La répression en Pologne occupée

Entre dénonciation de son voisin et sauvetage des juifs

Les 6 et 7 décembre 1942, suite à une dénonciation les informant que les familles Skoczylas et Kosiorów cachaient des juifs, les allemands se rendirent à Rekówka et à Stary Ciepielów, 2 hameaux de la commune de Ciepielów située à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Radom, pour arrêter les polonais et les juifs qu’ils aidaient.
Dans une ferme du premier hameau, ils découvrirent dans la cuisine, une trappe qui permettait d’accéder à une cache, mais celle-ci était vide. Ils questionnèrent les membres présents des familles Skoczylas et Kosiorów qui partageaient la même ferme mais n’obtinrent aucune réponse. Ils les exécutèrent, soit 14 membres de la famille Kosiorów et le couple Skoczylas. Les allemands les enfermèrent dans la grange située derrière la ferme et l’incendièrent. 2 garçons réussirent à s’échapper mais ils furent abattus dans leur fuite. Dans le second hameau, ils exécutèrent 6 membres de la famille Obuchowicz et 6 membres de la famille Obuchów. Ce jour là, 33 polonais furent tués dans le secteur de Ciepielów.

En 2014, apprenant cette histoire, Jonny Daniels, le fondateur de l’organisation From the Depths, qui oeuvre notamment pour la récupération et le retour des pierres tombales vers les cimetières juifs, stèles que l’on retrouve un peu partout à travers le pays; se rendit à Rekówka et ouvrit cette trappe qui avait été condamnée depuis la guerre. La cache était restée intacte depuis cette période.

Jonny Daniels
Jonny Daniels accède à l’ancienne cache des juifs (Cliquer pour agrandir) © Elan Kawesch

Durant ce tragique événement, toute la famille Kosiorów fut tuée dans la grange. Aujourd’hui, un descendant des enfants de la famille Skoczylas habite cette ferme. C’est lui qui a indiqué à Jonny Daniels, l’endroit où une dizaine de juifs se cachaient, dans le sous-bassement de la cuisine, et d’où ils s’étaient absentés avant l’arrivée des allemands pour aller chercher de la nourriture en forêt. On ne sait ce qu’il advint d’eux. Mr Skoczylas fit part de son désir un jour d’entrer en contact avec des descendants de ces juifs autrefois cachés là, s’il y en avait.
Il ajouta que «sa famille avait aidé des juifs, mais n’attendait rien en retour. Ils ne pensaient pas au danger que cela impliquait et les conséquences».

Andrzej Skoczylas, le petit-fils de Piotr Skoczylas tué par les allemands
Andrzej Skoczylas, le petit-fils de Piotr Skoczylas tué par les allemands © www.zyciezazycie.pl

Sur ce plan-là,je suis plus réservé, car les polonais savaient parfaitement ce qui les attendait si on découvrait qu’ils cachaient des juifs, c’était la mort. En Pologne, durant la guerre, porter assistance à des juifs de quelque manière que ce soit, cacher des juifs était puni de mort et la sanction était immédiatement appliquée par l’occupant. De fait de très nombreux polonais et leur famille ont été exécutés. Mais dans les campagnes polonaises où les allemands n’avaient pas une connaissance précise de l’environnement, c’est pratiquement dans tous les cas suite à des dénonciations que des juifs furent ainsi découverts, arrêtés et exécutés, et avec eux, les polonais qui les protégeaient.

On évalue à 10% le nombre de juifs qui s’échappèrent des ghettos, et une faible partie, des trains en partance pour les camps ou de camps; sur le territoire du Gouvernement Général, hors district de Białystok et de Galicie. On avance le chiffre de 160 000 juifs qui se réfugièrent dans des abris, des caches, des forêts, chez l’habitant, dans les campagnes. Le nombre de survivants est évalué entre 30 000 et 60 000 personnes au grand maximum (source Krzysztof Persak). Ce qui signifie que des dizaines de milliers de juifs ont péri suite à des dénonciations, mais pas seulement. Énormément sont également morts suite à des meurtres perpétrés volontairement par des paysans pour des raisons diverses, notamment l’appât du gain, des biens juifs sous forme d’extorsion, de vols, l’obtention d’une récompense de la part de l’occupant (du sucre souvent, denrée rare durant la guerre), suite à des battues organisées soit par l’occupant, soit avec le concours des locaux. Beaucoup de juifs vivaient dans les forêts et se déplaçaient constamment, s’abritaient dans des granges et diverses caches. La plupart faisaient du trocs, revendaient ce qu’il leur restait pour acheter de la nourriture, faisaient des petits travaux quand ils possédaient des papiers (faux), mais généralement ils changeaient très souvent d’endroits. Le danger était partout, permanent, aussi bien du côté allemand que polonais. Les histoires de dénonciations, d’arrestations, de chasses et de meurtres perpétrés par des polonais sont terribles. Et la répression exercée par les allemands sur les polonais l’était également. Aussi, beaucoup de paysans aidaient malgré tout des juifs en fonction de leur situation, souvent pauvre et miséreuse durant cette époque. Mais peu les accueillait chez eux car la peur des risques encourus pour soi et sa famille, d’une dénonciation, ne serait-ce que d’avoir été vu avec un juif, était telle que ceux qui cachaient effectivement des juifs arrivaient jusqu’à une certaine mesure à surmonter cette terreur.
L’un des plus tragiques épisodes durant la guerre en Pologne à propos du sauvetage de juifs concerne le massacre de la famille Ulma en mars 1944 durant lequel le couple, Józef et Wiktoria (alors enceinte de presque neuf mois), et les 6 enfants en bas âge furent exécutés pour avoir caché chez eux 7 juifs qui également furent exécutés. La terreur fut telle dans le village de Markowa où s’était passé le drame et dans les environs, que l’on retrouva le lendemain les corps d’une vingtaine de juifs dans les champs avoisinants, juifs qui pourtant vivaient cachés depuis plus d’un an chez des locaux. La peur engendrée par la répression exercée sur la famille Ulma et celle de la dénonciation éventuelle par des juifs qui seraient interrogés par les allemands s’ils venaient à être pris, fit que des polonais en arrivèrent au point où ils tuèrent les juifs qu’ils avaient aidé, pour protéger leur famille.

Les polonais qui ont péri en cachant des juifs sont morts suite à des dénonciations, essentiellement de la part de leurs voisins. Aussi porter assistance à des juifs durant la guerre avait pris une dimension tout à fait extraordinaire et demandait en dehors du courage et du sang froid dont il fallait faire preuve, une prise de responsabilité extrême qui impliquait directement tous les membres présents sous le toit, les juifs et les membres de sa famille.
Aussi faut-il comprendre que cette prise de décision avait un tout autre sens en Pologne occupée.

Aide et répression en Pologne occupée
Aide et répression en Pologne occupée (Cliquer pour agrandir) – Carte www.zyciezazycie.pl
Cartes ci-dessus: les repères concernent essentiellement des personnes et leur famille qui ont été honorées du titre de Juste parmi les Nations par Yad Vashem. Source Życie za życie – En mémoire des polonais qui ont risqué leur vie en sauvant des juifs. www.zyciezazycie.pl

D’après un article paru dans The Wall Street Journal et complété par d’autres sources.

Et vous, qu’auriez-vous fait ?

Marianna Krasnodębska, une Juste parmi d’autres

« Nous devions les aider, » dit-elle à propos des juifs. « C’était simplement le devoir de tout être humain. Ils nous avaient aidé aussi, comme cela est normal lorsqu’on vit ensemble. »

Marianna Krasnodębska
Marianna Krasnodębska (Cliquer pour agrandir) © Anna Musiałówna

Marianna vivait à Piaski, une ville près de Lublin. Son père était greffier, c’était une des élites de la ville; ils possédaient un immeuble et une grande ferme. Il y avait huit enfants dans la famille. Tous faisaient partie de la résistance (Armia Krajowa, armée de l’intérieur) depuis le début de l’occupation. Les allemands tuèrent 4 des frères de Marianna et son grand-père pour avoir hébergé des résistants. Son nom de code dans la résistance était «Wiochna».
« Avec une confiance déterminée et une réelle conscience » raconte-t-elle, « je peux dire qu’aucun des habitants de Piaski n’a trahi des juifs durant leur clandestinité. Ils ont pu être effrayés à l’idée de les aider, mais n’en ont dénoncé aucun. Il y avait 2 informateurs, mais ils furent exécutés par la résistance. »
Elle énumère les juifs cachés à Piaski. Nina Drozdowska de Varsovie qui était dans la famille de Janek Król, madame Makosiowa et son fils chez les Baranowski. Il y avait un petit garçon juif dans la famille Świtacz, un juif tchèque ou allemand chez les Siedliska, et une famille entière chez les Zajączkowski. Les Zajączkowski ont été d’un grand secours pour les juifs, également les prêtres, et aussi le docteur Bażański qui leur fournissait médicaments et bandages. Les amis de sa famille qui furent sauvés, avec leur aide, étaient: Godel Huberman, Mendel Plinka et Józef Honig avec son père et son frère.
Elle a relaté cette histoire dans son livre «Historiach mówionych» (Histoires racontées).
« Chaque guerre, » dit-elle, « apporte à la fois son lot de héros et de bêtes parmi les hommes. Et les gens sont les mêmes, quelle que soit la nation. »

Marianna Krasnodębska (et sa famille) a été honorée en 2001 du titre de Juste parmi les Nations pour le sauvetage de Józef, Moszek et Mordka Honig, Godel Huberman, Mendel Plinka, Aron Pindel, Hersze Apel, Icel Nudel, Mosze Susak, Szmul Wajzer, Szloma Tajerstan, Wolf Lewin et ses filles Hana et Gertrude. Marianna est née Jarosz en 1923.

La Pologne est le premier pays par le nombre de personnes honorées du titre de Juste parmi les Nations par Yad Vashem, mais en fait, j’ai l’intime conviction que ce nombre doit être beaucoup plus élevé. En effet, nombre de familles et polonais se sont tu à la fin de la guerre par peur de représailles pour avoir caché ou sauvé des juifs, de plus le sauvetage d’un seul juif, notamment en ville, nécessitait l’implication de nombreux polonais.

Beaucoup d’entre-vous qui lisent mes articles ne portent pas les polonais dans leur cœur, je peux le comprendre sans problème vu des réalités passées et également un bruit médiatique parfois loin de refléter les réalités de cette période de la guerre dans ce pays.
En Pologne occupée, le sauvetage de juifs avait pris une dimension tout à fait particulière. Aider un juif, lui donner à boire, à manger, le cacher était puni de mort. La sentence était exécutée sur le champ pour le contrevenant et pour les membres de sa famille, généralement devant la maison, au fond du jardin. Des centaines de polonais et de familles polonaises ont été exécutés de cette manière durant la guerre. Il est bon de le savoir.

Source: «Les polonais qui ont sauvé des juifs durant l’holocauste». Un livre édité par le Musée de l’Histoire des Juifs Polonais et par la Chancellerie de la présidence de la République de Pologne, et qui présente l’histoire de 128 Justes.

Partant du constat que votre famille était inévitablement condamnée s’il était advenu que l’on apprenne que vous cachiez des juifs chez vous, souvent par la dénonciation de voisins, qu’auriez-vous fait ? Telle est l’une des questions qui mérite d’être posée par tout un chacun avant de porter certains jugements à l’emporte-pièces.
Je pense que tous ces gens qui ont sauvé des juifs ne se sont finalement pas vraiment posé cette question.

Jan Żabiński, zoologue et bienfaiteur des juifs

Histoire d’un couple de Justes parmi les Nations

Jan Żabiński (1897-1974) était un physiologiste et zoologue. Il suivit des études universitaires à Varsovie et à Lublin. Il fut l’un des fondateurs du zoo de Varsovie et son premier directeur de 1928 à 1951 (zoo situé dans le quartier de Praga). Durant la guerre, avec l’aide de son épouse Antonina, il aida de nombreux juifs.
Durant l’entre-deux guerres, le zoo de Varsovie était l’un des plus grand d’Europe.
Une partie du zoo fut bombardée les premiers jours de septembre 1939 durant le déclenchement de la guerre, de nombreux animaux furent blessés ou tués. D’autres animaux épargnés furent expédiés vers l’Allemagne. Durant de nombreux mois des oiseaux exotiques et des aigles volèrent dans le ciel de Varsovie et des phoques cherchèrent refuge dans la Vistule, on vit également errer des chameaux et des lamas. Beaucoup d’animaux furent tués à la demande des autorités.
Durant le temps de l’occupation, le zoo fut fermé et par la suite les terrains furent utilisés pour les cultures potagères et l’élevage de porcs pour la population de Varsovie.
Beaucoup de gens cherchèrent un abri également dans le zoo, notamment des juifs échappés du ghetto.
De par sa qualité d’employé municipal, son statut lui permettait d’entrer dans le ghetto, au motif de surveiller les arbres des jardins publics qui se trouvaient dans le ghetto ou pour récupérer des déchets en vu de nourrir les porcs qui étaient élevés dans le zoo.

Jan Żabiński - Director of the zoo of Warsaw. Righteous among the Nations
Jan Żabiński

Il profita donc de cet accès pour rendre visite à des amis juifs et les aider. Lorsque la situation devint critique dans le ghetto, il offrit son aide à des juifs, aussi bien à ses anciens fournisseurs du zoo qu’à d’autres, inconnus, également par l’intermédiaire de l’organisation Żegota.
Il fournit aussi bien des papiers que des abris sur le terrain du zoo dans les enclos abandonnés, des souterrains ou comme dans sa maison à une douzaine de juifs. Parmi ceux hébergés, la famille Kenigswein qui fut cachée dans les bâtiments techniques du zoo et les enfants hébergés chez les Żabiński. Les juifs étaient régulièrement déplacés dans le zoo, parfois les cheveux teints en blond. Des résistants polonais trouvèrent également refuge dans le zoo.
Afin de prévenir de l’imminence d’un danger dans la maison, lors de visites inattendues, Antonina donnait le signal en entammant un air de l’opérette La Belle Hélène de Offenbach sur son piano.
En tant que lieutenant de l’Armée de l’Intérieur, Jan Żabiński participa à l’insurrection de Varsovie de 1944, il fut gravement blessé et envoyé comme prisonnier en Allemagne. Sa femme continua à apporter l’aide aux juifs rescapés des ruines du ghetto et de la capitale durant son absence.
Dès 1947, les 40 hectares du zoo furent clôturés et des travaux de restauration furent entrepris.


C’est en 1965 que Jan Żabiński et sa femme Antonina furent reconnus comme Juste parmi les Nations par Yad Vashem. Au moins une centaine de juifs ont été ainsi secourus par le couple Żabiński. Parmi les juifs cachés par le couple, on trouve la famille Lewi-Łebkowski, Maurycy Frenkiel, Wanda Englertowa, Mme Weiss, Mme Poznańska, la famille Keller, Jolanta Kramsztykówna, Marysia Aszerówna, Rachel Auerbach, la famille Kenigswein dont Regina Kenigwein la fille de Shmuel Sobol qui était l’un des fournisseurs en fruits et légumes pour les animaux avant la guerre, Magdalena Gross
Magdalena Gross était une sculptrice animalière qui se cacha plusieurs mois dans la maison des Żabiński.
Après la guerre, Jan Żabiński reprit ses activités de zoologue et la direction du zoo de Varsovie. Connu du public, il anima plus de 1500 conférences, notamment de vulgarisation à la radio polonaise.

Le 15 avril 2015 s’est tenu l’ouverture du musée de la villa où l’on pourra découvrir leur histoire ainsi que les pièces de la villa où ils vécurent et le sous-sol où vécurent cachés de nombreux juifs. Quelques sculptures de Magdalena Gross qui avait été cachée durant la guerre sont présentées dans le sous-sol.
Jonny Daniels dont l’organisation From the Depths travaille à la récupération des nombreux fragments de pierres tombales juives qui avaient été utilisées pour la reconstruction du zoo après la guerre et à leur retour vers le cimetière juif de Bródno, a apporté son soutien à l’ouverture du musée de la villa des Żabiński.
Moshe Tirosh, enfant juif sauvé par le couple Żabiński a participé à l’inauguration également en présence des enfants Żabiński, Ryszard et Teresa. Le grand pianiste polonais Janusz Olejniczak nous a offfert un concert en jouant notamment une pièce d’Offenbach que jouait Antonina Żabiński pour prévenir ses juifs lorsqu’un danger approchait.


Le zoo de Varsovie est aujourd’hui l’une des curiosités de la capitale à visiter. Comme de nombreux zoos à travers le monde, il permet la protection de nombreuses espèces. Il abrite également sur son site de nombreux vieux arbres dont certains multicentenaires.
» Le site web du zoo de Varsovie.

En 2017 sort sur les écrans le film The Zookeeper’s Wife réalisé par Niki Caro et qui retrace cet épisode de la vie des Żabiński durant la guerre et dont le scénario se concentre sur Antonina, dont le rôle est joué par l’actrice Jessica Chastain.

The zookeeper's wife
The zookeeper’s wife