supplétifs nazis lettons et ukrainiens, en échange de sommes d’argent pour pouvoir s’extraire de Umschlagplatz.
La police juive à l’intérieur du ghetto pris une part extrêmement active dans les rafles effectuées parmi les rues et les immeubles du ghetto, l’encadrement des colonnes de juifs vers Umschlagplatz et la surveillance des déportés dans l’enceinte de la zone de déportation. Si ces fonctions se limitaient à ses débuts à des opérations de maintien de l’ordre, la police juive acquit une très mauvaise réputation et était craint parfois même autant que les allemands par la population du ghetto. Durant les premières grandes déportations, Mieczysław Szmerling qui appartenait à la police juive en tant qu’officier, avait le commandement des membres de la police juive de la place de Umschlagplatz durant les opérations de déportation. C’était un ancien boxeur qui se révéla être un individu extrêmement violent et brutal envers les juifs et un parfait collaborateur des allemands. Il empêcha nombre de juifs de s’échapper lors d’opérations d’embarquement dans les wagons alors que des possibilités se présentaient à eux, souvent après les avoir extorqué. L’Oganisation Juive de Combat émis une condamnation à mort à son encontre, mais ne put la mettre à exécution en raisons des difficultés pour l’atteindre. Ce fut aussi le cas de Hermann Hoefle, avocat de formation, qui opéra comme commandant adjoint à la tête de la police juive durant une partie des déportations de juillet 1942. Il exerça une brutalité particulière à l’encontre des juifs; il fut tué en octobre 1942 par l’Organisation Juive de Combat.
Au côté des troupes SS, des soldats réguliers et de la police allemande qui participèrent à la déportation des juifs, on dénombra également des unités de combat constituées d’éléments enrôlés principalement parmi les mouvements nationalistes lettons, lituaniens et ukrainiens, ainsi que des déserteurs russes de l’armée rouge. Ces unités furent déployées à Varsovie lors des opérations de déportation et lors de la liquidation du ghetto, elles furent également un maillon principal dans la surveillance et les opérations dans les camps d’extermination. Beaucoup de ses membres, notamment ukrainiens, avaient suivi un entrainement au camp de Trawniki non loin de Lublin, qui faisait partie intégrante du camp de travail, qui dès 1943 passa sous l’administration du camp de concentration de Majdanek.
Lors de l’insurrection de Varsovie durant l’été 1944, des insurgés polonais attaquèrent la place de transbordement et s’emparèrent d’équipements et nourritures qui étaient stockés dans les entrepôts. Durant cette attaque du 1er août, menée contre des unités SS, un détachement de l’Armia Krajowa mené par le lieutenant Stanisław Sosabowski libérèrent 50 juifs qui étaient encore retenus prisonniers dans le bâtiment de l’ancienne école (photo ci-dessous).

Umschlagplatz à la fin de la guerre
Umschlagplatz à la fin de la guerre (cliquer pour agrandir) © Ghetto Fighter’s House archives

Photo ci-dessus: Etat du site de Umschlagplatz après la guerre. Au centre l’immeuble 8 de la rue Stawki, à droite l’immeuble 4/6. Au premier plan à hauteur de la femme, des gravas ou s’élevait le mur du ghetto. De l’autre côté de la rue, le mur qui séparait l’enceinte de confinement des juifs en attente d’un convoi et le lieu de déportation situé plus loin. En arrière plan et à gauche, des entrepôts de l’ancienne place de transbordement. Ces dernières installations n’étaient pas intégrées dans la zone de déportation qui elle se trouvait sur la gauche (non visible sur la photo). Lorsque les juifs n’étaient pas directement dirigés vers un train, ils étaient amenés au premier plan, sur cette section de la rue Stawki qui était délimitée par un mur en briques au premier plan (gravas), par une palissade en bois sur la droite à la jointure des bâtiments 8 et 4/6 et par le mur visible à gauche au second plan. Ils restaient assis là des heures durant, sous bonne escorte, dans l’attente d’un convoi. Lorsque celui-ci n’arrivait pas, ils étaient dirigés vers les bâtiments.

Zone de confinement de la rue Stawki à Umschlagplatz (Cliquer pour agrandir)
Zone de confinement de la rue Stawki à Umschlagplatz – Photo domaine public (Cliquer pour agrandir)

Photo ci-dessus: Juifs assis de part et d’autre de la zone de confinement de la rue Stawki, en attente de déportation. Sur la droite, le bâtiment qui abrite le quartier général de la SS de Umschlagplatz, sur la gauche les bâtiments servant également de zone de confinement pour les juifs.

Après la guerre

Le site de Umschlagplatz en 1945
Le site de Umschlagplatz en 1945 – Source Google Maps (Cliquer pour agrandir)

Les rails de l’ancienne place de transbordement furent retirés dès la fin de la guerre. Les entrepôts non détruits furent utilisés jusqu’au milieu des années 1970. Ils furent ensuite démoli et un nouveau quartier apparu là où se trouvait l’embranchement et les voies ferrées.

Les entrepôts durant les années 1970 - Source Ghetto Fighter's House
Les entrepôts durant les années 1970 – Source Ghetto Fighter’s House (Cliquer pour agrandir)

Cependant, 2 sections des entrepôts qui étaient situés du côté est subsistaient encore au milieu des années 1990 et encore une partie d’entre-eux en 2005. Ils furent démolis les années suivantes. Ces derniers vestiges des entrepôts ne faisaient pas partie de la zone de déportation de Umschlagplatz. D’ailleurs aucun bâtiment des entrepôts ni aucune rampe de manutention de marchandises ne furent utilisé durant les déportations.
Les déportés étaient dirigés vers une section de la place de transbordement située à l’ouest le long de la rue Dzika, ils devaient monter directement depuis le niveau du sol dans les wagons.
Aujourd’hui, il ne reste plus aucune trace de l’ancienne gare de marchandises, édifiée sur l’ancienne place d’Armes.

Secteur de l'ancienne place de transbordement en 1994 - En vert les derniers vestiges des entrepôts
Secteur de l’ancienne place de transbordement en 1994 – En vert les derniers vestiges des entrepôts

L’ancien immeuble situé au numéro 4/6 de la rue Stawki, aujourd’hui le numéro 10, abrite depuis 1958 le groupe scolaire du lycée d’économie n°1. En 2008, après 65 ans d’absence, Halina Birenbaum est retourné à Umschlagplatz où elle avait été envoyée avec sa famille après avoir été raflée dans le ghetto. Elle réussit avec sa mère et son frère à se cacher dans une bouche d’égout, puis à rejoindre le ghetto après avoir soudoyé un policier. Après l’insurrection du ghetto, elle fût de nouveau arrêtée et se retrouva vers Umschlagplatz, dans le bâtiment de l’école, et fut déportée vers Majdanek. Elle participa à une rencontre avec les élèves et les enseignants du groupe scolaire. Une plaque commémorative a été apposée sur la façade du bâtiment.
L’immeuble qui était initialement situé au numéro 8 (actuel numéro 10) abrite la Maison de la jeunesse et de la culture de Muranów. Ces 2 premiers bâtiments ont été inscrits au registre des monuments.
Le bâtiment 21, aujourd’hui numéro 5/7 abrite le département de psychologie de l’université de Varsovie. Durant la rénovation de l’immeuble dans les années 1970 lorsque le département de l’université s’y installa, on découvrit dans les sous-sols des inscriptions faites par des prisonniers durant la guerre. Une plaque commémorative qui rappelle le passé du lieu a été apposée sur la façade du bâtiment.

Mémorial

Inauguration du mémorial de Umschlagplatz en 1948 - Source Ghetto Fighter's House
Inauguration du mémorial de Umschlagplatz en 1948 – Source Ghetto Fighter’s House (Cliquer pour agrandir)

Une première plaque commémorative fut érigée en 1948 et rédigée en polonais, en yiddish et en hébreu.
En 1988, un nouveau mémorial fut inauguré sous la houlette de l’architecte Hanna Szmalenberg et du sculpteur Władzysław Klamerus.
Le monument offre plusieurs symboliques. Son architecture rectangulaire est censée rappeler la forme d’un wagon, avec son entrée du côté de la rue Stawki.
Cette entrée est surmontée d’une sculpture en demi-cercle qui rappelle les stèles funéraires juives traditionnelles. Sur cette stèle est représentée une forêt d’arbres abattus qui symbolise la mort du peuple juif de Varsovie; les arbres et les branches d’arbres coupés étant souvent représentés sur les pierres tombales juives des cimetières en Pologne pour symboliser la fin de la vie. La stèle a été réalisée à partir de syénite, une roche magmatique qui a été offerte par le gouvernement suédois. De l’autre côté du mémorial, le mur est surmonté de cette même forme des stèles funéraires, fendue verticalement en son centre où apparaît, derrière, un arbre qui a commencé à pousser après la guerre, l’ensemble symbolisant l’espoir. L’alignement de ces 2 symboles illustre le passage de la mort vers l’espérance et la vie. A l’intérieur, sur le mur, sont gravés, par ordre alphabétique, 400 prénoms les plus populaires dans la Pologne d’avant guerre et qui illustrent par leur diversité la longue coexistence des juifs et des polonais et l’intéraction de leurs culture et religion. Sur l’un des murs intérieurs est gravée une citation du livre de Job «Terre, mon sang est répandu, ne le recouvre pas, et qu’on entende toujours mon cri». Sur un autre mur est gravé «A travers ce chemin de souffrance et de mort durant les années 1942-1943, avec la création du ghetto de Varsovie ont été déportés vers les camps de la mort nazis près de 300 000 juifs».
Le mémorial a été restauré en 2007-2008, les dalles de marbre blanc qui avaient été installées à l’origine ont été remplacées par des dalles de granit gris mieux adaptées aux conditions climatiques du lieu. L’ensemble du mémorial mesure 6 mètres sur 20 mètres de long.

Mémorial de Umschlagplatz
Mémorial de Umschlagplatz – Le tramway est un modèle construit dans les années d’après guerre (Cliquer pour agrandir) © www.shabbat-goy.com

Ela Gołąb (Grinberg) avait 38 ans lorsqu’elle se retrouva à travailler au sein de l’hôpital qui se trouvait alors à Umschlagplatz. Durant les premiers jours des grandes déportations de juillet 1942, elle s’employa à sauver des enfants juifs. Elle cachait les plus petits sous sa grande cape et les plus âgés étaient revêtus de la tenue d’infirmière. Grâce à son action, plusieurs dizaines d’enfants purent être extraits de la zone d’Umschlagplatz et cachés dans des institutions religieuses, chez des particuliers et dans des orphelinats. Elle avait repris contact avec des membres de l’aide sociale de Varsovie avec qui auparavant elle avait travaillé, notamment Irena Sindler qui œuvrait au sein du département d’aide sociale et qui faisait partie du mouvement d’aide aux juifs Żegota (un mouvement d’aide aux juifs mis en place par la résistance polonaise qui a permis de sauver 100 000 juifs). Durant la période d’occupation, Irena Sendler permit le sauvetage de 2500 enfants du ghetto. Ela Gołąb fut raflée le 18 janvier 1943 et déportée vers le camp de Poniatowa où elle mourut.

Le mémorial de Umschlagplatz la nuit
Le mémorial de Umschlagplatz la nuit (Cliquer pour agrandir)

Le mur de Umschlagplatz

Depuis quelques années, des guides et autres sources présentent un ancien mur situé dans la cour qui se trouve derrière le bâtiment qui abrite aujourd’hui le groupe scolaire comme un mur d’origine du centre de déportation de Umschlagplatz. Il s’avère qu’un mur existait bien dans ce secteur durant la période des déportations afin de confiner les déportés dans l’immeuble et dans la cour. Cependant, ce mur actuellement visible et présenté comme mur du ghetto lors des visites du site n’existait pas à la fin de la guerre. En effet, il est facilement possible de voir son absence sur des photos aériennes de la zone qui ont été prises en 1945 et après la guerre. Ce mur que l’on avait commencé à démolir il y a 2 ans environ a été remonté. La zone de déportation proprement dite était située à la gauche du mémorial.

Le mur de Umschlagplatz
Le mur de Umschlagplatz (Cliquer pour agrandir)

Ci-dessous, vue du secteur du mur de Umschlagplatz en 1945 et en 2015 avec la superposition de ce mur.

■ Article réalisé à partir de diverses sources dont le fascicule rue Stawki du coffret Spojrzenia na warszawskie getto (regards sur le ghetto de Varsovie) de Jacek Leociak pour les éléments historiques antérieurs à la guerre.