Et l’Europe sera stupéfaite, un triptyque de Yael Bartana

And Europe will be stunned

Dans le cadre de l’exposition W sercu Kraju (au cœur du Pays) qui se tient au Pavillon Emilie Plater et qui présente une collection du Musée d’Art Moderne de Varsovie, est visible le triptyque vidéo de l’artiste israélienne Yael Bartana.
Cette création diffusée sous le titre And Europe will be stunned se compose de 3 courts métrages (60 mn au total) qui ont été réalisés en Pologne:

« Ce n’est pas que j’ai des solutions concrètes aux problèmes… J’analyse constamment les conditions humaines et les situations politiques. Est-il possible de créer cette réalité ou pas, telle est la question que je me pose. Tout le temps, je joue avec la réalité et la fiction, constamment je fais des allers et retours. C’est très ambivalent. Vous pouvez le lire comme une solution, mais pour moi, c’est plus comme une proposition et un questionnement sur la possibilité d’inverser l’histoire.»
Yael Bartana.

En 2011, Yael Bartana a représenté avec son triptyque la Pologne lors de la 54ème édition de la Biennale de Venise.

Mary Koszmary

L’action du premier volet du triptyque vidéo intervient au milieu d’un grand stade à l’abandon (l’ancien stade du 10ème anniversaire) où un jeune politicien, joué par Sławomir Sierakowski1, délivre un discours vibrant appelant au retour de 3,3 millions de juifs en Pologne, pays toujours marqué par l’antisémitisme, alors que de jeunes pionniers inscrivent sur le terrain la phrase :
3 300 000 juifs peuvent changer la vie de 40 000 000 de polonais.
La résonance du discours devant amener à la création d’un mouvement politique fictif, le Mouvement de Renaissance Juive en Pologne (Jewish Renaissance Movement in Poland – JRMiP) n’est pas sans rappeler le film de propagande nazi Le triomphe de la volonté.

Mur i wieża - Une tour et un mur © Yael Bartana
Mur i wieża – Une tour et un mur (Cliquer pour agrandir)
© Yael Bartana
1 Sławomir Sierakowski est le leader du mouvement d’intellectuels, activistes et artistes de gauche Krytyka Polityczna.

Mur i wieża

Le second volet met en scène la construction d’un kibboutz à Muranów, sur les lieux de l’ancien quartier juif (à l’emplacement même où se trouve aujourd’hui le Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne) par de jeunes gens membres du JRMiP. L’image rappelle en arrière plan celles des pionniers sionistes en Palestine ou la propagande du rêve socialiste à l’est. La construction se termine avec l’érection de la tour et le déploiement du drapeau du Mouvement, apporté par son leader Sławomir Sierakowski, l’aigle polonais associé à une étoile de David. En arrière plan, le monument des héros du ghetto nous ramène à la réalité historique des lieux. Le film s’achève avec un groupe de ces jeunes se reposant, allongés les uns sur les autres, où la suggestion de corps empilés et la silhouette du Kibboutz avec ses barbelés rappellent des images sinistres du passé avec toujours ce retour suggéré sur l’histoire.

Zamach - L'attentat © Yael Bartana
Zamach – L’attentat
© Yael Bartana

Zamach

Le troisième volet du triptyque met en scène les funérailles du leader après son assassinat (filmé dans la grande salle des congrès du Palais de la Culture) et un grand rassemblement (filmé sur la place Piłsudski) ou une foule écoute dignement et religieusement diverses personnalités dont certaines réelles faire l’éloge du leader dont une statue dans le plus pur style communiste a été érigée, le tout filmé comme une retransmission télévisée où la caméra s’attarde sur des visages anonymes dans la foule. Le mouvement a trouvé son mythe avec la mort de son leader, l’histoire peut commencer.
Ou n’est-ce qu’une utopie ?

Les différents plans de ces 3 films, aux premiers abords simples dans leur démonstration s’avèrent beaucoup plus complexes et amènent le spectateur à des retours incessants sur l’histoire, sur l’actualité, à une réflexion plus profonde où émergent des questions sur les nationalismes, l’antisémitisme et au delà sur le sionisme, la colonisation israélienne et le droit au retour pour les palestiniens et plus simplement la cohabitation de peuples d’origines diverses.
C’est un incessant va et vient entre réalité et fiction où chaque séquence requiert du spectateur une seconde lecture, plus universelle.

Le Mouvement de Renaissance Juive en Pologne a été créé par Yael Bartana en 2007 et le premier symposium du mouvement s’est tenu à Berlin en 2011 où des membres issus de diverses nationalités se sont réunis pour débattre d’un futur pour repenser une Europe et une Pologne des peuples.
Utopie ou prospective ? chacun se fera son idée.

» Le site du Mouvement de Renaissance Juive en Pologne (Jewish Renaissance Movement in Poland – JRMiP)

The Jewish Renaissance Movement in Poland - A Manifesto
Le manifeste du Mouvement de Renaissance Juive en Pologne (cliquer pour agrandir) © JRMiP
Egalement exposés à la galerie jusqu’au 6 janvier 2014, les œuvres de Jonathan Horowitz – Arbeit Macht Frei et de Zbigniew Libera – Lego camp de concentration.