La Route de Birkenau selon Oskar Hansen

Un projet singulier pour commémorer les victimes du camp de la mort

En janvier 1957, un concours international initié par une organisation de survivants de l’Holocauste basée à Vienne et l’Union Internationale des Architectes, fut lancé afin d’édifier un monument à la mémoire des victimes du camp de Auschwitz-Birkenau.
Le sculpteur anglais Henry Moore fut nommé président du comité pour la commémoration d’Auschwitz et le jury international était composé entre autres de Odette Elina, une artiste française, les architectes Giuseppe Perugini de Milan, Jacob Bakema de Rotterdam, le sculpteur polonais August Zamoyski, le critique d’art Pierre Courthion.

La Route-The Road, projet de mémorial par Oskar Hansen pour le camp de Birkenau
La Route-The Road, projet de mémorial par Oskar Hansen pour le camp de Birkenau
Source Musée d’Art Moderne de Varsovie
(Cliquer pour agrandir)

Parmi les candidats de ce concours, un projet innovant et atypique se singularisa à travers la vision de l’architecte polonais d’origine finlandaise Oskar Hansen (1922-2005) et de son équipe qui était composée de Zofia Hansen, Jerzy Jarnuszkiewicz, Edmund Kupiecki, Julian Pałka et Lechosław Rosiński. Cette vision singulière consistait à entreprendre un projet radical qui allait au delà de la notion de monument pour envisager et englober tout le camp dans une approche monumentale unique libre de toutes réalisations sculpturales ou de monuments.

Leur proposition consistait à ériger un axe rectiligne qui traversait le camp de part en part, dans une diagonale d’est en ouest, au moyen d’une voie surélevée qui aurait été réalisée à l’aide de pavés noirs, sur une longueur d’un kilomètre et une largeur de soixante-dix mètres. Sur ce passage qui aurait été dénommé La Route (The Road), les visiteurs auraient entrepris leur visite mémorielle.

Détail du projet de Oskar Hansen pour le mémorial du camp de Birkenau
Détail du projet de Oskar Hansen pour le mémorial du camp de Birkenau
Photo © César Delgado Martìn
(Cliquer pour agrandir)

Cette expérience devait symboliser un passage de la vie vers la mort à travers un espace temps figé durant la traversée de l’ancien camp laissé à lui-même, puis un retour vers la vie.
Les vestiges que cette route traverserait auraient été maintenus isolés des visiteurs, tandis que toutes les autres parties du camp comme la rampe, les baraques existantes, les cheminées et tous les éléments encore visibles aujourd’hui auraient été laissés en l’état, pétrifiés, inaccessibles, figés dans un temps passé que la nature aurait petit à petit recouvert. Les survivants souhaitaient alors que les lieux restent tels qu’ils étaient à la fin de la guerre. Les visiteurs auraient alors pu laisser une carte ou tout autre artefact de leur passage sur le bord de cette route. La sinistre et emblématique porte du camp aurait été quant à elle laissée fermée à jamais, plus personne ne devant la franchir.
Seule la route devait témoigner des souffrances et des crimes intervenus sur ce lieu et faire réfléchir les visiteurs sur le traumatisme de l’expérience des victimes et les dangers de l’oubli.

Oskar Hansen et son concept de forme ouverte
Oskar Hansen et son concept de forme ouverte (cliquer pour agrandir)

Cette proposition de route de Hansen s’inspirait de son concept architectural de forme ouverte qui peut être schématisé par la création d’une oeuvre d’art qui ne serait pas finie, délimitée et qui offrirait des possibilités diverses de contexte et d’interprétation.

La proposition de l’équipe de Hansen ne fut pas retenue parmi les 426 projets proposés en provenance de 36 pays alors qu’elle était encore en concurrence lors de la seconde phase des sélections présentée en 1958 à Paris et au siège de l’UNESCO. Au départ, le jury était très favorable au projet de Hansen, mais la représentation des survivants du camp de Auschwitz-Birkenau exprimèrent leur réticence avec cette représentation abstraite et purement négative de la mémoire qui ne leur permettait pas d’identifier pleinement leur souffrance.

Le projet définitif fut sélectionné en 1959 et le monument dont les travaux débutèrent en 1965 fut inauguré en 1967, un projet commun réalisé par une équipe de sculpteurs polonais (dont les sculpteurs Jerzy Jarnuszkiewicz et Julian Pałka de l’équipe initiale de Hansen) et italiens qui faisaient partie des trois dernières propositions encore en lice.
Ce monument aujourd’hui visible s’élève au bout de la voie ferrée du camp entre les ruines des anciens crématoires.

Oskar Hansen, qui combattit durant la guerre dans la résistance au sein de l’Armia Krajowa, entreprit des études d’architecture en Pologne. En 1948 il poursuivit ses études en France sous la direction de Pierre Jeanneret, le cousin et partenaire de Le Corbusier. Il travailla également dans l’atelier de Fernand Léger et étudia également à Londres. C’est par l’intermédiaire de Pablo Picasso qu’il rencontra sa future femme Zofia Syrkusowa. Il mena une carrière aussi bien dans l’architecture que dans la transmission à travers l’académie des Beaux-Arts de Varsovie.

Le camp de Birkenau selon le projet de Oskar Hansen
Le camp de Birkenau selon le projet de Oskar Hansen – Simulation

Le camp de concentration de Varsovie

Photo prise à l'intérieur du camp
Photo prise à l’intérieur du camp (Cliquer pour agrandir)
Du camp de concentration de Varsovie, il ne reste plus de trace aujourd’hui.
Sa présence n’était connue jusqu’ici que d’initiés qui s’intéressaient de près à l’histoire du ghetto de Varsovie, mais son existence a aujourd’hui été l’objet de nombreux articles de presse et ouvrages.
Ce camp entra en fonction dès la fin de l’insurrection du ghetto en mai 1943 jusqu’à l’insurrection de Varsovie d’août 1944…
> Lire la suite.

Le motard de Chełmno

Retour sur les camps d’extermination

Le camp de Chełmno est peut être l’un des moins connus du grand public. Comme finalement peut être la plupart de ces camps, camps d’extermination, dont il ne reste rien aujourd’hui si ce n’est des sites où des monuments que l’on a érigé rappellent leur activité de mort.
Et pour cause, les camps d’extermination, qui se distinguent radicalement des camps de concentration, n’ont eu qu’une existence très éphémère dans la marche du temps et dans l’histoire de l’holocauste. Une année tout au plus. Raoul Hilberg, grand historien de l’holocauste leur avait donné un nom, les centres de mise à mort. En outre, il s’agissait de petits camps par leur superficie et leurs infrastructures. Seules de petites unités SS administraient ces camps qui pour certains étaient également gardés par des SS d’origine étrangère, essentiellement ukrainiens.
Ces sites avaient été établis dans des zones éloignées afin que leur fonctionnement reste le plus anonyme possible, dans des forêts et non loin d’axes ferroviaires.
Il y eut 4 camps d’extermination établis en Pologne occupée par les Allemands; Sobibór, Treblinka, Bełżec, Chełmno. Les 3 premiers furent établis dans cette portion de territoire annexée de la Pologne et soumise à un régime spécial par l’occupant, le Gouvernement Général. Le dernier camp fut établi dans le Reichsgau Wartheland, les territoires de Pologne occidentale qui furent annexés et soumis au pouvoir du IIIème Reich. Cet espace avait été redéfini comme une zone de repeuplement où de nombreuses familles allemandes furent envoyées afin de coloniser un espace vital de fait revendiqué par le pouvoir nazi. Nombre de polonais furent expulsés et dirigés vers les régions de l’est devenues parties intégrantes du Gouvernement Général.
Chełmno nad Nerem (Chełmno sur le Ner, du nom de la rivière qui traverse l’endroit) se trouvait alors dans cette zone de repeuplement et des familles allemandes s’installèrent dans la région et dans le village qui fut renommé Kulmhof an der Nehr.

Le village de Chełmno nad Nerem (Chelmno sur le Ner) vu depuis l'autoroute A2. Au centre, l'église où étaient enfermés les déportés dans l'attente de leur tragique destin.  Le musée se trouve sur la gauche de l'église (toit gris) dans les arbres, où se trouvait à l'origine le manoir
Le village de Chełmno nad Nerem (Chelmno sur le Ner) vu depuis l’autoroute A2. Au centre, l’église où étaient enfermés les déportés dans l’attente de leur tragique destin. Le musée se trouve à gauche de l’église (toit gris) dans les arbres, où se trouvait à l’origine le manoir (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com
Deux autres grands camps de concentration possédèrent une double activité de concentration et d’extermination; les camps de Majdanek et d’Auschwitz. Pour le second, c’est plus précisément le camp de Birkenau (aussi appelé Auschwitz II) qui prit essentiellement en charge l’extermination des populations juives, et roms.
Les camps d’extermination sont apparus dès la mise en oeuvre de l’Aktion Reinhard, dont le but était la mise à exécution à un niveau industriel de la solution finale à la question juive qui se déroula essentiellement entre le printemps 1942 et l’été 1943 avec la liquidation des ghettos d’Europe Centrale et de l’est et la déportation des juifs d’Europe de l’ouest. Cette vaste organisation à la fois politique, administrative, militaire et industrielle d’un processus d’annihilation d’un peuple reste à ce jour un événement unique dans l’histoire de l’humanité. C’est cette singularité qui tend malheureusement à se banaliser aujourd’hui, lorsque des comparaisons sont avancées entre génocides, même s’il n’existe pas d’évaluation arithmétique dans le pire que l’homme puisse être capable. C’est l’organisation même de ce processus de mort qui échappe à toute raison humaine et qui reste un marqueur dans notre histoire commune.
Dans les camps d’extermination, les déportés n’étaient pas confinés dans des baraquements en vue d’une exploitation ultérieure de la main d’oeuvre dans des ateliers et d’autres camps de travail comme c’était le cas pour les camps de concentration. Ils étaient éliminés dès leur arrivée. Cette organisation millimétrée permettait de faire disparaître un convoi de déportés en une heure en moyenne après leur arrivée au camp. Les infrastructures de ces camps furent détruites par les allemands durant l’été 1943 afin d’effacer toutes traces du forfait accompli. Il arriva même que l’on déterra les cadavres qui n’avaient pas été brûlés des fosses communes afin de broyer les ossements. A Sobibór et à Treblinka, des détenus se révoltèrent durant cette période et un certain nombre réussirent à s’échapper.
Situé à une heure de route au nord-ouest de la ville de Łódź, le camp d’extermination de Chełmno eut un fonctionnement quelque peu différent. Son activité se concentra durant 2 années distinctes, 1942 et 1944.
C’était le premier camp en Pologne où furent menés des gazages de prisonniers, avec l’aide de camions. Les opérations débutèrent fin 1941 jusqu’au printemps 1943. L’activité meurtrière reprit au printemps 1944 avec la liquidation des habitants du ghetto de Łódź, la grande ville du textile d’avant guerre où la population juive du ghetto fut longuement exploitée dans des usines et des ateliers pour le compte de l’occupant.

Et de la terre surgit un nom

Manoir de Chelmno et  grenier à céréales en arrière plan
Manoir de Chelmno et grenier à céréales en arrière plan
En 1998, une campagne de fouilles archéologiques fut entreprise autour de l’ancien manoir, dans le village de Chełmno. Du manoir, il ne reste aujourd’hui que les fondations. C’est dans ce manoir, déjà délabré au début de la guerre, qu’étaient amenés directement les déportés, ou depuis l’église où ils étaient confinés la nuit s’ils avaient été amenés le soir au village. Leur arrivée se faisait dans le calme car il leur avait été expliqué que de là, ils seraient dirigés vers l’Allemagne ou vers l’est, pour le travail. Les déportés pouvaient voir le manoir où ils allaient pénétrer, depuis l’entrée du site. Ce n’est qu’une fois dépossédés de leurs biens et déshabillés, dans les caves du manoir, qu’on les dirigeait de manière brutale vers une plateforme où ils étaient poussés dans des camions. Durant la première période de fonctionnement du camp, les déportés pouvaient conserver leurs sous-vêtements. On employa au départ des substances chimiques expédiées depuis l’Allemagne pour les asphyxier par le CO², puis on utilisa les gaz d’échappement des moteurs qui se révélèrent plus efficaces et économiques; 15 minutes étaient nécessaires pour que les gaz firent leur effet mortel. De là, les camions se dirigeaient ensuite vers la forêt voisine de Rzuchów, distante de 5 kilomètres, où il étaient enterrés dans d’immenses fosses communes. Le manoir fut rasé par les allemands à la fin de la première campagne d’extermination.
Les fondations du manoir de Chełmno
Les fondations du manoir de Chełmno (cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com
Cette campagne de fouille avait pour but de rechercher de nouveaux indices quant à l’histoire de ce site. Le village étant situé en hauteur, des fouilles furent entreprises sur le terrain situé légèrement en contrebas à l’arrière du manoir, vers la rivière Ner, là où les allemands jetèrent des affaires des déportés qui n’avaient aucune valeur à leurs yeux. On procéda à la manière de fouilles archéologiques sur un site historique plus ancien, par couches. De fait, on mis au jour 2 couches distinctes qui correspondaient aux deux périodes de déportation et de fonctionnement du site. On retrouva de nombreux objets dont une partie sont aujourd’hui exposés dans le musée qui se trouve sur le site, et dans l’ancien grenier à céréales mitoyen (Spichlerz) qui a été rénové ces dernières années à cet effet: des couverts, des colliers, des bracelets et des médailles sans valeur, certains portant des initiales qui témoignent aujourd’hui de l’anonymat de nombre de ces victimes, aussi des ustensiles de cuisine, des jouets pour enfants, des centaines de flacons pharmaceutiques provenant pour certains d’Allemagne, de Tchécoslovaquie, du Luxembourg. On retrouva même, parmi des flacons d’origine polonaise des aiguilles de seringue qui certainement témoignaient de la liquidation des hôpitaux du ghetto de Łódź. Egalement deux broches avec les prénoms de Bela et Irka. Une partie de ces objets avaient déjà été retrouvée lors des fouilles entreprises sur le site du manoir et des fosses communes en forêt dès le milieu des années 1980.
Le porte-cigarettes de Józef Jakubowski, retrouvé sur le site du camp de Chełmno
Le porte-cigarettes de Józef Jakubowski, retrouvé sur le site du camp de Chełmno (Cliquer pour agrandir) Source photo (à determiner)

Et en 1998, un objet singulier apparu, métallique, jauni par le temps. On le retrouva dans la couche de fouille n°2 de l’année 1944, une zone située en dehors du périmètre, au delà d’une grille, qui se trouvait côté ouest du manoir.
Il s’agissait du couvercle d’un porte-cigarettes qui, dans sa partie intérieure, comportait la gravure suivante :
p. Józefowi Jakubowskiemu
za 1 miejsce
na gymkhanie motocyklowej
na motocyklu Sokół 600
« Gordon-Bennet »
od A. R Klinger
dn. 30 VIII. 36

Mr Józef Jakubowski, pour la première place du gymkhana motocycliste sur une moto Sokół 600. « Gordon-Bennet ». De la part de Klinger, le 30 août 1936.
Des initiales, des prénoms avaient été découverts lors des fouilles entreprises en 1998 ou antérieurement (fouilles réalisées sous la direction du couple Nowak), sur certains objets, on pu aussi déchiffrer un nom sur la photo d’une tombe prise dans le cimetière juif de Częstochowa, mais c’était la première fois qu’un nom complet apparaissait, qu’un objet pouvait être identifié à une personne précise.
Józef Jakubowski sur la place Piłsudski à Varsovie en mai 1937 lors d'un raid motocycliste.
Józef Jakubowski sur la place Piłsudski à Varsovie en mai 1937 lors d’un raid motocycliste. (Cliquer pour agrandir) Photo Narodowe Archiwum cyfrowe
Józef Jakubowski était un motocycliste et sportif reconnu durant l’entre-deux guerres qui avait participé à de nombreuses compétitions. Il excellait notamment dans le gymkhana à moto, une discipline alors reconnue dans laquelle les concurrents rivalisaient avec des exercices de précision, de vitesse et d’équilibre. Kuba, le surnom par lequel on s’était habitué à l’appeler, Kuba étant le diminutif de Jakub(owiski)-Jacob; était membre du club motocycliste de Varsovie. Ce club fédérait alors 70% des motards de la capitale. Il était d’une humeur agréable, gaie et souriant et aimé de ses proches amis motocyclistes comme Józef Docha, Tadeusz Tomaszewski, Tadeusz Heryng, Konstanty Rogoziński, Witold Rychter qui formaient une équipe inséparable qui se retrouvait toujours pour assouvir leur passion.
James Gordon Bennett (1841-1918) était un magnat américain de la presse et passionné de sport qui créa au début du XXème siècle une compétition automobile puis une autre de ballons libres qui perdure jusqu’à aujourd’hui. En 1936 (également en 1934 et 1935), elle se déroula à Varsovie. C’est à l’occasion de cette compétition que fut organisé un concours motocycliste qui se tint les 29 et 30 août.
Moto Sokoł 600 modèle 1936
Moto Sokoł 600 modèle 1936 (Cliquer pour agrandir) Photo zabytkowemotocykleirowery.pl
Le premier jour, la compétition fut remportée par Docha, Jakubowski terminant second et le lendemain, l’ordre fut inversé et Jakubowski remporta le concours. Parallèlement aux épreuves de gymkhana se déroulaient d’autres exercices de maîtrise d’obstacles et de sauts au tremplin, spécialité où excellait Kuba. Il participa alors aux compétitions au guidon d’une moto de fabrication polonaise, le modèle Sokoł 600 fabriqué par la société PZInż.
On notera la faute d’orthographe sur le porte-cigarettes dont le nom Bennett ne comporte qu’un seul t.
On ignore aujourd’hui où et quand est né Józef Jakubowski. D’après certains recoupements, on pense qu’il est né vers 1902. Zdzisław Lorek, qui avait participé à une campagne de fouille et qui aujourd’hui travaille au musée de Chełmno, contacta après la découverte, Tomasz Szczerbicki, un spécialiste du monde automobile et motocycliste qui effectua des recherches. On apprit que Kuba était un grand motocycliste qui avait également eut un épisode sportif dans le monde automobile puisqu’il participa au rallye automobile de Monte Carlo en 1937 avec Tadeusz Marek et en 1938 avec Lucjan Borowik. Il participait jusqu’à 30/40 compétitions par an. La moto était sa passion et il adapta au mieux sa vie pour l’assouvir. A la fin des années 1920, avec son ami Konstanty Rogoziński, il devint représentant de la marque anglaise de motos Excelsior. Dès 1935, avec le développement des motos polonaises et de la série Sokoł, il roula principalement avec ce modèle.
Józef Jakubowski au centre sur une moto Excelsior et Tadeusz Tomaszewski à droite, lors d'une course de rue organisée à Tarnów en 1933
Józef Jakubowski au centre sur une moto Excelsior et Tadeusz Tomaszewski à droite, lors d’une course de rue organisée à Tarnów en 1933 (Cliquer pour agrandir) Photo Archives Tomasz Szczerbicki

Certaines informations sur la vie de Józef Jakubowski dans les années 1920 ont pu être extraites d’après l’autobiographie publiée en 1985 par son ami Witold Rychter après la guerre. Autrement ce sont essentiellement des classements sportifs que l’on retrouve à son sujet dans la presse spécialisée. Sur une photo, il apparaît avec le titre inż. (ingénieur), mais on n’est pas certain qu’il était effectivement diplômé, car à l’époque, une personne spécialiste en motorisation pouvait être également appelée par ce titre. Si tel était le cas, il pouvait alors être officier de réserve et militaire au début de la guerre, car un autre recoupement fut envisagé lorsqu’on appris que des habitants de Chełmno avaient vu un jour les allemands amener sur le site 5 militaires et 12 officiers polonais, provenant certainement d’un camp de prisonniers, pour être exécuté.
Club motocycliste polonais dans les années 1930 lors des tests du modèle militaire CWS M55
Club motocycliste polonais dans les années 1930 lors des tests du modèle militaire CWS M55 (Cliquer pour agrandir) Photo Archives Tomasz Szczerbicki
Avec la renaissance de la Pologne durant l’entre-deux guerres, on réorganisa l’armée et on l’équipa de nouveaux matériels, notamment des motos de fabrication polonaise afin de conserver une indépendance matérielle. Un modèle spécifique fut étudié pour le compte des militaires, le modèle CWS M55 (side-car), mis au point en 1929 par la firme PZInż. de Varsovie, et durant une saison, des motos de type side-car furent remises aux meilleurs motards du pays dont Jakubowski et ses amis, afin de la tester sur le terrain et lors d’événements sportifs et de remonter les problèmes et améliorations à apporter. Les motards participèrent à cette campagne en remettant au constructeur et militaires des rapports de tests. Kuba effectua des tests notamment avec l’ingénieur concepteur Rudawski.
Józef Jakubowski  (29) le 2 août 1939
Józef Jakubowski (29) le 2 août 1939 (Cliquer pour agrandir) Photo Narodowe Archiwum Cyfrowe

Dans la fougue de leur jeunesse, Jakubowski et 4 de ses camarades participèrent avec des motos Sokoł 200 et 600 au raid des Tatras (Rajd Tatrzanski), organisé en août 1939 dans le sud du pays, dans les montagnes du même nom, où ils entamèrent l’ascension du mont Kasprowy Wierch, le plus haut sommet (1987 m).
C’est la dernière information dont on dispose sur Kuba. Plus tard après la guerre, des photos ont été retrouvées dans un album qui appartenait à l’un de ses amis, Tadeusz Tomaszewski. Il n’était pas très grand, un peu corpulent, avec une allure jeune même à l’âge de 35 ans, et toujours souriant.
De ce simple morceau de porte-cigarettes, un nom et des bribes d’histoire d’une vie ont resurgit. Finalement, on ignore si Józef Jakubowski était juif. Probablement, mais comment expliquer sa présence à Chełmno alors qu’il était d’après son parcours un sportif de Varsovie. Peut être était-il militaire au début du conflit, prisonnier de guerre envoyé ici avec d’autres comme des témoins l’avaient signalé, On ne le saura probablement jamais.
Józef Jakubowski (à gauche) et Michał Nahorski qui participa également au raid es Tatras de 1939
Józef Jakubowski (à gauche) et Michał Nahorski qui participa également au raid es Tatras de 1939 (Cliquer pour agrandir) Photo Archiwum Narodowe Cyfrowe
Kuba restera une personne au visage souriant et dont la silhouette s’est évanouie dans les fosses de la forêt de Rzuchów parmi des dizaines de milliers d’autres, et dont le porte-cigarettes jeté parmi des broches, des flacons, des peignes et quelques jouets reste une trace de ces vies perdues.

Les pavés juifs de Treblinka

Treblinka, 2 sites distincts de mémoire

Morceau de stèle de tombe juive, au premier plan, utilisée comme pavement sur le chemin forestier qui relie les camps de Treblinka I et de Treblinka II
Morceau de stèle de tombe juive, au premier plan, utilisée comme pavement sur le chemin forestier qui relie les camps de Treblinka I et de Treblinka II (Cliquer pour agrandir) – Photo www.shabbat-goy.com
Treblinka est le camp d’extermination qui fit le plus de victimes après celui d’Auschwitz (plus précisément celui de Birkenau). Selon le site du Musée, le sinistre décompte s’élève à près de 900 000 victimes.
Ce camp est dénommé Treblinka II. Il fut édifié à la mi-1942 dès que les allemands procédèrent à la liquidation des ghettos de Pologne durant la période 1942-1943. Plus de 300 000 juifs de Varsovie et de sa région furent exterminés dans ce camp. Les autres victimes furent constituées de juifs des régions nord, nord-est et est de la Pologne, ainsi que de groupes de populations juives déportées depuis la Biélorussie et la Lituanie lorsque celles-ci n’avaient pas déjà été exterminées par les unités Einsatzgruppen et leurs supplétifs locaux (lituaniens, lettoniens).
Un premier camp de travail fut construit dans cette zone complètement isolée dès 1941, qui fonctionna jusqu’à l’été 1944, dénommé Treblinka I, à destination des polonais. 20 000 prisonniers polonais y furent internés et la moitié moururent d’épuisement et d’exécutions. Aujourd’hui peu de gens qui se rendent à Treblinka visitent le site du camp de Treblinka I, distant de 2 kilomètres du site du camp d’extermination, où est également visible une stèle à la mémoire des roms et des sinté également exterminés.

Les pavés juifs

Morceau de stèle de tombe juive, utilisée comme pavement sur le chemin forestier qui relie les camps de Treblinka I et de Treblinka II
Morceau de stèle de tombe juive, utilisée comme pavement sur le chemin forestier qui relie les camps de Treblinka I et de Treblinka II (Cliquer pour agrandir) – Photo www.shabbat-goy.com
Une route pavée longue de 2 kilomètres traverse la forêt pour relier les deux camps. On l’appelle la route noire (czarna droga). Elle est constituée de pavés, plus précisément de galets, ramenés de je ne sais où. Sur un tronçon de cette longue voie forestière, en portant un regard aigu sur ces pierres, on peut observer quelques restes de tombes juives.
Dès 1941, lorsque les allemands envahirent la zone orientale de la Pologne alors occupée par les russes après le pacte germano-soviétique Molotov-Ribbentrop (1939) de partage de la Pologne scellé entre les russes et les nazis, les allemands détruisirent et dévastèrent méthodiquement tous les cimetières juifs, c’est à dire des centaines. Les stèles alors démantelées étaient réutilisées pour renforcer des infrastructures routières, des berges, et étaient également revendues comme matériaux de construction et de terrassement. On peut dire aujourd’hui que plus de 80% des tombes des cimetières juifs reposent sous des routes et dans des fondations diverses.
Lors de mon premier passage en 2000 à Treblinka, j’avais observé un morceau de stèle juive le long de cette route forestière. J’y suis donc retourné en août 2017 et j’ai porté une attention particulière à ce tronçon de chemin et j’ai pu en effet retrouver plusieurs de ces pavés insolites. On ignore leur origine, certainement de quelques cimetières juifs des alentours, comme ceux de Brok ou Zaręby Kościelne distants d’une quinzaine de kilomètres, ou peut être celui de Strękowo à 25 kilomètres de là.
Là gisent des fragments de stèles de juifs et de juives, aujourd’hui anonymes, et évanouis dans ce cataclysme qui s’abattit alors en Pologne.

Le camp de travail de Althammer

Un sous camp d’Auschwitz parmi d’autres

Les grands camps de concentration nazis établis en Pologne occupée fournissaient à l’industrie de guerre allemande une énorme main d’oeuvre gratuite et disponible.

Le camp de travail de Althammer
Le camp de travail de Althammer (Cliquer pour agrandir) – Photo www.shabbat-goy.com
Les déportés étaient alors dirigés vers ces camps dans des kommandos de travail, principalement situés dans le sud de la Pologne, en Silésie, grande région industrielle et minière. Les prisonniers étaient employés à des tâches très diverses dans l’industrie lourde, dans les mines et les carrières, dans la construction, le terrassement de routes, dans une multitude d’entreprises allemandes.
A l’ouest de Katowice, dans la zone industrielle de Halemba, aujourd’hui située sur la commune de Ruda Śląska, fut établi le camp de travail de Althammer…
>> Présentation de l’histoire du camp de Althammer.

D’autres camps de travail rattachés au camp d’Auschwitz :
Le camp de travail de Blechhammer.
Le camp de travail de Jaworzno/Neu-Dachs.
Le camp de travail de Trzebinia.

Les camps polonais

Une initiative, une responsabilité polonaise ?

Depuis maintenant de très nombreuses années, le terme « camps polonais » est régulièrement utilisé dans des articles ou prononcé par diverses personnalités lors de discours ou interventions, surtout dans la presse étrangère sous les dénominations Polish death camps (camps de la mort polonais), Polish concentration camp (camps de concentration polonais). Il m’est même arrivé de lire Polish gaz chambers (chambres à gaz polonaises) dans certains articles.

Selon ces dénominations, pour qui ne possède pas une connaissance précise de la mise en place de la solution finale de la question juive durant la dernière guerre mondiale, il en découle une implication directe ou active des polonais et de l’Etat polonais et une responsabilité directe de collaboration dans la mise en place de l’holocauste sur le sol polonais, que ce soit à travers l’établissement de camps (il y a eu des centaines de camps en Pologne, les principaux camps dont beaucoup ont entendu parler, et une multitude de sous-camps rattachés aux premiers) ou la participation active dans l’administration ou la surveillance des camps de concentration et d’extermination.
A la lecture de très nombreuses réactions que l’on peut observer sur des sites ou des blogs de grands quotidiens lorsqu’un article parait sur ce sujet, il n’est pas anecdotique de lire des réactions qui vont dans ce sens, c’est en fait une conviction très largement répandue et partagée. Dans un article paru dans un grand quotidien français à propos de la mise en ligne par le Musée d’Auschwitz d’une première liste de SS ayant été impliqué directement dans les activités du camp, un lecteur réagissait avec conviction : « … Rien de surprenant qu’aucun polonais n’apparaîtra dans la liste des S.S et de gardiens de camps. C’est de la pure propagande et non de l’histoire … »
En 2012, le président américain Obama employait lors de la remise à titre posthume de la médaille Présidentielle de la Liberté (Presidential medal of freedom) à Jan Karski, le terme de camp de la mort polonais (polish death camp) dans son allocution, ce qui entraînât une vive réaction des autorités polonaises et fut à l’origine de commentaires assez variés dans la presse où la question qui était posée mettait en balance l’historicité de l’événement holocauste et des camps mis en place par les nazis face à une tentative de ré-écriture de l’histoire par les polonais et le gouvernement conservateur polonais alors en place; cette dernière argumentation digressant vers des événements de l’époque comme l’antisémitisme en Pologne et la participation active de polonais dans la dénonciation, la chasse ou le meurtre de juifs.

Origine du terme Polish death camps

En 2016, le site web Times of Israel titrait dans un article « Est-ce que les mots « camps de la mort polonais » diffament la Pologne, et si c’est le cas, qui est à blâmer ? Cette utilisation d’un titre quelque peu ambiguë laisse forcément planer de sérieux doutes quant à la responsabilité directe des polonais sur le sujet des camps. Cet article nous rappelle que Jan Karski lui-même utilisa maladroitement ce terme dans ses compte-rendus établis durant la guerre à destination des alliés concernant l’extermination des juifs, sans pour autant penser à une quelconque responsabilité des polonais dans la mise en place des camps sur le territoire polonais. Mais plus intéressant, l’article remonte à l’origine de cette dénomination des camps polonais en décrivant qu’une officine de renseignements appelée Dienststelle 114, dépendant dès les années 1960 de l’agence de l’Allemagne de l’ouest de renseignements Bundesnachrichtendienst œuvra dans l’ombre, dans le cadre de la guerre froide. L’une de ses actions fut d’effacer la responsabilité de l’Allemagne et de criminels de guerre durant la seconde guerre mondiale. Cette ligne qui fut tenue durant une vingtaine d’années en République Fédérale Allemande (RFA).
L’agence Generalvertretung L, dénommée à l’origine Dienststelle 114 puis Dienststelle 142, était une unité de renseignements de l’Organisation Gehlen créée par le service de renseignements américain en 1946 en zone d’occupation américaine puis du service de renseignements fédéral Bundesnachrichtendienst créé en 1956 et basée à Karlsruhe. Generalvertretung L – GV L, était un nom de code créé par son chef Alfred Bezinger, et son objet était le contre-espionnage contre les agents soviétiques. Entre 250 et 500 personnes travaillaient pour cette agence entre 1948 et 1951. Fondé par Gehlen Hermann Baun, la section du contre-espionnage était pilotée par un personnage peu apprécié de ses collaborateurs, Alfred Bezinger, un ancien membre de la police secrète de la Wehrmacht (Geheimen Feldpolizei) durant la guerre. Parmi ses membres se trouvaient de nombreux anciens membres de la SS et du SD (Sicherheitsdienst des Reichsführers SS), le service de renseignements de la SS dont le chef en 1941 n’était autre que Reinhard Heydrich. Parmi les agents travaillant pour ce bureau avaient été recrutés Walter Kurreck, un ancien membre de l’Einsatzgruppe D et Konrad Fiebig, responsable de l’assassinat de 11 000 juifs en Biélorussie.
C’est en 1956 que Alfred Benzinger engagea une campagne visant à écarter de nombreux criminels de guerre d’éventuelles condamnations et poursuites et que le terme de «Camps de concentration polonais» fut lancé et employé dans les médias afin de soustraire la responsabilité des génocides de masse des allemands vers les polonais.
Ce n’est que dès les années 1960 que l’agence commença à se séparer de ses membres anciens nazis devenus encombrants.
Repris durant des décennies dans les médias du monde entier, cette reformulation s’instilla dans les mentalités des lecteurs jusqu’à devenir aujourd’hui une évidence et un fait historique pour beaucoup.
Au début des années 2000, les autorités polonaises décidèrent de s’attaquer à cette dénomination.

Selon Adam Daniel Rotfeld, ministre polonais des affaires étrangères en 2005 du gouvernement Kwaśniewski, lui-même survivant de l’holocauste, cette expression énoncée de manière intentionnelle ou pas, tend à « faire supporter la responsabilité dans la mise en place, l’organisation et les opérations dans les camps des allemands vers le peuple polonais ». L’utilisation de ces termes qui décrivent explicitement un pays, la Pologne (Poland) ou une nation, polonaise (Polish), a été remis en question sous l’action conjointe des gouvernements polonais et israélien, de même que des organisations de l’étranger polonaises ou juives comme l’American Jewish Committee qui dès 2006 a soutenu la proposition polonaise auprès de l’Unesco de renommer le camp d’Auschwitz comme Ancien camp de concentration de l’Allemagne nazie d’Auschwitz-Birkenau (Former Nazi German Concentration Camp Auschwitz-Birkenau). D’autres voix se sont élevées comme celle de Shewach Weiss, ancien ambassadeur d’Israël en Pologne, lui-même survivant de l’holocauste et sauvé par des polonais et des ukrainiens et qui dénonce cette dénomination en « soulignant que les camps de la mort et de concentration en Pologne sont à 100% nazis et que le nazisme est né à Munich et à Berlin ».
Quelques-uns m’ont déjà reproché de procéder à certaines comparaisons entre la Pologne et la France à propos d’événements de la seconde guerre mondiale. Il est tout à fait vrai que si ces deux pays ont été occupés par les allemands, l’administration et la répression exercées par les forces d’occupation étaient assez éloignées entre l’est et l’ouest. Ceci dit, pour des lecteurs qui possèdent des connaissances de base succinctes des événements de la seconde guerre mondiale, ces comparaisons ciblées permettent d’aider à comprendre et évaluer des différences notoires de certains événements, ici en l’occurrence pour ce qui concerne les camps.
En France, le gouvernement collaborationniste de Vichy a procédé à la mise en place de camps de transit et d’internement à travers le pays avec pour objectif de rassembler certaines populations (essentiellement juives) en vue de leur déportation vers l’est. Ces camps ont été effectivement établis, surveillés et administrés par les autorités françaises. L’implication de français et du gouvernement français, dans l’établissement de ces camps ne portent pas à polémique puisque cela a été officiellement reconnu.
Concernant le camp de Struthof, le seul camp de concentration a avoir été établi sur le sol français en avril-mai 1941, sa création et son administration ont été prises en charge directement par les nazis. Mais il faut rappeler qu’à cette époque, l’Alsace avait été annexée au IIIème Reich. On parle donc de ce camp comme camp de concentration nazi en Alsace annexée, comme cela est précisé sur le site internet du musée du camp.
Alors qu’en est-il pour les camps situés en Pologne ?

Situation de la Pologne durant l’occupation allemande

Lors de l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, déclenchée le 1er septembre 1939, nombre de villes furent bombardées, la capitale n’y échappa pas, elle fut détruite à 15% et elle capitula le 28 septembre. Cependant, il n’y eut jamais d’armistice signée entre les gouvernements polonais et nazi. Il n’y eut donc jamais d’accord de collaboration entre l’Etat polonais et l’Allemagne nazie, à l’instar de la France et d’autres pays d’Europe de l’est. En effet, le gouvernement partit en exil en France au déclenchement de la guerre, jusqu’en juin 1940, puis il s’installa à Londres jusqu’à la fin de la guerre, dirigé par le général Władysław Sikorski jusqu’à sa mort accidentelle en juillet 1943 puis par Stanisław Mikołajczyk. Il en fut de même lorsque l’URSS, alors alliée à l’Allemagne nazie envahit à son tour la Pologne orientale le 17 septembre 1939. La Pologne fut partagée en trois territoires distincts par ses envahisseurs.
Rappelons que la Pologne d’avant guerre était située géographiquement plus à l’est, elle englobait alors une partie de la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine occidentale (Galicie), de fait, la structure de sa population était très hétérogène, avec un habitant sur trois issus des minorités lituanienne, biélorusse, russe, ukrainienne, allemande. Seuls deux tiers des habitants de la Pologne de l’entre-deux guerres (~68%) étaient ethniquement polonais. La minorité allemande était assez forte dans sa partie occidentale (Basse-Silésie, Grande Pologne) et nord (Poméranie et Prusse orientale).
La partie occidentale fut annexée au Reich, la partie orientale à l’URSS. La partie centrale (de Varsovie au nord à Cracovie au sud) fut érigée en un Gouvernement Général et administrée par les nazis. C’est sur ce territoire que furent établis presque tous les camps de concentration et d’extermination. La Pologne avait cessé d’exister en tant qu’Etat et cette période doit être vue historiquement comme une période d’occupation, puisque la Pologne a été effectivement un pays occupé, au même titre que la France.

La Pologne et les forces alliées

La Pologne participa avec les alliés à nombre de combats sur de nombreux fronts, notamment lors de la bataille d’Angleterre avec les aviateurs polonais qui s’illustrèrent en combattant au sein de la RAF où 8 escadrilles d’aviateurs polonais furent formées. 27 unités de la marine polonaise combattirent ainsi que l’armée de terre avec l’armée du général Anders qui s’illustra en Norvège, en Afrique, pendant la campagne d’Italie, notamment à Monte Cassino et durant la bataille de Normandie.

Polonais dans l’armée allemande

Le corps des Waffen SS a rassemblé un nombre important de nationalités. Des petites unités, des brigades ou des divisions ont été mises en place par les nazis et étaient composées de norvégiens, de suédois, de danois, de hollandais, de belges flamands et Wallons, d’estoniens, de lettons, de lituaniens, de hongrois, de roumains, de français, de suisses, d’espagnols, de britanniques (165), d’ukrainiens, de croates et bosniaques musulmans, de russes, de cosaques, de biélorusses, d’albanais, d’italiens, d’indiens, il y eu même une unité SS composée de 80 nationalistes bretons (Bezen Perrot).
Plus de 200 000 polonais ont servi dans la Wehrmacht et une petite quantité dans la 30ème division de grenadiers Waffen SS. Cette dernière division SS était composée de biélorusses, de russes et d’ukrainiens et était estimée à plus de 11 000 combattants. Cependant, l’immense majorité des polonais enrôlés dans l’armée allemande était constituée de Volksdeutsche, c’est à dire de gens issus des minorités allemandes vivant en Pologne avant la guerre dont bon nombre s’étaient déjà organisés en milices paramilitaires (Volksdeutscher Selbstschutz) rangées au côté de l’occupant dès le déclenchement de la guerre. Ils s’illustrèrent notamment entre septembre 1939 et le printemps 1940 par l’exécution de plus de 60 000 membres de l’intelligentsia polonaise, au côté des Einzatsgruppen.
En fait, le chiffre de conscrits enrôlés dans l’armée allemande, Wehrmacht , oscille entre 200 000 et 500 000 suivant les sources. Cette conscription a été rendue possible dès que les territoires de la Pologne occidentale ont été intégrés au Reich allemand et ses habitants soumis aux lois et obligations alors en vigueur. Il est à noter que la plupart des polonais enrôlés, essentiellement dans les territoires à fortes communautés allemandes, ne l’ont pas été de leur plein gré, et tous ont dû se plier au devoir militaire de la même manière que les citoyens allemands. Cet embrigadement s’effectuait en signant la Volksliste et un refus mettait la personne en grande difficulté pour sa sécurité.
La grosse majorité de ces enrôlés était des silésiens (régions actuelles de Haute-Silésie – Katowice, et Basse-Silésie – Wrocław, ancienne Breslau), les autres originaires de Poméranie, de Prusse orientale et des régions actuelles occidentales de la Pologne. Beaucoup de polonais de l’armée allemande ont par la suite rejoint l’armée du général Władysław Anders une fois qu’elle a été constituée en 1943. Certains de ces polonais enrôlés ont combattu dans l’Afrika Korps. Il y en a aussi qui se sont retrouvés embrigadés dans l’armée rouge.
Mais il faut garder à l’esprit que la structure de la société polonaise d’avant guerre était constituée seulement au 2/3 de polonais ethniques. Donc les chiffres restent difficiles à cerner pour ce qui concerne la structure et l’origine ethnique de ces soldats.
En tout état de cause, aucune unité SS constituée de polonais n’a été créée, ce qui reste une singularité qui mérite d’être soulignée quand on regarde les différentes nationalités engagées dans ce corps. En effet, en 1943, les hauts dignitaires de la SS ont refusé de créer des unités polonaises car ces soldats auraient dû être traité d’égal à égal avec les soldats allemands, et surtout l’idée que les polonais n’étaient pas prêt à se battre pour les allemands, 4 ans après le début de la guerre et les importantes défections de soldats d’origine polonaise dans la Wehrmacht.
On ne connait pas le chiffre exact de polonais ethniques qui auraient intégré la 30ème division de grenadiers Waffen SS. Il n’existe plus d’archives des enrôlements, mais une fourchette entre 100 et 300 individus est avancée par des historiens, comprenant des volksdeutsche et ethniques, mais on ignore dans quelle proportion, toujours est-il qu’elle reste extrêmement faible au regard du nombre de combattants concernés enrôlés.
Par contre, la 30ème division de grenadiers Waffen SS a été créée en août 1944 et a été envoyée en opération dans le sud-ouest de la France puis en Alsace et en Allemagne vers la fin de la guerre. De fait elle n’a jamais été impliquée dans le système concentrationnaire ou répressif envers les juifs qui était dévolu à d’autres unités SS spécialement dédiées à cette tâche dans les ghettos et dans les camps. Faut-il rappeler qu’en août 1944, à la création de la division, c’est à dire un mois après les dernières grandes déportations vers Auschwitz des juifs hongrois, environ 95% des juifs morts durant l’holocauste avaient déjà disparu.

Point sur la terminologie des camps polonais

A la question « les polonais ont-ils participé à la mise en place des camps, ou à leur administration ou à leur surveillance ? », la réponse est non.
La désignation de camps de la mort polonais (polish death camps) est-elle adaptée pour désigner les camps situés en Pologne ? La réponse est non, puisque aucun polonais n’a été impliqué dans l’administration, la surveillance des camps de concentration ou d’extermination. On doit parler de camps de concentration et d’extermination de l’Allemagne nazie installés en Pologne occupée.
J’étendrai le questionnement au delà, suite à des remarques complètement définitives que j’ai pu lire sur certains groupes dédiés à la Shoah sur Facebook:
Les polonais ont-ils mis en place les ghettos en Pologne ? La réponse est non. Les ghettos ont été établis en Pologne et dans les autres pays d’Europe de l’est par les allemands. Généralement, les ghettos étaient établis dans les quartiers à forte proportion juive, cependant, dans nombre de villes, comme à Cracovie, le ghetto fut établi dans le quartier de Podgórze situé au sud du quartier juif sur l’autre rive de la Vistule, de fait tous ses habitants durent quitter les lieux pour laisser place aux juifs qui résidaient en centre-ville et dans le quartier de Kazimierz. A Varsovie, le ghetto fut établi en partie dans les quartiers juifs mais où nombre de polonais qui y vivaient durent quitter leurs lieux d’habitation avant que le ghetto ne soit bouclé.
Les polonais ont-ils gardé les ghettos ? La réponse est oui pour certains grands ghettos comme ceux de Varsovie ou de Łódź. En effet, la police polonaise a été réquisitionnée pour procéder à la surveillance des portes de ces grands ghettos, cependant la garde effective relevait de soldats et policiers allemands assistés de policiers juifs dépendant des Judenrat (conseils juifs) eux-mêmes sous la coupe de l’occupant allemand.
Les camps de concentration en Pologne étaient gardés par des unités SS, de même que les camps d’extermination, centres de mise à mort selon la terminologie de Raoul Hilberg. Cependant, ces derniers camps étaient administrés par de petites unités allemandes et la surveillance était dévolue à des unités de supplétifs essentiellement ukrainiens recrutés chez des déserteurs de l’Armée Rouge ou des nationalistes. Ces gardiens suivaient un entrainement spécial dans le camp de Trawniki dans la région de Lublin.
Ces réponses resteront difficilement acceptables pour certains qui liront ici, mais on ne peut pas aller à l’encontre des faits historiques aujourd’hui reconnus par les historiens et les principales institutions qui œuvrent à la mémoire de l’holocauste. La création des camps et des ghettos en Pologne relève de la seule responsabilité de l’Allemagne nazie. Il est à noter que le premier convoi historique pour le camp d’Auschwitz partit de la gare de Tarnów (est de Cracovie) le 14 juin 1940 avec à son bord 728 prisonniers polonais dont 708 non juifs et 20 juifs

Un autre aspect qui devrait faire l’objet d’un article futur concerne des polonais et groupes de polonais plus ou moins organisés qui ont été directement impliqués dans la dénonciation, la chasse et le meurtre de juifs. Les chiffres concernant le nombre de juifs directement tués par des polonais divergent sensiblement et sont très difficilement quantifiables du fait de l’hétérogénéité de la population dont je parlais plus haut et de la complexité du sujet. Ce thème est devenu très polémique depuis que l’universitaire polono-américain Jan T. Gross a affirmé que les polonais avaient tué plus de juifs que d’allemands durant la guerre. Plus généralement, les chiffres estimés ces dernières années par plusieurs historiens, avancent une évaluation qui se base sur une proportion d’environ 10% de juifs qui se seraient échappés des ghettos et des trains en partance pour les camps, 160 000 environ, et le nombre de survivants à la fin de la guerre évalué entre 30 000 et 60 000 juifs pour la fourchette haute et qui auraient survécus cachés en Pologne soit par eux-mêmes, soit cachés par des polonais. Ce qui induit de fait un nombre très important de juifs morts durant cette période, soit par dénonciations, soit par meurtres perpétrés par des polonais ethniques, des allemands durant les rafles et « chasses » menées dans les campagnes et les forêts, conjointement ou pas avec des polonais ethniques ou issus d’autres minorités, chasses également menées sans les allemands. C’est par exemple le cas du dénommé Adolf Hübner, un polonais volksdeutsche de la commune de Książ Wielki au nord de Cracovie qui rechercha et tua 116 juifs qui, durant les déportations de l’été 1942, s’étaient enfuit et cachés dans les forêts avoisinantes.
Le seul camp de concentration qui n’a pas été établi et administré par les nazis est celui de Jasenovac qui a été créé par le régime des Oustachis en Croatie.

Le camp de concentration de Gross Rosen
Entrée du camp de concentration de Gross Rosen (cliquer pour agrandir) – © www.shabbat-goy.com