Shoaland, inexactitudes et préjugés

Birkenau - © www.shabbat-goy.com

Pologne, donc antisémites, donc pourris…

Je grossis le trait, mais finalement, c’est ce que je ressens à la lecture de l’article publié par Oriane sur le site rootsisrael.com.
Le titre de cet article, J’ai été à Shoahland…la mémoire bafouée (article ici en lien), m’a évidemment interpellé, puisqu’il est fait pour interpeller. Et l’holocauste est effectivement un sujet qui doit interpeller, faire réfléchir, surtout ces temps-ci, à l’heure de la banalisation de l’événement.
Mais en fait, je vais répondre plus généralement et me servir de cet article, car il me semble nécessaire d’apporter quelques précisions. Ma démarche n’étant nullement de dénier, de relativiser ou autre, mais simplement de remettre certains faits au clair lorsqu’ils sont présentés de manière erronés.

En entête de l’article, une photo de l’entrée du camp de Birkenau, mise en scène, noir et blanc, façon Spielberg, comme le générique d’un film noir, des nuages relevés avec PhotoShop, le titre bien en jaune, ombré, peut-être ce même jaune de la rouelle que les juifs du royaume de France portaient à une époque, puis l’étoile jaune. En Pologne c’était un brassard blanc avec une étoile de David bleue, presque comme le drapeau israélien. Il faut mettre en scène, comme si une simple photo de l’entrée de Birkenau que chaque visiteur foule aujourd’hui ne suffisait pas, mais pour Shoahland il faut percuter.

Simple photo de Birkenau - © www.shabbat-goy.com
Simple photo de Birkenau – © www.shabbat-goy.com

Avant de commencer mes remarques je vais poser mes jalons au cas où certains se méprendraient :
Oui des polonais (des polonais, pas les polonais) ont dénoncé des juifs, oui des polonais ont volé des juifs, oui des polonais ont tué des juifs. Oui il s’est passé des choses terribles durant la guerre, oui, mais pas que.

« Vous pensiez connaître la Shoah par coeur?« , le ton est donné. Nous allons découvrir des choses que nous ne soupçonnions pas. A vrai dire, depuis ces années que j’ai ouvert mon blog, depuis ces années que je sillonne la Pologne en long, en large, après ces milliers de kilomètres, ces nombreuses lectures d’articles, de blogs, s’il y a bien une chose dont je me suis rapidement rendu compte, c’est que l’immense majorité des gens, juifs compris, ne connaissent pas énormément de choses de cet événement unique, l’holocauste. Ou la Shoah. Ou le génocide des juifs, puisque un débat semble se dessiner sur la manière de nommer l’événement en France. Oui on connait Auschwitz et son panneau Arbeit macht Frei, Birkenau et sa fameuse entrée, le ghetto de Varsovie et sa passerelle, quelques noms, Treblinka, Himmler, Belzec, Kazimierz depuis que Spielberg y a réalisé son film, Schindler l’industriel allemand, et un peu la Shoah par balles depuis que le père Desbois s’y est investi. Et l’incontournable et indispensable Shoah de Lanzmann, avec ses polonais antisémites, pourris… Mais pas les autres, les Justes, ceux qu’il avait pourtant interviewés comme Tadeusz Pankiewicz.

« On arrive dans l’ancien quartier juif, Kazimierz. Avant la guerre, 65 000 juifs y vivaient »
Les 65 000 juifs n’habitaient pas tous à Kazimierz mais dans toute la ville et une bonne partie dans le quartier de Kazimierz. Nombre de juifs étaient émancipés (dans les grandes villes généralement) et vivaient « à la polonaise », dans d’autres quartiers.

« Auschwitz I, le Disneyland local » selon Oriane, rien que ça.
J’aimerais juste préciser ici que le premier convoi historique de déportés vers Auschwitz (il n’y avait pas de I et II, Birkenau n’existait pas encore) datant du 14 juin 1940, donc vers le Disneyland local, était composé de 728 polonais (dont 20 juifs). Je pense que les familles de ces malheureux déportés seront ravies d’apprendre que leurs disparus étaient partis en excursion au Disneyland local… Surtout quand on sait qu’il est mort seulement à Auschwitz presque autant de polonais que de français morts en déportation durant toute la guerre.
Mais il va falloir quand même développer ce qualificatif de Disneyland local que vous assénez, car j’ai du mal à cerner votre impression. Chaque fois que je suis allé à Auschwitz, je n’ai pas vraiment eu l’impression d’avoir été dans un lieu avec une telle connotation. Mais bon, le musée est maintenu par des polonais, donc antisémites, etc, j’avais oublié.

« Le musée d’Auschwitz a été construit dans une logique idéologique staliniste en 1947, c’est pourquoi à sa création, on ne parle pas de l’extermination des Juifs mais des « martyrs polonais », mais oh, vous savez, toujours un détail« .
« Toujours un détail », façon le Pen… Il me semble que le musée d’Auschwitz a quelque peu changé depuis 1947 la présentation des événements. Mais bon, Pologne, Le Pen, extrême droite, donc antisémites, donc pourris…
La propagande soviétique d’après-guerre a effectivement joué sur le martyr polonais et les 4 millions de morts à Auschwitz. Pour ce qui est du « martyr polonais », au passage que vous mettez entre guillemets, c’est-à-dire une vue de l’esprit selon vous; il y en a effectivement eu un puisque plus de 2,5 millions de polonais non juifs ont péri durant la guerre. Autrement dit, la Pologne est le pays, en rapport avec sa population d’avant-guerre qui a perdu le plus d’habitants (3 millions de juifs et entre 2,5 et 3 millions de polonais non juifs – soit entre 15 et 18% de sa population).
Auschwitz a été le lieu du martyr juif avec 90% des victimes, la symbolique est évidemment la plus forte. Mais également beaucoup de non juifs ont péri à Auschwitz, polonais et étrangers, y compris des prisonniers de guerre russes, des tziganes. Les polonais ont effectivement été victimes de cette tragédie comme le souligne Szewach Weiss l’ancien ambassadeur d’Israël en Pologne sauvé grâce à des polonais. Seulement ils ne sont pas tous morts à Auschwitz. Il est toujours bon de le rappeler même si cela en chagrine plusieurs de l’entendre.
Au-delà de tout ce que l’on peut reprocher au polonais, à juste titre, cette ironie sur le « martyr polonais » illustre au mieux un mépris à l’encontre de ces hommes, femmes et enfants morts ou exécutés sous les balles allemandes et en tout état de cause illustre un déni de l’histoire de la seconde guerre mondiale en Pologne. Pour le « détail », je serais curieux de savoir ce qu’en auraient pensé Józef et Wiktoria Ulma et leurs 6 enfants âgés de 18 mois à 8 ans, tous exécutés devant leur maison parce qu’ils avaient caché 8 juifs sous leur toit, une famille parmi des centaines d’autres, exécutée pour avoir aidé des juifs.
Quand on connait un peu les polonais, on sait que les traces et les cicatrices de la guerre sont encore présentes et vives, chez les jeunes comme chez les anciens. C’est une grande différence chez les français.
Sacré détail…

Birkenau
« Ce camp pue la mort, il est triste et silencieux »
Oui… Oui, ce camp pue la mort, il est triste et silencieux. Et si vous le visitez en plein hiver, sous la neige et la grisaille, il est même glauque.
Quoique au printemps, ça fleurit, c’est même un peu perturbant quand on le visite durant cette période. Comme beaucoup le soulignent, les oiseaux, on ne les entend pas. Pas qu’ils ont déserté cet endroit depuis la guerre ou que le sinistre des lieux les ait fait fuir. Il n’y a pas d’oiseaux tout simplement parce qu’il n’y a pas d’arbres dans le camp, sauf au fond.

« Alors c’est marrant (?), on marche sur la Judenrampe au camp (heu non, la Judenrampe, c’est à l’extérieur du camp, mais bon), et de jolies maisonnettes campent tout le long… A un détail près. Elles sont posées sur les rails qui amenaient à la mort. »
Les maisons autour du camp de Birkenau ne sont pas situées sur l’ancien emplacement des rails. Pourquoi affirmer cela, il suffit de jeter un œil sur Google Earth pour constater qu’il n’en est rien. Toutes les habitations qui se trouvaient sur le périmètre du camp ont été démolies lors de sa construction et leurs habitants expulsés. Mais votre groupe a vu des maisons construites sur les rails… Normal, Pologne, antisémites, pourris…
La Judenrampe a été utilisée jusqu’au début de l’année 1944, c’est à cette date que le tronçon de voie ferrée dont il est question a été posé pour mener les convois directement à l’intérieur du camp. Pour le reste, des fermes existaient avant la construction du camp par les allemands sur des terres agricoles qui se trouvaient au sud du bourg de Brzezinka et de petits villages mitoyens. En tout état de cause, la Judenrampe et la section de voie ferrée se trouvaient à l’extérieur du camp.

« … et visiblement cela ne les empêchent pas de dormir ».
Tout d’abord gardez à l’esprit que plus de 70 000 polonais sont morts à Auschwitz, gazés ou pas et incinérés comme les autres. Alors ceux qui habitent à proximité de Birkenau ou de l’ancienne caserne autrichienne (Auschwitz I), ils sont parfaitement conscients de tout ce qui est arrivé dans ces lieux.
Précisions: Brzezinka (Birkenau) est une bourgade fondée au XIVème siècle, Oświęcim (Auschwitz) a été fondée au début du XIIIème siècle. Des gens continuent à vivre là, ils y vivaient déjà il y a 7 siècles; comme d’autres vivent et dorment autour de Dachau, mais curieusement, là, ça n’émeut personne… Et comme à la cité de la muette à Drancy, ou ailleurs en France où on avait des camps d’internement, mais bon, à Auschwitz, polonais, antisémites…
Aurait-il fallu raser les 2 villes après la guerre ?

Je lis « Au fond, près d’un crématoire un immonde monument soviétique rend hommage aux disparus. Ironie du sort, le mot « Juif » n’apparaît pas« .
Et bien moi, chaque fois que je suis passé dans ce camp j’ai lu cela sur la plaque rédigée en français (ci-dessous): « Que ce lieu où les nazis ont assassiné un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants, en majorité des juifs de divers pays d’Europe, soit à jamais pour l’humanité un cri de désespoir et un avertissement. Auschwitz-Birkenau 1940-1945 »
Là, si ce n’est pas de la mauvaise foi, c’est quoi, dites-moi ?

Birkenau - Plaque du mémorial -
Birkenau – Plaque du mémorial –

« Le musée juif de Varsovie« .
Polin, le Musée de l’Histoire des Juifs Polonais. Sa dénomination exacte, car c’est un musée unique qui présente mille ans d’histoire de présence juive en terre polonaise.
Je continue: « Bon, alors ouais, c’est un joli musée, bien que bordélique, peu pédagogue…« . Ça commence bien. Je poursuis: « Il se veut retracer l’histoire des Juifs en Pologne du XVIème siècle à nos jours« . Oui… bon… Alors Oriane, soit elle est tête en l’air et elle a raté une partie des galeries, soit elle n’a rien compris au parcours et elle a raté une partie des galeries (à peu près 5 siècles d’histoire) car l’histoire commence dès l’entrée ! Quand on descend les escaliers depuis le grand hall ! Où on vous explique Polin, la légende ! PO-LIN. C’est marqué partout autour du musée, sur les façades vitrées… Ensuite on attaque la visite avec Ibrahim ibn Jakub, le marchand juif de Tolède qui passa en Pologne, à Cracovie en 961 de notre ère, au XVIème siècle…
Bon, je vous conseille de visiter le site, le lien est plus haut, vous verrez c’est très bien expliqué. Ce musée est aujourd’hui internationalement reconnu et unique par son contenu et son approche, c’est un grand projet qui a mis plus de 20 ans à aboutir, à l’initiative de juifs, de non juifs.
Là, j’aurais tendance à dire que vous avez visité un musée en diagonale.
Mais bon, le musée ne pouvait qu’être au mieux bordélique, normal, un musée juif en Pologne, antisémites et le reste… ils doivent avoir quelque chose à se faire pardonner comme j’ai lu fréquemment.

« l’ironie de l’histoire veut que les juifs aient eu à payer le mur du ghetto« . Et bien oui, dans une guerre, c’est l’occupant qui fixe les règles. Et même les polonais qui habitaient dans la future enceinte du ghetto durent partir et laisser leurs logements. Et les juifs ont payé pour l’édification du mur (16 km).

« à défaut de nous rendre sur le lieu du ghetto dont il ne reste qu’un pan de mur aujourd’hui« .
Heu oui… Vu l’état de la ville en 1945, l’heure n’était pas à la préservation de ce qui restait du mur du reste largement détruit durant l’insurrection de 1944, les communistes n’y tenaient pas spécialement et les polonais avaient d’autres priorités à l’époque dans une ville en ruines à 90% à reconstruire de fond en comble. Les 2 pans de mur de la rue Sienna ont été préservés grâce à l’action d’un polonais dans les années 1970 et restent donc les seuls vestiges du mur. Mais rue Waliców a été conservé en l’état l’ancienne façade de mur d’une fabrique qui délimitait aussi le petit ghetto.
Si le grand ghetto a été rasé en 1943, il reste encore pas mal d’immeubles de l’ancien petit ghetto. 22 mémoriaux ont été érigés en 2008 sur l’ancien pourtour du ghetto. Un mémorial a été érigé rue Chłodna, là où s’élevait la passerelle entre le petit ghetto et le grand ghetto. D’autres mémoriaux, monuments et plaques balisent la ville des anciens sites de martyrs juifs et de présence juive, comme par exemple l’immeuble qui servait de dortoir universitaire pour Menahem Begin lorsqu’il était étudiant à Varsovie, beaucoup de choses sont à voir.

« Treblinka, aujourd’hui, vous n’y verrez rien »
Effectivement, les camps d’extermination, ou centres de mise à mort pour reprendre la terminologie (plus exacte) de Raoul Hilberg, ont eu une existence très courte et ont été démantelés par les allemands. Fin 43, ils n’existaient déjà plus, sauf celui de Chełmno qui reprit du service en 1944 pour l’extermination du ghetto de Łódź. Le site du camp que vous avez visité c’est Treblinka II, le site d’extermination. Le camp de travail pour polonais Treblinka I est situé à 2 kilomètres, peu de gens le savent.

« Qui entretient les camps aujourd’hui »
Tout est présenté sur les sites web des camps, il suffit d’un peu de curiosité…
Les polonais entretiennent les camps depuis la guerre. Très longtemps à leurs frais. Aujourd’hui, le financement de l’entretien du camp d’Auschwitz est supporté par tous les pays européens et quelques autres: l’Allemagne (60 M€), les Etats-Unis (15 M€), la Pologne (10M€), la France (5M€), Israël (1M$).

« Où sont les plaques mémorielles de l’ancien quartier juif de Kazimierz à Cracovie et partout ailleurs en Pologne? »
Hé bien il faut ouvrir les yeux, il y en a plein. A Podgórze aussi, dans l’ancien ghetto. Ci-dessous par exemple, sur la place de l’ancien ghetto de Cracovie, devant la pharmacie de Tadeusz Pankiewicz dont vous devriez visiter le lieu. Il y a des panneaux sur le trottoir, celui de droite indique tous les lieux que l’on retrouve dans le quartier, à Kazimierz et ailleurs, le panneau à côté du groupe qui visite explique le lieu (la place). Les chaises sur la place ce n’est pas de la déco, c’est un mémorial avec sa signification présentée sur un panneau.

Podgórze, la place des héros du Ghetto à Cracovie (Cliquer pour agrandir) - Photo Google Maps
Podgórze, la place des héros du Ghetto à Cracovie (Cliquer pour agrandir) – Photo Google Maps

« …Partout ailleurs en Pologne?« , il y en a aujourd’hui beaucoup, beaucoup. Certes, ce ne sera jamais assez, mais pour avoir parcouru des milliers de kilomètres et plus dans le pays, il y en a, beaucoup, mais bon, pour ça il faut sortir des « circuits holocauste balisés » et accessoirement, aller à la rencontre des polonais, de la Pologne, antisémites, pourris…

« A t-on rendu leurs propriétés à ces juifs qui ont été spoliés ? »
Ça c’est nettement plus compliqué qu’en France.
Il faut déjà savoir qu’une partie du pays, Basse-Silésie, une partie de la Silésie, Poméranie, Prusse orientale et d’autres régions étaient en Allemagne avant la guerre. Il faut savoir également que l’Ukraine occidentale, la Biélorussie et un morceau de la Lituanie étaient en Pologne avant la guerre. De plus, il ne faut pas oublier que le communisme s’est abattu après la guerre dans une nouvelle Pologne dévastée où de nombreuses populations des anciens territoires de l’est sont venues s’installer dans des villes et villages de la Pologne actuelle. Les habitations qui avaient survécu à la guerre ont été généralement nationalisées, comme les synagogues et le reste. Les synagogues, les cimetières et de nombreux autres lieux ont été restitués aux communautés juives de Pologne après la chute du communisme et l’intégration dans l’UE. Certains de ces biens ont été revendus par les communautés juives car elles se retrouvaient dans l’impossibilité financière de subvenir aux restaurations, aux travaux, à l’entretien, etc, d’autres ont été loués. Paradoxe du destin, c’est ces nationalisations qui ont permis à nombre de synagogues d’arriver jusqu’à nous, sinon elles seraient tombées en ruines depuis bien longtemps. Aujourd’hui, beaucoup d’entre elles ont été restaurées, mais il en reste beaucoup à sauver. Certaines sont complètement en ruines, et les restaurer pour quel projet dans des petites bourgades avec peu de moyens où les juifs ont disparu depuis des lustres. Concernant les habitations, les immeubles, ce qui a survécu, car il faut garder à l’esprit que la guerre est passée par là, je sais qu’il existe souvent de gros problèmes concernant les propriétés, les ayant-droits, car les familles ont disparu, les traces ont disparu, les actes, etc, beaucoup de biens, depuis la guerre ont été acquis de manière légale par des polonais, ont été restaurés, entretenus, revendus, rachetés. Je ne puis répondre avec précision sur ce sujet.
Mais c’est aussi un problème qu’il peut y avoir avec des familles allemandes, expulsées après la guerre. D’ailleurs je note que nombre de juifs qui s’étaient réfugiés en URSS au début de la guerre étaient revenus s’installer en Basse-Silésie dans des maisons et propriétés allemandes, région où s’était reconstituée une forte communauté juive après la guerre, sans forcément se préoccuper de qui habitaient là avant.
Le problème se pose également pour certains châteaux, certaines demeures, anciennes propriétés prussiennes puis allemandes, le problème des restitutions est très complexe et ne se limite pas aux biens juifs.

« Pourquoi personne ne se rend jusqu’aux fosses communes du camp de Birkenau ? »
Voilà une curieuse question !? C’est à chacun d’organiser sa visite, et surtout d’avoir une connaissance avant d’arriver sur les lieux, autrement dit de lire et d’apprendre avant de se rendre en Pologne. Je pourrais vous retourner la question: « avez-vous visité à Oświęcim le cimetière juif restauré ces dernières années, et la synagogue qui abrite un musée du judaïsme ? » Je sais que la réponse sera non, comme 99,98% des visiteurs qui passent à Auschwitz.

« Je rentre profondément choquée de l’oubli dans laquelle la Shoah est tombée en Pologne »
Alors moi, je suis plus que choqué de lire une affirmation pareille, vous qui finalement n’êtes passée qu’en coup de vent en Pologne ! J’ai franchement l’impression par moments que vous avez une connaissance de ce qui se passe en Pologne autour du sujet holocauste aussi précise que celle que je puis avoir de la récolte du pavot en Afghanistan !
Autant je m’élève avec véhémence lorsque j’entends des choses ineptes proférées en Pologne, autant je m’emporte quand j’entends ou lis des affirmations pareilles de la part de juifs ou de non juifs !
Oriane , ce n’est pas parce que vous ignorez ce qui se passe en Pologne qu’il ne se passe rien ! On s’informe avant d’écrire un article !
Si vous voulez savoir exactement ce qui se passe en Pologne autour du sujet juif et holocauste, ce n’est pas les sites internet qui manquent, à commencer par Virtual Shtetl, le plus complet, de l’association de l’Institut Historique Juif, et en cherchant un petit peu, vous trouverez les sites des communautés juives également, et d’autres qui tournent autour de la préservation du patrimoine juif en Pologne par exemple. Ce n’est pas en français, par contre.

L’holocauste est enseigné dans les écoles, dans nombre de communes, des élèves et des lycéens sont impliqués dans l’entretien du cimetière juif, l’histoire des juifs de leur commune, l’inauguration d’une stèle, beaucoup visitent les camps, maintenant le musée juif de Varsovie, certaines classes (pas assez) participent à des rencontres avec des élèves israéliens.
Cela n’a strictement aucun sens et ne repose sur aucun fait d’affirmer que « la Shoah est tombée dans l’oubli en Pologne« . Et venant d’une étudiante, autrement dit prédisposée à l’analyse et à la réflexion, j’avoue que j’en reste stupéfait ! Vous devriez par exemple vous pencher sur l’enseignement de l’holocauste en Autriche où là il est réduit à sa plus simple expression.

Oui, des polonais ont dénoncé des juifs, oui, des polonais ont tué des juifs, oui, des polonais ont volé des juifs, oui, il s’est passé des choses terribles dans ce pays, je le répète. Et les polonais, durant 2 générations, n’ont pas été instruits sur l’holocauste, ils ne connaissaient pratiquement rien, seulement le discours officiel et effectivement le « martyr polonais », même si celui-là a bien été réel et a touché quasiment toutes les familles dans leur chair. Le mot holocauste n’a fait son apparition dans les livres d’histoire qu’au milieu des années 1990. Depuis il y a eu des événements importants qui ont interpellé l’opinion, des films, des émissions, des documentaires, etc.

Depuis que je me consacre à ce sujet et, bien que les nouveaux moyens de communication devraient nous permettre de mieux connaître et cerner l’histoire, le réseau, les livres, les témoignages, c’est en fait plutôt le contraire qui se passe. Je me suis rendu compte que les premiers concernés par cette tragédie, les juifs (une très grande majorité), ne connaissent finalement pas grand chose ou à peu près rien de l’histoire de leurs ancêtres en Europe de l’est, de la vie des communautés juives de l’est.

Un juif ne peut pas comprendre l’histoire des juifs en Pologne s’il ne se plonge pas dans l’histoire de la Pologne. Un polonais ne peut pas comprendre l’histoire des juifs s’il ne se plonge pas dans l’histoire des juifs en Pologne. Parce que les deux histoires sont intimement imbriquées. Tant que chacun viendra avec son bout d’histoire, ses convictions et ses certitudes, rien n’avancera et comme vous dites justement, « plus jamais ça » ne restera qu’un vain mot.
Le musée Polin, de l’Histoire des Juifs Polonais raconte cette histoire. Car pour qu’une population de quelques individus il y a mille ans se retrouve à trois millions et demi d’individus sur le sol polonais à l’entrée en guerre n’est pas le simple fait du hasard. Ce sont les conséquences d’une histoire commune, riche, tortueuse, difficile et partagée. L’histoire des juifs en Pologne ne commence pas en 1919 (à l’indépendance retrouvée de la Pologne) et ne se termine pas en 1946 à Kielce. Elle est bien plus vaste, complexe et nuancée, elle demande un effort de recherche et d’apprentissage si on veut mieux comprendre et la vie des juifs, et la vie des polonais, car l’un ne va pas sans l’autre.

En 2014, à travers le pays, plus de 40 festivals et manifestations ont été organisés sur le thème de la culture juive. A Cracovie, cela fait un quart de siècle maintenant qu’un grand festival est organisé à Kazimierz, à Varsovie on va assister à la 12ème édition du festival Singer de la culture juive. Vous rendez-vous compte ? en Pologne ! Oui je sais, d’aucuns diront qu’ils ont quelque chose à se faire pardonner, du business, etc. Comme j’aime à dire, allez seulement imaginer en rêve un festival de la culture juive place de la République à Paris ! Pourtant, ici, ça existe, à Varsovie, un festival créé par Gołda Tencer, directrice de la fondation Shalom et du théâtre juif.
Beaucoup de polonais s’investissent et s’intéressent à cette histoire, parfois la leur car ils découvrent un lointain ou un proche parent juif dans la généalogie familiale, quand ce n’est pas eux-mêmes.
Seulement à force de crier à l’antisémite, un jour, ceux qui s’investissent et s’intéressent, ils baisseront les bras, ils laisseront tomber. Et ce jour-là, les cimetières qui ont survécu seront définitivement abandonnés, parce que les juifs, d’où qu’ils soient, ils ont besoin des polonais pour faire vivre la mémoire, cette mémoire commune, que vous le vouliez ou pas, car la mémoire, elle est aussi ici.

Je ne vais pas m’étaler, je n’ai pas abordé d’autres points de vos remarques comme celui de l’église qui avait été érigée du temps du communisme en 1982 dans un bâtiment initialement édifié pour les SS dans le cadre de l’extension du camp de Birkenau et qui à la fin de la guerre était resté inachevé et donc complètement indépendant et sans liens avec la structure du camp tel qu’il était en 1945.

Vous dites que vous avez la « responsabilité de transmettre« , alors transmettez, mais transmettez toute l’histoire, celle de l’holocauste, mais pas seulement, aussi celle des juifs en terre polonaise, aussi celle de cette relation millénaire judéo-polonaise, avec précision, pour la compréhension de toute l’histoire. Et si possible avec les polonais, puisque comme vous dites en conclusion, les non juifs, c’est aussi les polonais, et d’autres peuples d’Europe de l’est.

Moi, pour ma part, je continuerai à effectuer mes visites de cimetières juifs, même les lieux où ils ont disparu, souvent là où rarement quelqu’un passe, parfois personne. Tant que j’aurai la motivation, je continuerai car si je fais cela, c’est pour ceux qui, ne sont plus là, pour ces générations que l’on a voulu éradiquer de l’histoire; et pour ceux qui à travers mon site, mes photos, aperçoivent, souvent de loin, un bout de leur histoire familiale. Je ne suis pas polonais, je ne suis pas juif, ni même un arpenteur comme on les appelle, mais à ma modeste mesure, je laisse une trace sur le réseau, une trace bien fragile, face aux certitudes et aux vérités des uns, aux ignorances, aux incompréhensions des autres et finalement à l’indifférence du plus grand nombre. Mais peu importe.