Les combattants de l’insurrection de Varsovie

Avec le ghetto, l’autre marqueur de l’histoire de la ville

Donc le 1er août 1944, à Varsovie, c’était le déclenchement de l’insurrection.
Comme beaucoup l’ignorent, ce soulèvement de la résistance et de la population de la capitale intervint à peine plus d’un an après le soulèvement du ghetto qui se déroula en avril-mai 1943 et qui se solda par plus de 13 000 victimes et 57 000 déportations, et la destruction complète de ce qui restait encore de surface occupée du ghetto.
Effectivement cet épisode reste souvent ignoré ou confondu avec celui de l’insurrection du ghetto, à tel point que même au niveau de personnalités politiques, l’oubli ou l’erreur entre les deux événements est commise.
Cette initiative de déclenchement du soulèvement fut prise alors que l’Armée Rouge arrivait aux abords de Varsovie, mais fut repoussée par les troupes allemandes du général Model, à l’est de la capitale.
L’insurrection, appelée action tempête (burza), fut menée principalement par l’Armée de l’Intérieur (Armia Krajowa – AK), premier mouvement de résistance en Europe occupée par son nombre et qui était dirigé depuis Londres par le gouvernement polonais en exil, les Forces Armées Nationales (Narodowe Siły Zbrojne), deuxième mouvement par le nombre qui était également dirigé depuis Londres, l’Armée du Peuple (Armia Ludowa) une organisation communiste créée en janvier 1944 qui ne prêta pas allégeance au gouvernement en exil, des membres survivants de l’Organisation Juive de Combat (Żydowska Organizacja Bojowa – ŻOB), un mouvement de résistance créé à l’été 1942 dans le ghetto, le mouvement des Rangs Gris (Szare Szeregi) de l’association du scoutisme polonais, qui avait été créé dès le début de la guerre.
La décision de déclencher l’insurrection fut loin de faire l’unanimité de la part des militaires, notamment du commandant en chef de l’Armée Polonaise, le général Anders, conscient que les conditions étaient loin d’être réunies, face aux responsables politiques en exil qui étaient eux favorables.
L’insurrection se termina le 2 octobre 1944 avec la défaite des insurgés. Dans une ville déjà détruite à 25% depuis le début de la guerre, et encore détruite à 25% durant l’insurrection, le nombre de victimes s’éleva à 18 000 soldats tués, 25 000 blessés et environ 200 000 civils tués dont 50 000 en l’espace d’une semaine dans le quartier de Wola, au début de l’insurrection. Dans les mois qui suivirent la fin de l’insurrection, la ville fut vidée de ses habitants et détruite sur ordre de Hitler jusqu’au dynamitage du palais de Saxe en décembre 1944. La ville sera dévastée à 85%, tous les principaux monuments, églises et palais encore debout systématiquement détruits.

Monument de l'Insurrection de 1944 à Varsovie
Monument de l’Insurrection de 1944 à Varsovie (Cliquer pour agrandir)

Cet épisode de l’histoire de la capitale reste un marqueur profondément ancré et encore très vivace dans la population de Varsovie et des polonais en général. Il faudra attendre le milieu des années 1970 pour que Varsovie retrouve son niveau de population d’avant guerre et la reconstruction durera plusieurs décennies.

Les juifs durant l’insurrection de Varsovie

Nombre de juifs vivaient à Varsovie au moment du déclenchement de l’insurrection, plusieurs milliers, cachés chez des polonais, dans des appartements, des greniers, des caves, d’autres vivaient sous une fausse identité.
Le jour du déclenchement du soulèvement, le 1er août, un bataillon qui attaquait la gare de Umschlagplatz afin de récupérer du matériel et des armes libéra une cinquantaine de juifs qui se trouvaient encore sur la place. Deux juifs enrôlés dans la résistance participèrent au coup de main, Stanisław Aronson et Stanisław Likiernik. Plusieurs des prisonniers libérés rejoignirent les rangs de la résistance, dont Chaim Goldstein un résistant français qui avait été déporté au camp d’Auschwitz puis envoyé au camp de Gęsiowka de Varsovie.
Le 3 août, à l’appel de Icchak Cukierman – Antek, l’un des leaders de l’Organisation Juive de Combat, les anciens insurgés du ghetto furent appelé à rejoindre l’insurrection polonaise. Tous ne furent pas admis au sein de l’Armia Krajowa en raison de leurs orientations politiques à gauche (majorité des anciens mouvements de résistance dans le ghetto, sionistes et antisionistes), et un certain nombre rejoignirent l’Armia Ludowa, mouvement armé communiste, comme Marek Edelman, Zivia Lubetkin, Cukierman. Ces anciens membres et leaders survivants de l’Organisation Juive de Combat formèrent une section spéciale combattante au sein du 3ème bataillon de l’Armée du Peuple, rejoints par Symcha Rotem (Kazik), Julian Fiszgrund, Józef Sak, Irena Geldblum, Sara Biderman, Tuwia Borzykowski.
Le 5 août, les soldats du bataillon Zośka attaquèrent le camp de Gęsiowka et libérèrent 348 juifs dont une bonne partie rejoignirent également la résistance, dont Henryk Poznański, un ancien combattant de l’Organisation Juive de Combat.
Nombre de juifs participèrent en tant que personnel médical dans les différentes antennes et hôpitaux mis en place par les insurgés dans la ville comme les docteurs Adina Blady-Szwajger, Michał Lejpuner, Szmul Gilgun, Stefan Rotmil, Idel Singer, Edward Zwilling, Roman Born-Bornstein. Egalement Emilia Rozencwajg en tant que commandant de liaison du personnel médical dans le bataillon Łukasiński, Alicja Zipper comme infirmière. Les jeunes agents de liaison qui suivent, étaient âgés de 14 ans et plus, les frères Zalman et Perec Hochman, Henryk Arnold, Jehuda Nira, Stanisław Pinkus.
Parmi les jeunes combattants se trouvaient aussi Nehemiah Szulklaper, Alexander, Zrubawel Werba, Efraim Krasucki, Erwin Junarz.
De très nombreux autres combattants d’origine juive s’illustrèrent comme le général de brigade Edwin Rozłubirski, Jan Szelubski comme commandant et qui fut décoré de l’ordre Virtuti Militari par le général Bór-Komorowski qui dirigeait l’insurrection.
La population juive qui avait survécu jusqu’à l’été 1944 partagea le sort des civils polonais en quête d’abris et de nourriture, et beaucoup moururent sous les bombes ou lors d’exécutions. Dans les entrepôts de l’usine Kirchmayer et Marczewski, le 6 août, plus de 2000 civils furent exécutés, dont une cinquantaine de juifs, pour la plupart qui avaient été libérés la veille du camp de Gęsiowka.
Beaucoup de juifs qui furent capturés à la fin de l’insurrection furent exécutés par les allemands. D’autres utilisant des fausses identités furent envoyés avec les polonais vers le camp de Pruszków (Dulag 121), d’autre se cachèrent dans les ruines de la ville et moururent lorsque les allemands dévastèrent la capitale.
Des anciens combattants juifs sont inhumés dans le cimetière juif de la rue Okopowa, et les noms de nombreux autres sont gravés dans le cimetière militaire de Varsovie et sur le mur du souvenir du Musée de l’Insurrection.
Le nombre de combattants juifs durant l’insurrection de Varsovie de 1944 est évalué entre plusieurs centaines à 3000.
Source Vitual Shtetl – Krzysztof Bielawski

Samuel Willenberg

Samuel Willenberg à Varsovie en 2015 - Photo Jacques Lahitte - www.shabbat-goy.com
Samuel Willenberg à Varsovie en 2015 – Photo Jacques Lahitte – www.shabbat-goy.com (Cliquer pour agrandir)
Samuel Willenberg, originaire de Częstochowa où il était né en 1923, fut blessé en 1939 dans la région de Chełm en combattant en tant que volontaire dans l’Armée Polonaise. Il rejoignit par la suite sa famille près de Varsovie et ils partirent vers l’est à Opatów en 1940. De là, ils retournèrent à Częstochowa et furent par la suite confinés dans le ghetto. Willenberg fut déporté en 1942 au camp d’extermination de Treblinka. Il fut le seul de son convoi à survivre et fut enrôlé dans le kommando chargé de trier les affaires des déportés. Il s’évada lors de la révolte du camp en août 1943 et retourna à Varsovie où il rejoignit la résistance polonaise. Il participa à l’insurrection de 1944 au sein de l’Armia Krajowa puis de l’Armia Ludowa dès septembre 1944. Il servit dans l’Armée Polonaise après la guerre puis émigra en Israël en 1950 où il exerça comme ingénieur. Pendant sa retraite il étudia les arts et la sculpture en particulier. Nombre de ses œuvres furent exposées dont un monument en mémoire des victimes du ghetto qui fut inauguré à Częstochowa. Il mourut en 2016.

August Agbola O’Browne

August Agbola O'Browne, combattant de l'insurrection de Varsovie de 1944
August Agbola O’Browne, combattant de l’insurrection de Varsovie de 1944 (Cliquer pour agrandir)
Parmi les insurgés, une figure inhabituelle, celle de August Agbola O’Browne, un nigérian né à Lagos en 1895, de l’union d’un nigérian et d’une polonaise. Arrivé en 1922 à Varsovie, il exerça ses talents comme musicien de jazz et batteur dans de nombreux clubs de la capitale. Il fut le premier africain de l’ouest à enregistrer un disque en 1928. Il se maria avec une polonaise et eut 2 enfants. Il participa à la défense de Varsovie en septembre 1939 puis il combattit durant l’insurrection de 1944 au sein de l’Armia Krajowa dans le bataillon « Iwo », dans le quartier de Śródmieście sous le nom de code Ali. Après la guerre, il travailla au département de la culture et des arts de la ville de Varsovie et continua ses activités musicales jusqu’à son départ vers l’Angleterre en 1958 où il mourut en 1976.

Chaque année, le 1eraoût à 17 heures, les sirènes retentissent dans la capitale et la population arrête ses activités pour une minute de silence en mémoire des insurgés et des disparus.

Lien vers le site du Musée de l’Insurrection de Varsovie.

Le film Miasto 44 retrace cette page d’histoire.