Mémoire vs marteau, le combat inégal

Destruction d’un mémorial à Rajgród

Rajgród, nord-est de la Pologne, voïvodie de Podlachie.
Le mémorial à la mémoire des juifs de Rajgród a été sévèrement endommagé par des individus qui n’ont à ce jour pas été retrouvés par les services de police de Grajewo. La date exacte du dommage n’a pu être précisée.

Mémorial de Rajgród
Mémorial de Rajgród (Cliquer pour agrandir) – Photo Police de Grajewo

Ce monument se trouve sur le site de l’ancien cimetière juif, sur un terrain aujourd’hui sous l’autorité de l’administration des forêts et non des autorités de la ville de Rajgród. Son isolement a facilité sa dégradation qui a nécessité un certain outillage, un acte donc forcément prémédité de par la structure même du monument et perpétré très certainement à l’aide au moins d’une masse amenée sur place par des individus.
Une entreprise locale de construction a proposé bénévolement de procéder à la réparation du monument, toujours est-il que celle-ci ne pourra restituer dans son originalité la création car les sections formant l’étoile de David ont été réduites en pièces. Les autorités communales ont fait part de leur déception et l’administration des forêts a indiqué qu’elle procéderai à un renforcement des mesures de sécurité. Toujours est-il qu’il est bien difficile de surveiller des sites excentrés en pleine nature, comme souvent cela est le cas avec les cimetières juifs.
Le mémorial lors de son inauguration en septembre 2014
Le mémorial lors de son inauguration en septembre 2014 (Cliquer pour agrandir) – Photo Paweł Wądołowski
De nombreux monuments ont été érigés à travers la Pologne depuis des années afin de perpétuer le souvenir des communautés juives disparues durant l’holocauste. Parfois, ils rappellent dans certains lieux des événements tragiques où l’histoire locale se confond ou prend part avec la tragédie des juifs. Ces actes qui tendent à vouloir effacer de l’histoire locale, à éradiquer la présence juive disparue, témoignent de l’importance de l’enseignement et de l’éducation auprès des nouvelles générations et du public.
J’entends d’ici les protestations véhémentes, à juste titre, de mes compatriotes et d’autres, aussi je leur rappellerai les 200 tombes juives fracassées du cimetière juif alsacien de Sarre-Union, acte intervenu durant une période avoisinante à la destruction décrite dans ces lignes pour ne parler que de cet événement.

79 ans après la fin de la guerre, le monument avait été inauguré le 18 septembre 2014 et érigé en bordure de l’ancien cimetière juif aujourd’hui disparu; il avait été l’objet d’un long travail concernant sa conception et son financement.
Karen Kaplan, la fille de Awrum Szteinsaper, un juif né à Rajgród et qui avait survécu à la guerre, après avoir perdu ses proches et s’être caché dans les bois, avait eu l’initiative de ce projet avec Avi Tzur et Risa Dunni. C’est après sa visite à Rajgród en 2011 qu’elle avait décidé de s’investir dans la réhabilitation du cimetière juif avec l’édification d’un mémorial.
Le monument avait été réalisé par le sculpteur israélien Chen Winkler, en Israël, et avait été transporté par bateau jusqu’à Gdańsk puis dirigé par camion jusqu’au site. L’opération avait été encadrée et menée par la fondation pour la préservation de l’héritage juif en Pologne (Foundation for the Preservation of Jewish Heritage in Poland – FODZ). Les fonds récoltés pour le financement du mémorial provenaient principalement des descendants de la communauté juive de Rajgród.

Le monument par sa forme rappelle celle des tombes juives. L’étoile de David symbolisée ici par son absence et barrée par une séparation verticale dépeint la rupture de la vie, de la longue présence de la communauté juive qui vivait ici, à la manière des cassures symbolisées par les arbres coupés ou les chandelles de shabbat brisées que l’on retrouve gravés sur les stèles juives.

Le cimetière juif et les synagogues de Rajgród avant la guerre
Le cimetière juif et les synagogues de Rajgród avant la guerre (Cliquer pour agrandir) Carte igrek.amzp.pl

Les premiers juifs se sont établis à Rajgród durant la seconde moitié du XVIème siècle. Au milieu du XIXème siècle, c’était alors un véritable shtetl avec 86% de juifs. Après la première guerre mondiale, la population déclina jusqu’à 745 juifs. Durant la guerre, un ghetto fut établi en 1941. Une centaine de juifs furent tués durant la période du ghetto. Il fut liquidé en 1942 et les juifs déportés vers la ville voisine de Grajewo, de là vers le camp de travail de Bogusz puis vers le camp d’extermination de Treblinka.

Sources : Virtual Shtetl, Samuel Gruber’s Jewish Art & Monuments.