Le motard de Chełmno

Retour sur les camps d’extermination

Le camp de Chełmno est peut être l’un des moins connus du grand public. Comme finalement peut être la plupart de ces camps, camps d’extermination, dont il ne reste rien aujourd’hui si ce n’est des sites où des monuments que l’on a érigé rappellent leur activité de mort.
Et pour cause, les camps d’extermination, qui se distinguent radicalement des camps de concentration, n’ont eu qu’une existence très éphémère dans la marche du temps et dans l’histoire de l’holocauste. Une année tout au plus. Raoul Hilberg, grand historien de l’holocauste leur avait donné un nom, les centres de mise à mort. En outre, il s’agissait de petits camps par leur superficie et leurs infrastructures. Seules de petites unités SS administraient ces camps qui pour certains étaient également gardés par des SS d’origine étrangère, essentiellement ukrainiens.
Ces sites avaient été établis dans des zones éloignées afin que leur fonctionnement reste le plus anonyme possible, dans des forêts et non loin d’axes ferroviaires.
Il y eut 4 camps d’extermination établis en Pologne occupée par les Allemands; Sobibór, Treblinka, Bełżec, Chełmno. Les 3 premiers furent établis dans cette portion de territoire annexée de la Pologne et soumise à un régime spécial par l’occupant, le Gouvernement Général. Le dernier camp fut établi dans le Reichsgau Wartheland, les territoires de Pologne occidentale qui furent annexés et soumis au pouvoir du IIIème Reich. Cet espace avait été redéfini comme une zone de repeuplement où de nombreuses familles allemandes furent envoyées afin de coloniser un espace vital de fait revendiqué par le pouvoir nazi. Nombre de polonais furent expulsés et dirigés vers les régions de l’est devenues parties intégrantes du Gouvernement Général.
Chełmno nad Nerem (Chełmno sur le Ner, du nom de la rivière qui traverse l’endroit) se trouvait alors dans cette zone de repeuplement et des familles allemandes s’installèrent dans la région et dans le village qui fut renommé Kulmhof an der Nehr.

Le village de Chełmno nad Nerem (Chelmno sur le Ner) vu depuis l'autoroute A2. Au centre, l'église où étaient enfermés les déportés dans l'attente de leur tragique destin.  Le musée se trouve sur la gauche de l'église (toit gris) dans les arbres, où se trouvait à l'origine le manoir
Le village de Chełmno nad Nerem (Chelmno sur le Ner) vu depuis l’autoroute A2. Au centre, l’église où étaient enfermés les déportés dans l’attente de leur tragique destin. Le musée se trouve à gauche de l’église (toit gris) dans les arbres, où se trouvait à l’origine le manoir (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com
Deux autres grands camps de concentration possédèrent une double activité de concentration et d’extermination; les camps de Majdanek et d’Auschwitz. Pour le second, c’est plus précisément le camp de Birkenau (aussi appelé Auschwitz II) qui prit essentiellement en charge l’extermination des populations juives, et roms.
Les camps d’extermination sont apparus dès la mise en oeuvre de l’Aktion Reinhard, dont le but était la mise à exécution à un niveau industriel de la solution finale à la question juive qui se déroula essentiellement entre le printemps 1942 et l’été 1943 avec la liquidation des ghettos d’Europe Centrale et de l’est et la déportation des juifs d’Europe de l’ouest. Cette vaste organisation à la fois politique, administrative, militaire et industrielle d’un processus d’annihilation d’un peuple reste à ce jour un événement unique dans l’histoire de l’humanité. C’est cette singularité qui tend malheureusement à se banaliser aujourd’hui, lorsque des comparaisons sont avancées entre génocides, même s’il n’existe pas d’évaluation arithmétique dans le pire que l’homme puisse être capable. C’est l’organisation même de ce processus de mort qui échappe à toute raison humaine et qui reste un marqueur dans notre histoire commune.
Dans les camps d’extermination, les déportés n’étaient pas confinés dans des baraquements en vue d’une exploitation ultérieure de la main d’oeuvre dans des ateliers et d’autres camps de travail comme c’était le cas pour les camps de concentration. Ils étaient éliminés dès leur arrivée. Cette organisation millimétrée permettait de faire disparaître un convoi de déportés en une heure en moyenne après leur arrivée au camp. Les infrastructures de ces camps furent détruites par les allemands durant l’été 1943 afin d’effacer toutes traces du forfait accompli. Il arriva même que l’on déterra les cadavres qui n’avaient pas été brûlés des fosses communes afin de broyer les ossements. A Sobibór et à Treblinka, des détenus se révoltèrent durant cette période et un certain nombre réussirent à s’échapper.
Situé à une heure de route au nord-ouest de la ville de Łódź, le camp d’extermination de Chełmno eut un fonctionnement quelque peu différent. Son activité se concentra durant 2 années distinctes, 1942 et 1944.
C’était le premier camp en Pologne où furent menés des gazages de prisonniers, avec l’aide de camions. Les opérations débutèrent fin 1941 jusqu’au printemps 1943. L’activité meurtrière reprit au printemps 1944 avec la liquidation des habitants du ghetto de Łódź, la grande ville du textile d’avant guerre où la population juive du ghetto fut longuement exploitée dans des usines et des ateliers pour le compte de l’occupant.

Et de la terre surgit un nom

Manoir de Chelmno et  grenier à céréales en arrière plan
Manoir de Chelmno et grenier à céréales en arrière plan
En 1998, une campagne de fouilles archéologiques fut entreprise autour de l’ancien manoir, dans le village de Chełmno. Du manoir, il ne reste aujourd’hui que les fondations. C’est dans ce manoir, déjà délabré au début de la guerre, qu’étaient amenés directement les déportés, ou depuis l’église où ils étaient confinés la nuit s’ils avaient été amenés le soir au village. Leur arrivée se faisait dans le calme car il leur avait été expliqué que de là, ils seraient dirigés vers l’Allemagne ou vers l’est, pour le travail. Les déportés pouvaient voir le manoir où ils allaient pénétrer, depuis l’entrée du site. Ce n’est qu’une fois dépossédés de leurs biens et déshabillés, dans les caves du manoir, qu’on les dirigeait de manière brutale vers une plateforme où ils étaient poussés dans des camions. Durant la première période de fonctionnement du camp, les déportés pouvaient conserver leurs sous-vêtements. On employa au départ des substances chimiques expédiées depuis l’Allemagne pour les asphyxier par le CO², puis on utilisa les gaz d’échappement des moteurs qui se révélèrent plus efficaces et économiques; 15 minutes étaient nécessaires pour que les gaz firent leur effet mortel. De là, les camions se dirigeaient ensuite vers la forêt voisine de Rzuchów, distante de 5 kilomètres, où il étaient enterrés dans d’immenses fosses communes. Le manoir fut rasé par les allemands à la fin de la première campagne d’extermination.
Les fondations du manoir de Chełmno
Les fondations du manoir de Chełmno (cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com
Cette campagne de fouille avait pour but de rechercher de nouveaux indices quant à l’histoire de ce site. Le village étant situé en hauteur, des fouilles furent entreprises sur le terrain situé légèrement en contrebas à l’arrière du manoir, vers la rivière Ner, là où les allemands jetèrent des affaires des déportés qui n’avaient aucune valeur à leurs yeux. On procéda à la manière de fouilles archéologiques sur un site historique plus ancien, par couches. De fait, on mis au jour 2 couches distinctes qui correspondaient aux deux périodes de déportation et de fonctionnement du site. On retrouva de nombreux objets dont une partie sont aujourd’hui exposés dans le musée qui se trouve sur le site, et dans l’ancien grenier à céréales mitoyen (Spichlerz) qui a été rénové ces dernières années à cet effet: des couverts, des colliers, des bracelets et des médailles sans valeur, certains portant des initiales qui témoignent aujourd’hui de l’anonymat de nombre de ces victimes, aussi des ustensiles de cuisine, des jouets pour enfants, des centaines de flacons pharmaceutiques provenant pour certains d’Allemagne, de Tchécoslovaquie, du Luxembourg. On retrouva même, parmi des flacons d’origine polonaise des aiguilles de seringue qui certainement témoignaient de la liquidation des hôpitaux du ghetto de Łódź. Egalement deux broches avec les prénoms de Bela et Irka. Une partie de ces objets avaient déjà été retrouvée lors des fouilles entreprises sur le site du manoir et des fosses communes en forêt dès le milieu des années 1980.
Le porte-cigarettes de Józef Jakubowski, retrouvé sur le site du camp de Chełmno
Le porte-cigarettes de Józef Jakubowski, retrouvé sur le site du camp de Chełmno (Cliquer pour agrandir) Source photo (à determiner)

Et en 1998, un objet singulier apparu, métallique, jauni par le temps. On le retrouva dans la couche de fouille n°2 de l’année 1944, une zone située en dehors du périmètre, au delà d’une grille, qui se trouvait côté ouest du manoir.
Il s’agissait du couvercle d’un porte-cigarettes qui, dans sa partie intérieure, comportait la gravure suivante :
p. Józefowi Jakubowskiemu
za 1 miejsce
na gymkhanie motocyklowej
na motocyklu Sokół 600
« Gordon-Bennet »
od A. R Klinger
dn. 30 VIII. 36

Mr Józef Jakubowski, pour la première place du gymkhana motocycliste sur une moto Sokół 600. « Gordon-Bennet ». De la part de Klinger, le 30 août 1936.
Des initiales, des prénoms avaient été découverts lors des fouilles entreprises en 1998 ou antérieurement (fouilles réalisées sous la direction du couple Nowak), sur certains objets, on pu aussi déchiffrer un nom sur la photo d’une tombe prise dans le cimetière juif de Częstochowa, mais c’était la première fois qu’un nom complet apparaissait, qu’un objet pouvait être identifié à une personne précise.
Józef Jakubowski sur la place Piłsudski à Varsovie en mai 1937 lors d'un raid motocycliste.
Józef Jakubowski sur la place Piłsudski à Varsovie en mai 1937 lors d’un raid motocycliste. (Cliquer pour agrandir) Photo Narodowe Archiwum cyfrowe
Józef Jakubowski était un motocycliste et sportif reconnu durant l’entre-deux guerres qui avait participé à de nombreuses compétitions. Il excellait notamment dans le gymkhana à moto, une discipline alors reconnue dans laquelle les concurrents rivalisaient avec des exercices de précision, de vitesse et d’équilibre. Kuba, le surnom par lequel on s’était habitué à l’appeler, Kuba étant le diminutif de Jakub(owiski)-Jacob; était membre du club motocycliste de Varsovie. Ce club fédérait alors 70% des motards de la capitale. Il était d’une humeur agréable, gaie et souriant et aimé de ses proches amis motocyclistes comme Józef Docha, Tadeusz Tomaszewski, Tadeusz Heryng, Konstanty Rogoziński, Witold Rychter qui formaient une équipe inséparable qui se retrouvait toujours pour assouvir leur passion.
James Gordon Bennett (1841-1918) était un magnat américain de la presse et passionné de sport qui créa au début du XXème siècle une compétition automobile puis une autre de ballons libres qui perdure jusqu’à aujourd’hui. En 1936 (également en 1934 et 1935), elle se déroula à Varsovie. C’est à l’occasion de cette compétition que fut organisé un concours motocycliste qui se tint les 29 et 30 août.
Moto Sokoł 600 modèle 1936
Moto Sokoł 600 modèle 1936 (Cliquer pour agrandir) Photo zabytkowemotocykleirowery.pl
Le premier jour, la compétition fut remportée par Docha, Jakubowski terminant second et le lendemain, l’ordre fut inversé et Jakubowski remporta le concours. Parallèlement aux épreuves de gymkhana se déroulaient d’autres exercices de maîtrise d’obstacles et de sauts au tremplin, spécialité où excellait Kuba. Il participa alors aux compétitions au guidon d’une moto de fabrication polonaise, le modèle Sokoł 600 fabriqué par la société PZInż.
On notera la faute d’orthographe sur le porte-cigarettes dont le nom Bennett ne comporte qu’un seul t.
On ignore aujourd’hui où et quand est né Józef Jakubowski. D’après certains recoupements, on pense qu’il est né vers 1902. Zdzisław Lorek, qui avait participé à une campagne de fouille et qui aujourd’hui travaille au musée de Chełmno, contacta après la découverte, Tomasz Szczerbicki, un spécialiste du monde automobile et motocycliste qui effectua des recherches. On apprit que Kuba était un grand motocycliste qui avait également eut un épisode sportif dans le monde automobile puisqu’il participa au rallye automobile de Monte Carlo en 1937 avec Tadeusz Marek et en 1938 avec Lucjan Borowik. Il participait jusqu’à 30/40 compétitions par an. La moto était sa passion et il adapta au mieux sa vie pour l’assouvir. A la fin des années 1920, avec son ami Konstanty Rogoziński, il devint représentant de la marque anglaise de motos Excelsior. Dès 1935, avec le développement des motos polonaises et de la série Sokoł, il roula principalement avec ce modèle.
Józef Jakubowski au centre sur une moto Excelsior et Tadeusz Tomaszewski à droite, lors d'une course de rue organisée à Tarnów en 1933
Józef Jakubowski au centre sur une moto Excelsior et Tadeusz Tomaszewski à droite, lors d’une course de rue organisée à Tarnów en 1933 (Cliquer pour agrandir) Photo Archives Tomasz Szczerbicki

Certaines informations sur la vie de Józef Jakubowski dans les années 1920 ont pu être extraites d’après l’autobiographie publiée en 1985 par son ami Witold Rychter après la guerre. Autrement ce sont essentiellement des classements sportifs que l’on retrouve à son sujet dans la presse spécialisée. Sur une photo, il apparaît avec le titre inż. (ingénieur), mais on n’est pas certain qu’il était effectivement diplômé, car à l’époque, une personne spécialiste en motorisation pouvait être également appelée par ce titre. Si tel était le cas, il pouvait alors être officier de réserve et militaire au début de la guerre, car un autre recoupement fut envisagé lorsqu’on appris que des habitants de Chełmno avaient vu un jour les allemands amener sur le site 5 militaires et 12 officiers polonais, provenant certainement d’un camp de prisonniers, pour être exécuté.
Club motocycliste polonais dans les années 1930 lors des tests du modèle militaire CWS M55
Club motocycliste polonais dans les années 1930 lors des tests du modèle militaire CWS M55 (Cliquer pour agrandir) Photo Archives Tomasz Szczerbicki
Avec la renaissance de la Pologne durant l’entre-deux guerres, on réorganisa l’armée et on l’équipa de nouveaux matériels, notamment des motos de fabrication polonaise afin de conserver une indépendance matérielle. Un modèle spécifique fut étudié pour le compte des militaires, le modèle CWS M55 (side-car), mis au point en 1929 par la firme PZInż. de Varsovie, et durant une saison, des motos de type side-car furent remises aux meilleurs motards du pays dont Jakubowski et ses amis, afin de la tester sur le terrain et lors d’événements sportifs et de remonter les problèmes et améliorations à apporter. Les motards participèrent à cette campagne en remettant au constructeur et militaires des rapports de tests. Kuba effectua des tests notamment avec l’ingénieur concepteur Rudawski.
Józef Jakubowski  (29) le 2 août 1939
Józef Jakubowski (29) le 2 août 1939 (Cliquer pour agrandir) Photo Narodowe Archiwum Cyfrowe

Dans la fougue de leur jeunesse, Jakubowski et 4 de ses camarades participèrent avec des motos Sokoł 200 et 600 au raid des Tatras (Rajd Tatrzanski), organisé en août 1939 dans le sud du pays, dans les montagnes du même nom, où ils entamèrent l’ascension du mont Kasprowy Wierch, le plus haut sommet (1987 m).
C’est la dernière information dont on dispose sur Kuba. Plus tard après la guerre, des photos ont été retrouvées dans un album qui appartenait à l’un de ses amis, Tadeusz Tomaszewski. Il n’était pas très grand, un peu corpulent, avec une allure jeune même à l’âge de 35 ans, et toujours souriant.
De ce simple morceau de porte-cigarettes, un nom et des bribes d’histoire d’une vie ont resurgit. Finalement, on ignore si Józef Jakubowski était juif. Probablement, mais comment expliquer sa présence à Chełmno alors qu’il était d’après son parcours un sportif de Varsovie. Peut être était-il militaire au début du conflit, prisonnier de guerre envoyé ici avec d’autres comme des témoins l’avaient signalé, On ne le saura probablement jamais.
Józef Jakubowski (à gauche) et Michał Nahorski qui participa également au raid es Tatras de 1939
Józef Jakubowski (à gauche) et Michał Nahorski qui participa également au raid es Tatras de 1939 (Cliquer pour agrandir) Photo Archiwum Narodowe Cyfrowe
Kuba restera une personne au visage souriant et dont la silhouette s’est évanouie dans les fosses de la forêt de Rzuchów parmi des dizaines de milliers d’autres, et dont le porte-cigarettes jeté parmi des broches, des flacons, des peignes et quelques jouets reste une trace de ces vies perdues.

La halle Gościnny Dwór

Un haut lieu du commerce des juifs

Le quartier autour de la place Żelazna Brama (la porte de fer), un grand espace situé à l’ouest du jardin du palais de Saxe, fut jusqu’à la seconde guerre mondiale, un haut lieu de commerce et de marché, qu’il était devenu depuis le XVIIème siècle. On y édifiât au XIXème siècle, une superbe halle marchande où de très nombreux juifs possédaient encore à l’entrée en guerre, des boutiques ainsi que des magasins et des entreprises dans les rues avoisinantes. En fait, le quartier autour de la halle était très majoritairement habité par une population juive, comme l’illustre la liste des abonnés du téléphone daté de 1938-1939.
Le quartier de la porte de fer s’inscrivait dans la prolongation de la présence des juifs entre le quartier nord de Muranów, le grand quartier juif de Varsovie, situé autour de la rue Nalewki et l’autre concentration juive localisée un peu plus au sud, autour de la place Grzybowski. La présence des juifs ici remontait à une période où ils commencèrent à s’installer dans les villages de Grzybów (future place Grzybowski) et de Wielopole (futur quartier de la porte de fer), c’est à dire à partir du XVIIème siècle.

Une grande halle pour dynamiser le commerce

La grand halle Gościnny Dwór fut édifiée en 1841 d’après un projet architectural réalisé par Jan Jakub Gay (1801-1849) et Alfons Kropiwnicki (1803-1881). Elle fut érigée à l’endroit appelé la porte de fer.

La halle Gościnny Dwór vue par Józef Pankiewicz 1888 - Au premier plan un couple de marchands de légumes juif. Au second plan un marchand juif en tablier, en arrière plan un juif près d'une boucherie.
La halle Gościnny Dwór vue par Józef Pankiewicz 1888 – Au premier plan un couple de marchands de légumes juif. Au second plan un marchand juif en tablier, en arrière plan un juif près d’une boucherie. (Cliquer pour agrandir)

Le nom du bâtiment s’inspirait des noms qui étaient donnés alors en Russie pour de nombreux édifices commerciaux comme la galerie marchande Gostiny Dvor construite sur la perspective Nevski à Saint Petersbourg et édifiée sous la houlette de l’architecte français Jean-Baptiste-Michel Vallin de La Mothe ou celui de Hostynnyi Dvir à Kiev.

Varsovie était alors sous la domination russe et le commerce avec l’empire tsariste se développa tout au long du XIXème siècle et s’accentua avec l’arrivée du chemin de fer et l’édification de gares dans les quartiers est de Varsovie (Praga) à destination de Moscou, de Saint Petersbourg, de Kiev. Le commerce des animaux en provenance de l’est se concentrait essentiellement dans le marché à bestiaux et la foire aux chevaux qui étaient localisés dans le secteur de la rue Brukowa (actuelle rue Okrzei) dans le quartier de Praga. Les marchandises arrivaient dans les gares Peterburski (emplacement de l’actuelle gare Wileńska) et Terespol (emplacement de l’actuelle gare de l’est – Warszawa Wschodnia) du quartier de Praga et dans la gare de marchandises, située près de la gare Kowelski (aujourd’hui gare de Gdańsk), et dont une section fut utilisée pour la déportation des juifs de Varsovie durant la guerre (Umschlagplatz). Des dépôts de marchandises existaient également à côté de la gare Wiedeński (gare de Vienne) en centre ville (emplacement de l’actuelle gare centrale Warszawa Centralna). Le commerce avec l’est et la Russie était alors très actif et florissant durant tout ce XIXème siècle jusqu’à la révolution russe de 1917 et la période de la guerre russo-polonaise (1919-1921) avec la bataille de Varsovie qui mit fin à l’avancé bolchevique vers l’ouest. Le commerce des juifs avec l’est était alors très actif jusqu’à ces événements de première moitié de XXème siècle.

L’édification de la halle

La construction de cette halle avait pour but de dynamiser le commerce dans ce secteur de la ville.

Le marché de la place Żelazna Brama d'après F. Sypniewski.  Un porteur juif à droite
Le marché de la place Żelazna Brama d’après F. Sypniewski. Un porteur juif à droite (Cliquer pour agrandir)
Un marché existait déjà depuis 1829 sur la place de la porte de fer, marché que l’on appelait Wielopole, du nom du village qui autrefois se trouvait là. Cet espace était également appelé Targowica (Targ – Marché). Les échoppes et les étals de ce marché furent détruits en 1841 suite à un incendie.
Dès le XVIIIème siècle, de nombreux juifs s’étaient installés autour de cette place qui faisait déjà office de place de marché.
Plan de Varsovie autour de la place de Fer - Żelazna Brama. 1829
Plan de Varsovie autour de la place de Fer – Żelazna Brama. 1829 (Cliquer pour agrandir)

Le projet décrivait l’édification du bâtiment et le pavement de la place. Les fonds publics n’étant pas suffisants pour financer la réalisation des travaux, on fit appel à des investisseurs privés qui sélectionnèrent le projet des architectes Gay et Kropiwnicki.
La place de la porte de fer (Żelazna Brama) d'après Canaletto - 1779. A gauche le palais Lubomirski. Au seond plan, des échoppes. Au fond la porte de fer qui ouvre l'accès vers le jardin de Saxe.
La place de la porte de fer (Żelazna Brama) d’après Canaletto – 1779. A gauche le palais Lubomirski. Au second plan, des échoppes. Au fond la porte de fer qui ouvre l’accès vers le jardin de Saxe. (Cliquer pour agrandir)
La place de la porte de fer, Żelazna Brama, portait ce nom à cause de l’édifice en forme d’arc de triomphe qui s’ouvrait sur le jardin de Saxe mitoyen, dans l’axe qui menait vers le palais de Saxe. Cette porte fut démolie en 1818.
La place Targowica s’étendait jusqu’aux bâtiments des écuries de la couronne, devenus caserne Wielopolski (et également appelés caserne Mirowski), qui furent démolis puis remplacés au début du XXème siècle par les deux halles Mirowski (hale Miroswskie).
Le marché de la place Żelazna Brama en 1894.  L'entrée du jardin e Saxe en arrière plan
Le marché de la place Żelazna Brama en 1894.
L’entrée du jardin e Saxe en arrière plan (Cliquer pour agrandir)
Le contrat fut signé en avril 1841 entre le général Józef Rautenstrauch et les architectes après que le conseil d’administration eut approuvé l’autorisation du général, qui était en charge des infrastructures d’adduction d’eaux à Varsovie, de réaliser le projet.
La construction de la halle fut terminée en octobre 1841.
Halle Gościnny Dwór d'après une maquette réalisée par  l'association Park Miniatur
Halle Gościnny Dwór d’après une maquette réalisée par l’association Park Miniatur (Cliquer pour agrandir)
Son architecture tout à fait unique en faisait un bâtiment très caractéristique à Varsovie. La halle possédait une forme triangulaire avec des coins arrondis. Il s’agissait d’une construction en briques qui était entourée à l’intérieur comme à l’extérieur d’une série d’arcades métalliques finement dessinées et de colonnes en fonte, une technique novatrice pour l’époque et alors réservée pour des petites architectures.
Perspective de la place Żelazna Brama. Le palais Lubomirski à gauche, la halle Gościnny Dwór à droite. Le jardin de Saxe au fond
Perspective de la place Żelazna Brama. Le palais Lubomirski à gauche, la halle Gościnny Dwór à droite. Le jardin de Saxe au fond (Cliquer pour agrandir)
Topologie autour de la place Żelazna Brama. En jaune, les localisations des synagogue, maisons de prières, écoles religieuses sur une période allant de la première moitié du XIXème siècle à l'entre-deux guerres. Au centre la halle Gościnny Dwór
Topologie autour de la place Żelazna Brama. En jaune, les localisations des synagogue, maisons de prières, écoles religieuses sur une période allant de la première moitié du XIXème siècle à l’entre-deux guerres. Au centre la halle Gościnny Dwór (Cliquer pour agrandir)
La partie intérieure possédait une grande cour dans laquelle se trouvait un second bâtiment plus petit qui reprenait la forme de la halle. Il s’agissait alors de la plus grande halle de Varsovie.
Entrée principale de la halle Gościnny Dwór
Entrée principale de la halle Gościnny Dwór (Cliquer pour agrandir)
Le portail principal de la halle, surmonté d’un panneau Gościnny Dwór, était orienté au nord, face au palais Lubomirski. Au dessus cette entrée s’élevait une statue représentant le dieu Mercure, bras levé tenant un caducée, entre autres dieu du commerce dans la mythologie romaine. Il pivotait, indiquant la direction du vent.
Dans le bâtiment avaient été aménagées 168 boutiques et autant de stands du côté intérieur. Les investisseurs qui avaient financé la construction de l’édifice reçurent l’autorisation de procéder à la facturation auprès des marchands pour la location des boutiques durant une période de 25 ans. C’est en 1867 que le bâtiment devint propriété de la ville. Dans les années 1880, on construisit dans la cour centrale une cave destinée à recevoir les entrepôts des magasins.
Le marché de la place  Żelazna Brama avec un public à forte proportion juive. La halle Gościnny Dwór au second plan à gauche
Le marché de la place Żelazna Brama avec un public à forte proportion juive. La halle Gościnny Dwór au second plan à gauche (Cliquer pour agrandir)
Nombre de marchandises provenaient alors de Russie. Se trouvaient là également de nombreux marchands russes.
Les magasins de la halle étaient organisés par activité, céréales, cuir, tissus, robes, produits d’alimentations, verre, porcelaine, chaussures, caftans, merceries, fleurs… Beaucoup de juifs possédaient des boutiques dans la halle, ils vendaient leurs marchandises également sur la place avec des produits laitiers, des canards, des poules, des légumes, du poisson. Le marché fonctionnait jusqu’à midi.
Sur la place de la porte de fer régnait une activité intense et les juifs étaient majoritaires dans le commerce. Les populations locales s’y rendaient et celle de Varsovie s’y donnait rendez-vous les vendredis matin, le jour de plus forte activité et d’affluence car le lendemain les échoppes et étals juifs étaient fermés pour cause de shabbat. La communication vers la halle et la place Żelazna Brama fut facilitée avec la construction du tramway à cheval en 1881 et son électrification en 1909.
Vue aérienne de la place et du quartier autour de Żelazna Brama durant l'entre-deux guerres
Vue aérienne de la place et du quartier autour de Żelazna Brama durant l’entre-deux guerres (Cliquer pour agrandir)
La halle Gościnny Dwór était voisine d’un autre bâtiment commercial édifié en 1884, le bazar Janasz (bazar Janasza), initialement conçu comme une grande poissonnerie. Ce bazar était administré par Daniel Janasz à l’entrée en guerre.
Marchand juif à Żelazna Brama
Marchand juif à Żelazna Brama (Cliquer pour agrandir) Photo Narodowe Archiwum Cyfrowe
Il régnait les jours de marché une activité extrêmement dense et bruyante dans et autour de la halle ainsi que dans les rues adjacentes qui devenaient alors noires de monde. Le palais Lubomirski en face de l’entrée de la halle accueillait également de nombreux étals les jours d’activité. A l’intérieur, on y célébrait des mariages juifs dans la synagogue qui se trouvait à l’étage.
Un vieux juif fume la pipe, appuyé contre une colonne des arcades de la halle Gościnny Dwór
Un vieux juif fume la pipe, appuyé contre une colonne des arcades de la halle Gościnny Dwór (Cliquer pour agrandir)
La halle était également dénommée Wielopole. Elle s’inscrivait dans une tradition de commerce et d’échanges entre l’hétéroclisme d’un bazar et l’organisation d’une halle marchande.
En 1916, la cour de la halle fut recouverte d’une grande verrière à architecture bois soutenue par 42 piliers et le bâtiment intérieur fut démantelé. La cour fut recouverte d’asphalte et on aménagea 232 nouveaux étals.
L’activité était toujours tout aussi soutenue les jours de marché. A l’entrée en guerre, autour de la halle, dans la rue Rynkowa avec le bazar Janasza et la rue Skórzana, pratiquement tous les abonnés au téléphone qui étaient répertoriés étaient juifs. Côté activités commerciales, se distinguaient notamment les importateurs et vendeurs de harengs, les fabriques et boutiques de vente de laitage, les magasins de vente d’œufs, les magasins de vente de produits exotiques et de fruits secs, les ateliers et vente de porcelaines, faïences, des vitriers, les merceries et vente de nécessaires de couture.
Scènes de rue autour de la place Żelazna Brama. Photo du centre, derrière les garçons, la halle Gościnny Dwór
Scènes de rue autour de la place Żelazna Brama. Photo du centre, derrière les garçons, la halle Gościnny Dwór (Cliquer pour grandir)

Destruction et disparition de la halle

Suite aux bombardements allemands sur Varsovie de septembre 1939, la halle fut totalement détruite par un incendie. Les immeubles situés autour de la place et de la halle furent également lourdement touchés par les destructions.

Vue de la place Żelazna Brama vers 1940. Les ruines de la halle ont été déblayées. Le mur du ghetto n'a pas encore été édifié. A gauche le bazar Janasz et la halle Mirowski. Le palais Lubomirski en ruines. A droite, une partie des immeubles de la rue Skórzana en ruines ainsi que ceux de la rue Rynkowa en bas à gauche
Vue de la place Żelazna Brama vers 1940. Les ruines de la halle ont été déblayées. Le mur du ghetto n’a pas encore été édifié. A gauche le bazar Janasz et la halle Mirowski. Le palais Lubomirski en ruines. A droite, une partie des immeubles de la rue Skórzana en ruines ainsi que ceux de la rue Rynkowa en bas à gauche (Cliquer pour agrandir)
Un soldat allemand fouille avec un bâton dans les ruines de la halle. En arrière plan, les immeubles en ruines de la rue Skórzana
Un soldat allemand fouille avec un bâton dans les ruines de la halle. En arrière plan, les immeubles en ruines de la rue Skórzana (Cliquer pour agrandir)
Le marché continua à se tenir sur la place à côté des ruines de la halle qui furent déblayées courant 1940. Alors que le ghetto n’était pas encore bouclé, les juifs qui étaient déjà tenus de porter le brassard à l’étoile de David et les polonais continuaient à échanger et vendre des affaires autour des ruines de la halle (photo du haut) mais l’intense activité d’avant guerre était définitivement terminée.
En novembre 1940, le mur du ghetto fut édifié et le secteur de l’ancienne halle fut inséré dans le petit ghetto jusqu’en novembre 1941. Le marché se poursuivit sur la place, mais à petite échelle à cause de l’absence des juifs et des difficultés liées à la période de la guerre. Les photos disponibles de cette époque ont été essentiellement prises par des soldats allemands. En 1944, tous les bâtiments autour de la place furent détruits ou incendiés lors de l’insurrection de 1944.
> Présentation du mémorial du mur du ghetto de la place Żelazna Brama.
Des soldats allemands traversent la rue Rynkowa et passent devant les ruines de la halle Gościnny Dwór et se dirigent vers la place Grzybowski. Au fond le palais Lubomirski en ruines.
Des soldats allemands traversent la rue Rynkowa et passent devant les ruines de la halle Gościnny Dwór et se dirigent vers la place Grzybowski. Au fond le palais Lubomirski en ruines. (Cliquer pour agrandir)

Le nouveau quartier d’immeubles appelé Żelazna Brama (la porte de fer) a été édifié en 1965 sur les ruines de la halle et de l’ancien quartier d’avant guerre. Il n’existe plus de marché sur l’actuelle place, seules les halles Mirowski ont perpétué les activités commerçantes. En 1970, le palais Lubomirski fut pivoté de 74 degrés afin de se retrouver dans l’axe du jardin de Saxe et des halles Mirowski. Son élévation sud repose aujourd’hui sur les fondations de l’ancienne entrée principale de la halle Gościnny Dwór.
Perspective de la halle Gościnny Dwór fin XIXème/début XXème siècle. A gauche la rue Rynkowa, à droite la rue Skórzana
Perspective de la halle Gościnny Dwór fin XIXème/début XXème siècle. A gauche la rue Rynkowa, à droite la rue Skórzana (Cliquer pour agrandir)
La topologie historique de ce quartier emblématique et historique de la capitale a été complètement bouleversée avec la guerre et la reconstruction qui a suivi. Des rues ont disparues et il est bien difficile aujourd’hui de s’imaginer ce que pouvait être l’ambiance et la vie qui animaient autrefois cet espace de Varsovie.

Les synagogues et écoles juives autour de la halle

(Localisation voir plan plus haut)
Une école religieuse appelée Tora Wodaat se tenait au numéro 1 de la rue Rynkowa dès le début des années 1930. Elle comportait 5 classes de garçons. L’enseignement s’effectuait en polonais et en hébreu. Il y avait 9 professeurs et 121 élèves.
Une synagogue établie par Chaim Gerszon Halle se tenait au 5 de la rue Rynkowa. Elle était présente déjà avant la construction de la halle Gościnny Dwór. Elle était appelée la synagogue de la porte de fer. Elle fut ouverte en septembre 1840.
Au début des années 1930, une école religieuse se trouvait en face au numéro 6 de la rue Skórzana et comportait une classe de garçons où l’on enseignait en polonais, en hébreu et en yiddish. Elle avait 2 professeurs et 25 élèves. Se trouvait également une école générale de l’association des enseignants.
Une synagogue en bois appelée synagogue Nowakowski s’élevait dans une arrière cour adjacente au jardin de Saxe, en direction de la rue Graniczna. Edifiée vers 1811 elle fut démolie après 1824.
A l’entrée en guerre, le rabbin Ostrowiekcki Chil habitait au 8 de la rue Skórzana.
A proximité de la place Żelazna Brama, au milieu du XIXème siècle était inventoriée une maison de prières orthodoxe au 1/3 de la rue Przechodnia. Elle fut fort probablement ouverte par le banquier Cwi Hersz Wawelberg. Elle fut transformée en 1875 en une petite synagogue par un enseignant dénommé H. Muszkat et où officiait Moshe Perlo, un juif originaire de Łomża. Elle était probablement installée dans une arrière-cour. La limite du ghetto longeait le lieu en 1940.
Au 4 de la rue Ptasia se trouvait une maison de prières établie certainement avant 1813 et qui fut active de manière intermittente.

Les abonnés du téléphone autour de la halle Gościnny Dwór

Une analyse de l’annuaire d’avant guerre nous donne un aperçu de la population qui vivait dans le secteur de la halle Gościnny Dwór et de la place Żelazna Brama. L’immense majorité des commerçants et des entreprises étaient juifs.
Visualiser la liste des abonnés du téléphone de la rue Skórzana.
Visualiser la liste des abonnées du téléphone de la rue Rynkowa.
Visualiser la liste des abonnées du téléphone de la place Żelazna Brama.

La place Żelazna Brama aujourd’hui

Hormis les halles Mirowski et le palais Lubomirski qui a été pivoté de son emplacement initial, il ne reste quasiment rien de la topologie d’avant guerre de tout ce quartier. Cela donne une idée des destructions de la guerre à Varsovie. Comparer cette photo avec la vue aérienne d’avant guerres présentée plus haut.

Vue actuelle de la place Żelazna Brama
Vue actuelle de la place Żelazna Brama (Cliquer pour agrandir)

> Visite virtuelle de la place Żelazna Brama.

Les moines Studites et les juifs

Le sauvetage de juifs dans les monastères uniates

Klemens Szeptycki
Klemens Szeptycki (Sheptytskyi) (Cliquer pour agrandir) Photo Yad Vashem
En 1941, les parents d’Adam Daniel Rotfeld, qui avait alors 3 ans, décidèrent de le laisser sous la protection du père Klemens Szeptycki, qui était archimandrite (titre honorifique accordé dans les églises de rite byzantin, l’église orthodoxe arménienne et certaines églises catholiques orientales) au monastère grecque-catholique studite de Uniów dans la région de Peremychliany (Przemyślany), aujourd’hui en Ukraine.
Dehors, il y avait un chariot tiré par des chevaux. C’est la dernière fois que l’enfant vit son père et sa mère qui mourront deux ans plus tard. Le garçonnet et sa sœur âgée de 11 ans qui se cachaient dans les forêts furent les seuls membres de la famille à survivre à la guerre. Après une année passée au cloître, Adam Daniel fut baptisé et reçu un nouveau nom.
Il y avait un orphelinat au cloître où séjournaient d’autres enfants de diverses origines. Ils étaient pris en charge par le cloître après une décision entérinée par le métropolite de l’église grecque-catholique, Andrzej Szeptycki, qui appela tous les moines qui se trouvaient sous son autorité à cacher les orphelins juifs parmi les autres enfants polonais et ukrainiens. Les enfants étaient dispersés dans les différents monastères par le moine Marko Stek. Le métropolite était un homme sage et d’expérience. « Il voulait éviter les pogroms à l’encontre des juifs, mais également contre les polonais (répression des milices ukrainiennes à l’encontre des populations polonaises et juives) » relata Kurt Lewin, des années plus tard, l’un de ceux qui furent sauvés.
Grâce à l’aide du métropolite, les personnes ci-après, parmi d’autres, survécurent à la guerre : Lili Pohlmann et sa mère, Adam Daniel Rotfeld, la famille de Dawid Kahane, les 2 fils de Ezekiel Lewin dont ses fils Kurt Lewin, Natan Lewin, un rabbin de Lwów , 2 fils du grand rabbin de Katowice (dont le cardiologue Leon Chameides), la famille Podoszyn, mme Abraham et sa fille.
Les moines studites et les juifs
Les moines studites : à gauche Klemens Szeptycki, assis Andrzej Szeptycki (Cliquer pour agrandir) Photo Kancelaria Prezydenta RP / Muzeum Historii Żydów Polskich

Pour son courage durant la guerre, son martyre et sa mort, alors qu’il était entre les mains des agents du NKWD après la guerre, en 1951, Klemems Szeptycki fut déclaré bienheureux (personne béatifiée par l’église catholique) par le pape Jean Paul II.
Klemens Szeptycki fut archimandrite de l’ordre Studite de 1945 à 1951.
Andrey Sheptytsky (Andrzej Szeptycki) (1865-1944), qui fut à l’origine de la congrégation qui était régie par les règles monastiques de Théodore le Studite, fit recueillir des centaines de juifs dans sa résidence et dans les monastères gréco-catholiques. Il fit diffuser une lettre condamnant l’oppression nazie en Ukraine, ainsi que le massacre des juifs. En 1943, lors de la création de la division SS Galicie (Waffen-Grenadier-Division der SS Galizien), composée de 27 000 hommes d’origine ukrainienne, il effectua une bénédiction des troupes. C’est ce geste qui l’empêchera plus tard d’être reconnu comme Juste en Israël. Il fut reconnu vénérable par le pape François en 2015.
Après la guerre, Kurt Lewin aida Marko Stek à émigrer vers l’ouest.
En 1995, Klemens Szeptycki et Marko Stek furent honorés du titre de Juste parmi les Nations par Yad Vashem.

L’église grecque-catholique (églises catholiques orientales) aussi appelée uniate était très présente dans le sud-est de la Pologne actuelle dans les communautés Łemko et Bojko qui furent déportés par le gouvernement communiste polonais en 1947 vers l’Ukraine et d’autres régions de la Pologne lors de l’opération Wysła (Vistule). En 2002, le président Kwaśniewski reconnu la responsabilité de l’état polonais dans ces événements. A l’origine, les uniates sont issus de l’église orthodoxe (église de Byzance) qui se sépara de l’église catholique romaine en 1054. Les uniates revinrent en communion avec l’église catholique en 1596. Ils ont conservé depuis des rites orthodoxes.

Adam Daniel Rotfel

Adam Daniel Rotfeld
Adam Daniel Rotfeld lors d’une journée de nettoyage au cimetière juif de Varsovie (Cliquer pour agrandir) Photo Kuba Atys / Agencja Gazeta
Adam Daniel Rotfeld (1938-2005) est rapatrié en Pologne en 1951 où il est placé dans un orphelinat à Cracovie. Après des études à Varsovie et à Cracovie, il devint chercheur, enseignant à l’université et diplomate. Nommé sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 2001, il fut promu secrétaire d’État en 2003 sous le gouvernement social-démocrate de Leszek Miller. En 2005 il fut nommé ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement social-démocrate Belka sous la mandature du président Kwaśniewski.
Toujours en 2005, lors de la vive polémique concernant la dénonciation par la Pologne de l’expression camps polonais, Adam Daniel Rotfeld souligna que cette expression énoncée de manière intentionnelle ou pas, tendait à « faire supporter la responsabilité dans la mise en place, l’organisation et les opérations dans les camps des allemands vers le peuple polonais ». Cette prise de position qui fut également partagée par l’ancien ambassadeur d’Israël en Pologne Shewach Weiss, l’American Jewish Committee, les gouvernements polonais et israélien, menèrent l’Unesco à renommer le camp d’Auschwitz comme Ancien camp de concentration de l’Allemagne nazie d’Auschwitz-Birkenau (Former Nazi German Concentration Camp Auschwitz-Birkenau).

Source Poles who rescued Jews during the Holocaust – Recalling Forgotten History et autres.

Les passeports de l’hôtel Polski

Echanges de documents et collaboration juive

L'hôtel Polski au 29 de la rue Długa (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com
L’hôtel Polski au 29 de la rue Długa (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com

Dès 1942, deux organisations juives suisses initièrent une campagne de sauvetage des juifs de Pologne afin de leur procurer des passeports sud américains en vue de leur départ des territoires occupés, avec le concours de consuls honoraires en Suisse. Les passeports qui avaient été obtenus et qui furent envoyés au Gouvernement Général concernaient les pays suivants : Paraguay, Honduras, Costa Rica, Guatemala, Haïti, El Salvador, Pérou, Bolivie, Équateur, Nicaragua, Panama, Uruguay et le Venezuela.

L'hôtel Polski au 29 de la rue Długa
L’hôtel Polski au 29 de la rue Długa (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com

L’hôtel polonais (Hotel Polski) du 29 de la rue Długa devint l’un des lieux de rencontre (avec 2 autres lieux dans Varsovie) pour de nombreux juifs du ghetto et d’autres juifs qui étaient notamment cachés du côté aryen. Nombre de ces documents arrivèrent effectivement à Varsovie mais leurs destinataires avaient entre temps été déportés puis exterminés au camp de Treblinka durant les grandes déportations de l’été 1942. L’objectif de fourniture de ces passeports était de procéder à un échange entre des soldats allemands détenus par les alliés et des juifs.
En mai 1943, au cours de l’insurrection du ghetto, deux collaborateurs juifs du nom de Leon -Lolek- Skosowki et Adam Żurawin, qui travaillaient pour le compte de la police allemande, récupérèrent les passeports avec l’assentiment de la Gestapo et les revendirent à des juifs qui vivaient cachés côté aryen, et d’autres juifs qui étaient réfugiés à l’hôtel Polski. La transaction pouvait coûter entre 30 et 300 złoty, ou en nature avec des bijoux ou tout autre objet de valeur.
Initialement, les premières tractations s’effectuèrent à l’hôtel Royal au 31 de la rue Chmielna.
Les juifs qui acquirent ces documents falsifiés furent transférés vers le camp de Vittel en France pour 300 d’entre-eux et vers le camp de Bergen-Belsen en Allemagne pour 2000-2500 autres, afin d’être échangés contre des prisonniers allemands. Le directeur de l’organisation du Joint en Pologne, Daniel Guzik, savait qu’il coopéraient avec des collaborateurs juifs.
Les juifs qui avaient été envoyés en Allemagne et en France furent par la suite déportés vers Auschwitz lorsque les allemands vérifièrent les documents et se rendirent compte que les détenteurs de ces passeports n’étaient pas leurs propriétaires légitimes, et que les pays qui avaient délivré les passeports ne confirmèrent pas leur authenticité.

Environ 2500 juifs seraient passés par l’hôtel Polski de Varsovie, les deux tiers dirigés vers ces deux camps, en France et en Allemagne, et les 420 derniers juifs restants qui devaient être déporté vers le camp de Bergen-Belsen furent dirigés vers la prison de Pawiak de Varsovie où ils furent exécutés.
260 juifs réussirent à se procurer des documents et purent être échangés contre des prisonniers allemands qui étaient internés en Palestine.
Interrogé par la suite par Yitzhak Zuckerman, Daniel Guzik lui répondit que pour sauver un seul juif, il aurait été prêt à embrasser le c… des collaborateurs Skosowki et Żurawin.
Les historiens s’interrogent encore pour savoir si le commerce de ces passeports après la fin de l’insurrection du ghetto n’avait pas simplement pour but de localiser et débusquer les juifs qui s’étaient réfugiés du côté aryen.

Itzhak Katzenelson
Yitzhak Katzenelson à droite avec l’artiste Shmuel Grodzenski et sa femme Miriam – Photo HolocaustResearchProject.org

Le poète Yitzhak Katzenelson qui était encore confiné dans le ghetto de Varsovie avec son fils Zvi, et dont la femme Miriam et deux autres fils avaient été déportés vers le camp de Treblinka, passa du côté aryen avec l’aide d’amis qui lui fournirent des passeports du Honduras.
Ils furent arrêtés à l’hôtel Polski et déportés vers le camp de Vittel en France. C’est lors de son séjour au camp qu’il écrivit en octobre 1943 Le Chant du peuple juif assassiné. Le manuscrit écrit en yiddish et qui avait été caché fut retrouvé après la guerre. Vers fin avril 1944, Yitzhak Katzenelson et son fils furent redirigés vers Auschwitz par le convoi n°72 où ils moururent le 1er mai.

L’immeuble de l’hôtel Polski fut détruit durant l’insurrection de 1944, seule la façade a été conservée.

Plaque commémorative apposée sur la façade de l'ancien 'hôtel Polski au 29 de la rue Długa
Plaque commémorative apposée sur la façade de l’ancien ‘hôtel Polski au 29 de la rue Długa (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com

En mémoire des juifs polonais insidieusement attirés par la Gestapo à l’hôtel Polski du 29 de la rue Długa durant le printemps 1943 et assassinés dans les camps d’extermination allemands.
Association des familles de victimes de combattants juifs.

Leszno 13, le siège des collaborateurs juifs du ghetto

Une cellule très active de collaborateurs juifs opéra durant la période du ghetto. Ce groupe qui comprenait entre 300 et 400 juifs avait ses quartiers au 13 de la rue Leszno. Elle était surnommée Trzynastka, du numéro de l’immeuble.

Abraham Gancwajch, chef de la cellule des collaborateurs juifs Leszno 13
Abraham Gancwajch, chef de la cellule des collaborateurs juifs Leszno 13 – Photo Jewish Historical Institute (ŻIH)

Officiellement dénommé Urząd do Walki z Lichwą i Spekulacją w Dzielnicy Żydowskiej w Warszawie, le bureau de lutte contre le marché noir et la spéculation dans le quartier juif de Varsovie, la cellule prenait ses ordres de manière informelle auprès de l’occupant allemand, plus particulièrement de la Gestapo. Les membres possédaient un uniforme et une casquette avec une bande verte. Le bureau était dirigée par Abraham Gancwajch, un ancien membre actif et leader du mouvement sioniste Hachomer Hatzaïr de Łódź. C’était un homme qui avait reçu une éducation traditionnelle juive et qui possédait un diplôme de rabbin. Avant la guerre, il enseignait l’hébreu et travaillait également comme journaliste.
Le groupe 13 possédait sa propre prison. Il était aussi surnommé la Gestapo juive. Il fallait s’acquitter d’une somme de plusieurs centaines de złoty pour être intégré dans le groupe.
Sous une couverture du contrôle du Judenrat et des activités de contrebande, les hommes infiltraient les organisations de résistance du ghetto. Ils représentaient une entité séparée du Judenrat, travaillant de manière autonome et prenaient leurs ordres directement de la Gestapo. Leurs activités s’étendaient aussi à l’extorsion de fonds, le racket et le chantage.
Au milieu de l’année 1941, deux collaborateurs du groupe, Moritz Kohn et Zelig Heller quittèrent la cellule 13 pour créer leur propre organisation.
En août 1941, à la demande de Adam Czerniaków, le président du Judenrat, le groupe fut inclus dans le service d’ordre du Judenrat, le Jupo (Jüdische Ghetto-Polizei). Les collaborateurs opéraient également dans la partie aryenne en se faisant passer pour des membres de la résistance juive. Leur but était de localiser et infiltrer les réseaux de résistance et d’aide aux juifs pour ensuite les dénoncer.
Ils organisèrent ensuite dans le ghetto leur propre service d’assistance médicale et d’ambulance et continuèrent leurs activités de contrebande. Ils tinrent le monopole des moyens de transport du ghetto, à savoir les rickshaws et les charrettes à chevaux. Ils tenaient même un bordel à l’hôtel Britania du 18 de la rue Nowolipie.
Des membres du réseau de collaborateurs furent pourchassés et tués par les organes de résistance du ghetto, l’Organisation Juive de Combat (Żydowską Organizację Bojową) et l’Union Militaire juive (Żydowski Związek Wojskowy) ainsi que par la résistance polonaise.
La plupart des collaborateurs furent tués par les allemands en avril 1942.
Abraham Gancwajch et quelques autres collaborateurs continuèrent à opérer en se faisant passer pour des membres de la résistance clandestine afin de pourchasser les polonais qui aidaient les juifs. Gancwajch passa du côté aryen où il continua à travailler pour les allemands. Des rumeurs rapportent qu’il serait mort en 1943 ou qu’il aurait ensuite collaboré avec le NKVD.
L’immeuble qui abritait la cellule de collaborateurs juifs existe toujours, il est aujourd’hui situé au 93 de l’avenue Solidarności.

Les catholiques juifs du ghetto de Varsovie

Une histoire méconnue

On évalue qu’au moment du bouclage du ghetto, à la fin de l’année 1940, 2000 chrétiens d’origine juive vivaient dans le ghetto.
Les raisons des conversions étaient très diverses. Pour certains juifs, cela était devenu une nécessité afin de pouvoir accéder à certains postes et positions professionnelles qui étaient devenus interdit aux juifs durant les difficiles années d’avant-guerre notamment dès 1935 avec l’activisme des mouvements nationalistes. De nombreux autres juifs se convertirent au début de la guerre, pensant que leur situation s’améliorerait, ce qui ne fut nullement le cas puisque pour les allemands ils restèrent des juifs. D’autres se retrouvèrent dirigés vers le ghetto car présents sur la liste du conseil central de la protection sociale alors dirigé par Adam Ronikier. Emanuel Ringelblum nota fin février 1941 que 20 familles catholiques d’origine juive entrèrent dans le ghetto, et parmi elles celle du professeur Ludwik Hirszfeld, co-découvreur du système de groupes sanguins ABO.

Eglise de Tous les Saints
Eglise de Tous les Saints sur la place Grzybowski en août 1940, petit ghetto (Cliquer pour agrandir) – Photo Referat Gabarytów
Certains membres de ces familles, d’éducation élevée, servirent au sein du Judenrat. Selon Emanuel Ringelblum, une centaine de juifs convertis servirent également dans la police du ghetto. Ils attisèrent l’animosité des juifs orthodoxes dont certains membres attaquèrent les convertis à coups de bâton sur le parvis de l’église de Tous les Saints (Kościół Wszystkich Świętych) de la place Grzybowski. C’est principalement dans le secteur du petit ghetto situé autour de cette place que se regroupèrent les catholiques juifs.
Ces chrétiens d’origine juive s’organisèrent et se rassemblèrent dans des appartements situés dans les immeubles des rues adjacentes à l’église, devenue dans le ghetto le lieu de culte où se retrouvaient ces juifs convertis, sous la houlette du vicaire Antoni Czarnecki. L’accès à l’office était réglementé par les allemands et la vie pastorale s’organisait dans le presbytère. Le prêtre Marceli Godlewski officiait également à l’église de Tous les Saints, les prélats bénéficiaient d’un laisser-passer pour entrer et sortir du ghetto. Ce prêtre était connu avant la guerre pour son antisémitisme militant.
Sa proximité avec la misère et les souffrances qu’il vit et perçut dans le ghetto l’amena a un changement profond d’attitude et de sentiments envers les habitants du ghetto. Il établit une relation profonde et particulière avec les juifs qu’en fait il ne connaissait pas vraiment avant la guerre si ce n’est à travers leurs traditions et modes de vie, les aspects théologiques et bibliques de la religion juive. Il s’investit activement par la suite dans l’aide et l’assistance aux juifs.
Les bâtiments de la paroisse furent utilisés pour loger aussi bien les juifs baptisés que d’autres non baptisés. L’approvisionnement en nourriture pouvait être réalisé avec l’aide de certaines missions soutenues par le Joint, l’organisation Caritas et de la contrebande. Ce fonctionnement dura jusqu’en décembre 1941, période à laquelle toute aide quelconque apportée aux juifs fut puni de peine de mort. Dès cette date, l’approvisionnement s’effectua par contrebande. Les juifs convertis pratiquants, les juste baptisés non pratiquants, des chrétiens d’autres confessions, des juifs assimilés non convertis se retrouvaient dans l’église, qui avait été partiellement détruite durant les bombardements de 1939. Beaucoup de ces chrétiens juifs retiraient leur brassard à l’étoile de David en pénétrant dans le lieu de culte.
En juillet 1942, peu avant le début des grandes déportations, le prêtre Antoni Czarnecki se rappelait, après guerre, de grands rassemblements dans l’église de plusieurs centaines de fidèles juifs convertis et quelques autres venus écouter les sermons sur fond de messages d’évangile et de patriotisme. Des funérailles catholiques furent aussi été célébrées dans le ghetto, les dépouilles étant menées jusqu’aux portes du ghetto puis dirigées vers le cimetière chrétien de Bródno sur l’autre rive de la Vistule, accompagnés des seuls prêtres.
Les catholiques juifs figurèrent pamis les premiers convois lors des déportations de juillet 1942 vers le camp d’extermination de Treblinka.
Dans la paroisse de l’église de Tous les Saints, les baptêmes étaient organisés autour d’une préparation de 6 semaines environ à ce sacrement. Cette préparation, rapportée dans un témoignage après la guerre dut être suivie au début de la période du ghetto, mais avec le temps et les conditions infernales de l’enfermement, la démarche prit certainement une autre tournure plus rapide. Le professeur Ludwik Hirszfeld agit à plusieurs reprises en tant que parrain et rapporta que nombre de ces baptêmes étaient aussi guidés par une réelle foi pour ces juifs vers leur nouvelle religion, dans ces temps dramatiques. Beaucoup de ces nouveaux baptisés appartenaient à l’intelligentsia. La dernière messe fut célébrée dans l’église de Tous les Saints le 9 juillet 1942. Le presbytère fut détruit le 6 août suivant. Les paroissiens furent conduits vers Umschlagplatz puis déportés vers le camp d’extermination de Treblinka. Des catholiques juifs purent s’échapper durant les périodes de déportations et survivre à la guerre.

Marceli Godlewski
Marceli Godlewski
Le prêtre Marceli Godlewski (1865-1945) fut honoré du titre de Juste parmi les Nations en octobre 2009. Durant cette tragique période, il cacha, aida et secouru de très nombreux juifs dont la liste est visible sur le site de Yad Vashem.
Parmi les personnes secourues et sauvées, Wanda et Krzysztof Zamenhof, le petit-fils du célèbre créateur de la langue esperanto, Ludwik Zamenhof.
La Fondation Raoul Wallenberg dévoile une plaque House of Life dans l'église de Tous les Saints à Varsovie
La Fondation Raoul Wallenberg dévoile une plaque House of Life dans l’église de Tous les Saints à Varsovie – Photo Marek Dusza

En 2017, à l’initiative de la Fondation Raoul Wallenberg, une plaque House of Life a été dévoilée sur le site de l’église de Tous les Saints en mémoire de cette période et de l’aide apportée aux juifs par les prélats.
Liste des abonnés du téléphone de la paroisse pour la période 1938-1939 (ks. – ksiądz, prêtre):
Berent Bracia, fabryka maszyn i przyb. druk.
Chojnacki Piotr, ks., prof. Uniw. J. P.
Dziewanowski Dominik, ks.
Godlewski Marceli, ks. m.
Makowiecki F(r)anciszek, fabr. siatek i ogrodzeń drucianych
Mężyński Franciszek, ks.
Parafia Wszystkich Świętych
Rutkowski Wacław, ks.
Sadłowski Wł., przeds. rob. zduńskich i skład kafli
Sztompka Feliks
Tan Feliks, ks.

La marche de la mort

Des routes, des victimes, des monuments

Dès le milieu de l’année 1944, l’offensive de l’Armée rouge contre les armées du Reich est lancée vers l’ouest. Face à cette avancée, les allemands décident de procéder à l’évacuation des prisonniers des camps d’Auschwitz et de 27 sous-camps rattachés. Entre le 17 et le 21 janvier 1945, c’est pas moins de 56 000 prisonniers qui s’élancent en colonne sur les routes de Silésie en direction de l’ouest, vers l’Allemagne.
Cette marché forcée empruntera deux routes différentes mais pas très éloignées à travers la Haute-Silésie. Un premier mouvement s’effectue en direction de Wodzisław Śląski (Loslau) sur une distance d’environ 65 kilomètres. Le second tracé s’élancera en direction de Gliwice (Gleiwitz) puis Prudnik (Neustadt) pour une partie des prisonniers; un parcours plus long.
> Route 1 – Auschwitz – Wodzisław Śląski (cliquer pour découvrir les étapes, les monuments)
> Route 2 – Auschwitz – Gleiwitz (à venir)

Retour des stèles juives dans les cimetières

Ultimes retours vers le lieu du repos

On observe une tendance assez symptomatique en Pologne depuis plusieurs années. Nombre de polonais ramènent dans les cimetières des stèles et des morceaux de stèles juives qu’ils ont découverts lors de travaux, suite à un achat d’immobilier dans l’ancien, lors d’une succession, essentiellement à la campagne et dans les petites villes. Ces éléments de monuments funéraires avaient été dérobés après la guerre ou revendus lorsque les autorités municipales de l’époque démantelaient un cimetière juif dans le cadre de la réalisation d’un projet urbain. Ainsi là où reposaient autrefois des hommes, des femmes et des enfants qui faisaient vivre ces communautés juives de Pologne se dresse aujourd’hui, ici un parc (Toruń), là une cour de récréation d’école (Kazimierz Dolny), plus loin une gare routière (Przeworsk), plus loin encore une entreprise (Kępno), ici un bois (Sobota), là un terrain vague (Bielawy), ici encore un lotissement d’immeubles d’habitations édifié durant le communisme (Grajewo).
Ces stèles ainsi démantelées furent transportées vers d’autres endroits et réutilisées souvent comme matériaux de terrassement, de fondation pour des constructions et pour consolider des berges de rivières. Ce pillage commença durant la guerre, période la plus active dans le démantèlement des nécropoles juives. Un commerce qui se mit en place, sous l’autorité allemande dans la majorité des cas, et des entreprises locales profitèrent de ce marché de la pierre pour revendre les matériaux.

Une stèle juive utilisée comme élément de fondation dans une grange dans le village de Milejczyce
Une stèle juive utilisée comme élément de fondation dans une grange dans le village de Milejczyce (Cliquer pour agrandir) Photo Materiały Towarzystwa Inicjatyw Twórczych ‘Ę’

Après la guerre, dans un pays dévasté où tout manquait, nombre de polonais allèrent s’approvisionner en matériaux dans les cimetières déjà en grande partie dévastés et démantelés. Souvent les murs de clôture furent aussi démontés et les briques récupérées.
La Pologne comptait environ 1400 cimetières juifs avant la guerre. Le pays, rappelons-le, était territorialement situé plus à l’est puisqu’il englobait une partie de la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine occidentale (Galicie). Quasiment tous les cimetières, encore intacts au début de la guerre, furent dévastés par les allemands dès 1939-1940 pour la partie occidentale actuelle de la Pologne, et dès 1941 pour la partie orientale, suite à l’invasion de l’URSS qui jusque là, alliée des nazis, avait occupé la Pologne orientale. La dévastation signifiait le démantèlement des tombes juives afin de les réutiliser. Donc au-delà d’un marqueur identitaire à éradiquer perçait un profit économique. Cette opération participait à l’effacement de la présence et de l’histoire juives dans des villes et des bourgades où s’étaient établies ces communautés plusieurs siècles auparavant. Les synagogues et maisons de prières subirent le même sort et nombre d’entre-elles disparurent. D’autres furent réutilisées pour d’autres fonctions, ce qui paradoxalement les sauvèrent jusqu’à aujourd’hui, mais au prix d’une destruction irrémédiable de leurs décorations et aménagements intérieurs.
Aujourd’hui, on doit dénombrer plus de 800 cimetières juifs en Pologne, le pays ayant perdu 30% de ses territoires après le redécoupage entérinée lors de la conférence de Yalta en 1945.
Si l’essentiel de ces stèles fut réutilisé comme matériaux, un certain nombre d’autres, à la campagne notamment, fut recyclé en meules à aiguiser. Aussi n’est-il plus anecdotique d’observer dans un cimetière juif, dans un coin posée contre un mur, un objet en pierre de forme circulaire et percé d’un axe généralement carré, qui n’est autre qu’une meule. Mais une meule spéciale puisque on peut toujours lire d’un côté des caractères hébraïques.
Une "meule juive", taillée dans un stèle funéraire et ramenée au cimetière juif de Varsovie
Une « meule juive », taillée dans un stèle funéraire et ramenée au cimetière juif de Varsovie (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com

Dans les cimetières juifs de l’actuelle Pologne occidentale, des anciennes provinces allemandes d’avant guerre (dont certaines provinces étaient historiquement polonaises), les cimetières furent également dévastés durant la guerre et aussi après la guerre par des populations polonaises transférées depuis les territoires de l’est où elles vivaient depuis des générations, des territoires devenus étrangers après Yalta. Ces stèles aux inscriptions hébraïques et/ou allemandes subirent le même sort qu’à l’est. De plus, les cimetières juifs allemands recelaient de monuments funéraires réalisés avec des matériaux nobles comme le marbre noir. Beaucoup d’entre-eux furent retaillés et réutilisés comme monuments funéraires chrétiens sans forcément que les familles des défunts eussent connaissance de la provenance exacte du marbre ou de l’élément en marbre. Il est à noter que les cimetières allemands, les plus nombreux dans cette nouvelle partie occidentale de la Pologne subirent un destin tragique puisqu’ils disparurent presque tous. Il s’avère qu’aujourd’hui en Pologne, les cimetières qui ont été le plus dévastés ne sont pas juifs mais allemands.
Lors d’une visite au cimetière juif de Przemyśl, en Pologne sud-est (Galicie), quelle n’a pas été ma surprise de voir quelques stèles juives réalisées dans des stèles qui avaient été réutilisées.
Démantèlement d'un pont enjambant la rivière Mrożycy dans la commune de Brzeziny et qui avait été construit par les allemands durant la guerre, en vu de retourner les stèles dans le cimetière juif local.
Démantèlement d’un pont enjambant la rivière Mrożycy dans la commune de Brzeziny et qui avait été construit par les allemands durant la guerre, en vu de retourner les stèles dans le cimetière juif local. (Cliquer pour agrandir) Photo Fot. Marcin Stępień / Agencja Gazeta
Depuis des années, avec les nombreux travaux de modernisation du pays, on redécouvre des pierres tombales qui avaient été employées comme terrassement sous des routes, sous des places. Les stèles sont systématiquement rassemblées et généralement retournées au cimetière juif lorsque celui-ci n’a pas complètement disparu. Lorsque c’est le cas, en concertation avec les communautés juives, des monuments (Pułtusk) ou des lapidariums (Ostrów Wielkopolski) sont érigés avec les restes de ces stèles.
Très rare, mais visible, une tombe chrétienne réalisée à partir d'une stèle juive et dont les inscriptions en partie effacées subsistent
Très rare, mais visible, une tombe chrétienne réalisée à partir d’une stèle juive et dont les inscriptions en partie effacées subsistent (Cliquer pour agrandir) Photo Łukasz Baksik

Si les polonais dans leur ensemble n’ont pas une connaissance très précise de ce que fut l’histoire des communautés juives de Pologne, une histoire longtemps occultée durant le communisme, nombre d’entre-eux comprennent l’importance et la signification de ces monuments funéraires. En effet, les polonais visitent et entretiennent très régulièrement les tombes de leurs familles dans les cimetières chrétiens, aussi ces nouvelles générations, mais pas seulement, qui découvrent une pierre sur laquelle apparaissent des caractères hébraïques comprennent bien la signification et l’histoire de ces morceaux de stèles et, très souvent de leur propre initiative, retournent au cimetière juif local, ces vestiges qui témoignent de cette histoire anéantie.
Cependant, l’immense majorité de ces pierres tombales reste enfouie et cachée dans des fondations, dans des murs, et une partie de celles qui ont été remises au jour terminent dans un enfouissement de gravas ou disparaissent à jamais.
Souvent, dans les vieux cimetières juifs, essentiellement à l’est, les plus anciennes stèles sont demeurées, car la taille et la gravure de monuments funéraires et de pierres tombales décorées n’étaient pas à l’origine une tradition juive, mais une coutume plutôt inspirée des monuments funéraires chrétiens. Les pierres tombales des gens modestes, les tombes anciennes, étaient surmontées par des rochers de granit de diverses tailles sur lesquels avaient été gravées quelques épitaphes. Ces rochers, moins pratiques à transporter et à réutiliser sont souvent restés sur place.
Dans l’histoire, des cimetières juifs avaient été démantelés dans des communes car édifiés à l’origine non loin des centres villes et furent déplacés en raison du développement de l’habitât. Qu’ont pu devenir les stèles de cette époque, nul ne le sait. Durant la première moitié du XVIIème siècle, le (premier) cimetière juif de Varsovie fut démantelé après l’expulsion des juifs de la vieille ville. Il se dit qu’une partie des pierres tombales fut réutilisée pour la construction de fondations dans la vieille ville, mais à ce jour on n’a pas retrouvé la moindre trace, ni d’ailleurs de ce cimetière qui se dressait alors aux alentours actuels de l’hôtel Bristol et de la rue Karowa.

Changement de comportement *

Au printemps 2017, 38 stèles furent ramenées au cimetière juif de Ciechanowiec. Ce cimetière dont le mur d’enceinte fut reconstruit en 2008 comportait à peine une vingtaine de tombes. Depuis quelques années, les habitants commencèrent à rapporter des stèles qu’ils avaient retrouvées et aujourd’hui on dénombre plus de 70 tombes dans le cimetière.
Lorsque ces stèles réapparaissent, c’est aussi des morceaux de vie qui resurgissent. Ce fut le cas à Otwock (sud-est de Varsovie) où un habitant déterra 3 stèles juives. Il signala sa découverte au Musée Juif de Varsovie, et on pu découvrir des personnes derrière ces pierres : la tombe de Awraham Józef Zylbersztajn originaire de Sobolewo, qui mourut en 1917; celle de Miriam Messing, morte en 1926, et celle de Iska Fajga, décédée en 1938, la fille du rabin Chaim Icchak Płocki de Turk et petite-fille d’un rabin très connu, Meir Dan Płocki de Ostrów Mazowiecki. Les stèles furent rapatriées au cimetière de Otwock en juin 2017 par les autorités locales.

Une des stèles retrouvées lors des tavaux à Wrocław
Une des stèles retrouvées lors des tavaux à Wrocław – Photo Ryszard Bielawski
Lors de travaux de fondation d’un hôtel réalisés par un investisseur à Wrocław, des ossements apparurent là où se trouvait autrefois le cimetière juif de la rue Gwarna, démantelé durant l’ère communiste. On fit appel à des archéologues qui mirent au jour 150 restes humains ainsi que des morceaux de tombes. L’ensemble fut transféré vers le cimetière juif de la rue Lotnicza.
A Góra Kalwaria, une ville située au sud de Varsovie, on mis au jour plusieurs dizaines de tombes juives qui avait été utilisées comme matériaux de terrassement pour la place du camp de prisonniers de guerre russes, qui avait été établi par les allemands. On ramena les tombes au cimetière juif.

D’autres stèles encore ont été mises à jour et cela n’est pas terminé pour 2017.
Ewa Krychniak et la stèle funéraire juive qu'elle a pu sauver et qui était utilisée comme établi par un menuisier
Ewa Krychniak et la stèle funéraire juive qu’elle a pu sauver et qui était utilisée comme établi par un menuisier – Photo Mirosław Szut
Beaucoup plus rare et qui mérite d’être souligné, une stèle qui avait été réalisée en fonte a été retrouvée à Sokółka (région est) par une habitante du lieu, Ewa Krychniak, une institutrice et bibliothécaire. Cette stèle a été retrouvée dans l’atelier d’un menuisier, qui l’utilisait comme établi. Il s’agissait de la tombe de Masza Lei, fille de Yakov. Afin que l’objet précieux ne soit pas la convoitise de collectionneurs peu scrupuleux, et qui aurait pu être dérobée si la stèle avait été ramenée au cimetière, elle fut envoyée au Musée Régional de Sokółka afin d’être préservée.
* source Virtual Shtetl

La fondation From the Depths

Jonny Daniels, sur les rives de la Vistule à Varsovie durant l'été 2015, lors de la découverte de pierres tombales juives
Jonny Daniels, sur les rives de la Vistule à Varsovie durant l’été 2015, lors de la découverte de pierres tombales juives (Cliquer pour agrandir) AP Photo / Czarek Sokolowski
Jonny Daniels, juif anglo-israélien, et qui s’investit depuis des années en Pologne à travers sa fondation From the Depths, dont il est le fondateur et le directeur, oeuvre activement à la récupération et au retour des stèles vers les cimetières. Son action de terrain, peu soutenue par les communautés juives du pays, s’inscrit dans une démarche complémentaire et volontaire qui implique directement les polonais et les autorités locales qui participent pleinement à ses actions. Une de ses premières actions médiatisées a été le retour de plusieurs palettes de morceaux de tombes juives au cimetière juif de Bródno à Varsovie, stèles qui avaient été utilisées durant la période communiste pour édifier une pergola et des murets dans un jardin du quartier de Praga. Plusieurs retours de stèles funéraires ont également été organisés au cimetière de Varsovie et à d’autres endroits avec le concours d’une association culturiste polonaise, car il ne faut pas oublier que rapatrier de telles masses de granit nécessite des moyens conséquents ainsi qu’une force humaine pour les déplacer. Dans un village, c’est avec l’aide des sapeurs pompiers que des stèles d’un cimetière juif ont pu être relevées. La fondation est également intervenu à de multiples endroits en Pologne, comme par exemple à Słomniki, une petite ville située au nord de Cracovie, ou plusieurs pavées de la grande place centrale qui s’étaient révélés être des morceaux de tombes juives ont pu être retournés au cimetière local avec l’aide de la municipalité. C’est aussi au zoo de Varsovie que des éléments de stèles ont été identifiés.
Une équipe de l'association polonaise Strongmen déplace un monument funéraire juif sous l’œil attentif de Jonny Daniels dans le cimetière de Varsovie
Une équipe de l’association polonaise Polish Strongman déplace un monument funéraire juif sous l’œil attentif de Jonny Daniels dans le cimetière de Varsovie (Cliquer pour agrandir) Photo info. nadesłana