Les lettres du rabbin Jakub Szulman

Dernières traces avant l’anéantissement

Jakub Szulman était le rabbin de la petite ville de Grabów où vivait autrefois une communauté juive forte de quelques centaines de membres, les juifs étaient présents dans la localité depuis la seconde moitié du XVIIIème siècle, ils représentaient la moitié de la population. Après la première guerre mondiale, beaucoup d’entre-eux émigrèrent vers l’Allemagne. La communauté juive s’établissait à 800 personnes à l’entrée en guerre. Un ghetto fut établi par les allemands et des juifs d’autres localités furent confinés avec ceux de Grabów. La population du ghetto s’éleva jusqu’à 1400 personnes. Les juifs encore présents dans le ghetto furent déportés en avril 1942 vers le camp d’extermination voisin de Chełmno.

19 janvier 1942
«Mes très chers,
Je ne vous ai pas répondu jusqu’ici car je ne savais rien de précis sur tout ce qu’on m’a dit.
Hélas, pour notre grand malheur, nous savons déjà tout maintenant.
J’ai eu chez moi un témoin occulaire, qui, grâce à un hasard, fut sauvé. J’ai tout appris de lui.
L’endroit où ils sont exterminés s’appelle Chełmno, près de Dąbie, et on les enterre tous dans la forêt voisine de Rzuchów.
Les juifs sont tués de deux manières, par les fusillades ou par les gaz.
Depuis quelques jours, on amène des milliers de juifs de Łódź et on en fait de même avec eux.
Ne pensez pas que tout ceci vous soit écrit par un homme frappé de la folie, hélas c’est la tragique, l’horrible vérité.
Horreur, horreur, homme ôte tes vêtements, couvre ta tête de cendre, cours dans les rues et danse, pris de folie.
Je suis tellement las que ma plume ne peut plus écrire, créateur de l’univers, viens nous en aide

Lors du tournage de l’une des séquences du film Shoah à Grabów, Claude Lanzmann lut la lettre du rabbin Szulman devant la synagogue du village. Voir la séquence du film Shoah.
Présentation de la La synagogue de Grabów

Le mercredi 21 janvier 1942, soit 2 jours après l’envoi de la première lettre, le rabbin Szulman écrivit un nouveau courrier à Łódź.
«A ma chère et aimée famille,
… quatre semaines se sont passées depuis que tous les juifs, hommes, femmes et enfants, ont été déportés vers Koło. Ils ont été déportés par camions vers une destination inconnue. Et la même chose est arrivée à Dąbie, Kłodawa, Izbica Kujawska et d’autres petites bourgades du comté. Malgré tous nos efforts intenses pour connaître quelque chose de leur sort, nous n’avons eu aucune nouvelle sur eux, de quoi que ce soit. Seulement cette semaine, des gens qui se sont enfuit de là nous ont rejoint. Ils disent que tout le monde, espérons que cela ne nous arrivera pas, est empoisonné avec du gaz, les corps incinérés, par 50-60, dans des fosses communes. De plus en plus de victimes sont amenées là et le danger n’a pas encore passé

Lettre du rabbin Jakub Szulman
Lettre du rabbin Jakub Szulman – Archive du ghetto de Varsovie – Institut Historique juif (Cliquer pour agrandir) Photo www.shabbat-goy.com
Cette seconde lettre a pu être transmise par la suite à Varsovie où elle a été intégrée dans les archives du ghetto mise en place par l’organisation Oneg Shabbat dirigée par Emanuel Ringelblum. La lettre du rabbin Szulman a été retrouvée dans une partie des archives qui avaient été mises au jour après la guerre dans les ruines du ghetto de Varsovie.
En avril 1942, les juifs de Grabów ont été déportés vers le camp d’extermination de Chełmno où ils ont été assassinés.
C’est Szlamek Bejler, un juif originaire de Izbica Kujawska et qui s’était échappé du camp de Chełmno alors qu’il était assigné au Waldlager, le site des fosses communes dans la forêt de Rzuchów, qui arriva à Grabów le 19 janvier à 14 heures et qui informa le rabbin de l’existence du camp et de ce qu’il s’y passait. Il partit ensuite pour Varsovie et son témoignage fut retranscrit dans les archives du ghetto d’Emanuel Ringelblum, alors en élaboration.
Le village de Chełmno nad Nerem (Chelmno sur le Ner) ne doit pas être confondu avec la ville de Chełmno située 180 kilomètres plus au nord.

Le cimetière juif de Grabów
Le village de Grabów

Włocławek, une communauté juive disparue

Restes de vie, traces de l’histoire

Si les mises en ligne des sites tardent par manque de temps, les visites des lieux de mémoire juive ne s’arrêtent pas. La dernière en date à Włocławek, une ville située à 160 kilomètres au nord-ouest de Varsovie, non loin de Toruń, la ville de Copernic, en région de Couïavie-Poméranie (kujawsko-pomorskie).
La photo panoramique ci-dessous présente une vue apparemment anodine d’un endroit situé un peu à l’écart du centre ville de Włocławek, c’est là que se trouvait le ghetto durant la guerre.

L'ancien ghetto de Włocławek
L’ancien ghetto de Włocławek (Cliquer pour agrandir) © www.shabbat-goy.com

A Włocławek vivaient environ 12 000 juifs à l’entrée en guerre, ils représentaient un peu moins de 20% des habitants de la ville.
Les juifs s’installèrent à Włocławek au début du XIXème siècle, mais des marchands juifs commerçaient déjà dans la cité depuis le XVIIème siècle. Après l’extermination nazie de la seconde guerre mondiale, une petite communauté émergeât après la guerre et survécu jusque dans les années 1970.
Durant la guerre, les allemands établirent un ghetto au sud de la ville, puis déportèrent par vagues, les juifs de Włocławek vers d’autres villes de l’est, et également vers le ghetto de Łódź et vers Poznań. Le ghetto fut liquidé en avril 1942 et pratiquement entièrement détruit.
Rue Rakutowska, juifs dans le ghetto de Włocławek durant une action de déportation
Rue Rakutowska, juifs dans le ghetto de Włocławek durant une action de déportation (Cliquer pour agrandir) © www.shabbat-goy.com – Fighter Ghetto’s House

Le terrain de l'ancien cimetière juif de Włocławek
Le terrain de l’ancien cimetière juif de Włocławek (Cliquer pour agrandir) © www.shabbat-goy.com
Les deux synagogues furent détruites durant la guerre et la modeste communauté qui se ré-installa en ville après la guerre établit une petite maison de prières. Le cimetière juif qui se trouvait dans le périmètre du ghetto fut démantelé par les allemands en 1941 et les stèles réutilisées comme matériaux de construction. Néanmoins, une partie du cimetière survécut, quelques inhumations eurent lieu après la guerre, mais la nécropole fut liquidée au début des années 1950 par les autorités locales. Un complexe scolaire fut édifié sur le terrain de l’ancien ghetto et du cimetière juif dans les années 1960.
Le carré juif dans le cimetière chrétien de Włocławek
Le carré juif dans le cimetière chrétien de Włocławek (Cliquer pour agrandir) © www.shabbat-goy.com
Des stèles du vieux cimetière juif ainsi que des restes furent transférés vers un nouveau carré juif établi au sein du cimetière catholique.
Une stèle en mémoire des victimes du ghetto fut inaugurée devant l’entrée du groupe scolaire en 2001.
Le monument du ghetto de Włocławek
Le monument du ghetto de Włocławek (Cliquer pour agrandir) © www.shabbat-goy.com

Je rappelle encore ici que les ghettos établis en Pologne durant la guerre l’ont été par les allemands, à l’initiative des allemands, dans le cadre du regroupement, du contrôle et de la déportation des populations juives.

Découverte d’un panneau du ghetto de Legionowo

Une valeur historique unique

En décembre 2016, un panneau d’information en bois, datant de la seconde guerre mondiale, a été proposé à la vente par un particulier, sur un site de vente aux enchères sur internet. Ce panneau, retrouvé dans le grenier d’une maison lors de travaux, sur la commune de Legionowo (aujourd’hui un quartier situé au nord de Varsovie, rive droite), avait été mis à prix pour la somme de 10 000 złoty, soit un peu moins de 2500 euros, et le prix s’est envolé peu de temps après à 50 000 złoty, soit plus de 11 500 euros.

Le panneau du ghetto de Legionowo
Le panneau du ghetto de Legionowo (Cliquer pour agrandir) – Photo Musée Historique de Legionowo

Ce panneau, d’une valeur historique unique, est écrit en allemand, et avait été installé aux abords du ghetto de Legionowo qui avait été établi dès le 15 novembre 1940 par l’occupant et qui fut liquidé en octobre 1942, le jour de la fête de Sim’hat Torah. Les juifs de Legionowo furent alors dirigés vers la ville de Radzymin et de là vers le camp d’extermination de Treblinka.

Le panneau du ghetto de Legionowo durant la guerre
Le panneau du ghetto de Legionowo durant la guerre (Cliquer pour agrandir) – Photo Collection privée
Cette mise en vente intéressait le Musée Historique de Legionowo mais également l’Institut Historique Juif de Varsovie qui ne voulait cependant pas entrer dans ce genre de transaction.
En janvier 2017, la police a été alertée, et après avoir pris connaissance de la position de l’Union des Communautés Juives de Pologne, le panneau a été retiré de la vente et déposé au musée de Legionowo dans l’attente d’une décision.
Selon le code civil, toute découverte par un particulier d’un objet possédant une valeur scientifique ou historique importante doit être remise aux autorités compétentes de l’Etat qui en devient propriétaire tandis que la personne à l’origine de la découverte doit être rétribuée.
Le musée de Legionowo attend donc la décision permettant d’intégrer le panneau du ghetto à leur collection.

Sur ce panneau sont notées les mentions Quartier juif et Entrée strictement interdite aux allemands et aux polonais.

Source de l’article : Virtual Shtetl – Krzysztof Bielawski

La procession de Jasionówka

Une image irréelle…

…aperçue lors de recherches sur les juifs de Jasionówka.
Jasionówka (nom yiddish Yashinovka) en région de Podlachie (nord-est)

Le 28 juin 1941, les allemands entrèrent à Jasionówka qui était auparavant occupée par les russes. Ils rassemblèrent les juifs sur la place de l’église de la Sainte Trinité et mirent le feu à de nombreuses maisons juives.
La photo ci-dessous présente une procession qui passe sur la place à côté des juifs. Un prêtre marche en tête en portant une croix tandis qu’une douzaine de fidèles suivent derrière. Au fond, on distingue sur la droite un véhicule à l’arrêt, certainement allemand, et des polonais le long des maisons en bois. Les juifs regardent passer la procession, une femme juive qui s’est certainement approchée de la procession revient vers la foule. Les soldats allemands observent la scène. La source de la photo indique qu’une mitrailleuse est pointée vers les juifs. Sur d’autres photos prises sur la droite de la place, on distingue de nombreux soldats allemands, des side-cars et des camions. La fumée de l’incendie des maisons juives est visible sur la photo.

La procession de Jasionówka
La procession de Jasionówka (cliquer pour agrandir) © Deutsches Historisches Museum/Gerhard Gronefeld

Durant ces tragiques événements, le curé de la paroisse, Cyprian Łozowski, intercéda auprès des autorités allemandes pour qu’aucun mal ne soit fait à l’encontre des juifs. Un officier allemand lui répondit qu’aucun innocent ne serait tué à la condition qu’il n’y ait pas de communiste. Il s’éleva également fermement avec l’aide de polonais contre les exactions perpétrés par des voyous polonais qui déclenchèrent un pogrom à l’encontre des juifs pendant ces premiers jours d’occupation durant lequel il y eut 74 morts. Auparavant, après le départ des russes, il avait exhorté les paroissiens à empêcher et à battre les polonais qui venaient piller les maisons juives.
Fin janvier 1943, tous les juifs de Jasionówka furent déportés.

Le diaporama ci-dessous présente des photos prises par le photographe Gerhard Gronefeld pour le compte du journal Signal. Gronefeld suivit la Wehrmacht durant la campagne de Russie. Sur quelques photos, on distingue la fumée de l’incendie des maisons juives.

Découvrir l’histoire et le cimetière des juifs de Jasionówka.

Ghetto de Varsovie: Chronologie d’un enfermement

Histoire de la création du ghetto

En Europe centrale et en Europe de l’est, on a recensé plus de 1000 ghettos qui ont été établis pas les nazis entre 1939 et 1941, depuis les pays Baltes jusqu’en Crimée. La Pologne à elle seule en dénombrait plus de 300. Parmi les plus emblématiques, celui de Cracovie, celui de Łódź (Litzmannstadt) le second par la taille et celui de Varsovie, ce dernier enfermant la plus grande population juive.
Destinés à rassembler et concentrer les juifs, ils devinrent les antichambres des camps.
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Ghetto de Varsovie - Zone d'épidémie de typhus
Ghetto de Varsovie – Zone d’épidémie de typhus

La disparition de Stella

Stella Müller-Madej, une rescapée de la liste de Schindler est décédée

Pour beaucoup d’entre-vous, ce nom ne dit certainement pas grand chose, pourtant Stella représente à elle seule toute l’histoire des juifs de Cracovie durant la guerre.
Après s’être retrouvée enfermée à 11 ans dans le ghetto de Cracovie avec sa famille, elle fut transférée vers le camp de travail de Płaszów * (puis camp de concentration) dans la périphérie sud de Cracovie, puis dans l’usine de Oskar Schindler à Brunnlitz en Moravie. Elle faisait partie de la liste des 1000 juifs sauvés par Schindler. Après un séjour aux États-Unis dans les années 1950, elle retourna à Cracovie où elle passa le reste de sa vie.
Elle a retracé toute son expérience de la guerre à travers un livre saisissant, unique témoignage d’un rescapé de la liste de Schindler, Le livre de Stella, paru aux éditions Arte / Editions du Félin en 1997.

Stella Müller-Madej - © Gazeta Krakowska
Stella Müller-Madej - © Gazeta Krakowska
Avec Stella Müller-Madej, c’est l’un des derniers témoins du destin des juifs de Cracovie qui disparait.
(*) Le camp de Płaszów est utilisé comme cadre du film La liste de Schindler et avait été reconstitué dans l’une des anciennes carrières du camp.

Les derniers vestiges du mur du ghetto de Varsovie

Les dernières sections du mur du ghetto

Le mémorial de la rue Sienna a été érigé sur la façade est de l’un des deux fragments de mur du ghetto aujourd’hui existant.
Ces 2 sections de quelques mètres de long sont les derniers vestiges du mur qui enserrait le ghetto de Varsovie (une autre section est visible du côté du cimetière juif et dans la rue Waliców).

On doit aujourd’hui la sauvegarde de ces fragments du mur grâce à l’intervention énergique d’un polonais, Mieczyslaw Jędruszczak qui habitait dès les années 1950 au 55 de la rue Sienna et qui intervint lors du démantèlement d’une partie du mur durant des travaux au milieu des années 1970.
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