Présentation de la rue Próżna

Localisation: Entre la place Grzybowski et la rue Zielna
Latitude : 52°14’11.19″N
Longitude : 21° 0’17.61″E

Une des rares traces de la Varsovie juive

La Varsovie juive - Rue Prozna - Prozna street
La Varsovie juive – Rue Prozna – Prozna street  Photo www.shabbat-goy.com (Cliquer pour agrandir)

S’il est aujourd’hui une rue particulière à Varsovie, une rue où resurgit le souffle de l’histoire, c’est bien la rue Próżna.

Il n’existe quasiment plus de traces 1 des anciennes rues où battait le cœur de la vie juive de Varsovie, la guerre et la reconstruction ont tout emporté. Il subsiste encore de vieux bâtiments qui ont survécu jusqu’à aujourd’hui, essentiellement ceux qui se trouvaient dans le petit ghetto, le grand ghetto quant à lui a été complètement détruit durant l’insurrection de 1943 puis complètement démantelé lorsque les allemands installèrent sur ses ruines le KL Warschau dont le but était le déblaiement des ruines et le tri des métaux.

Carte de la rue Próżna en 1936
La rue Próżna en 1936. En vert les immeubles aujourd’hui visibles, en jaune les immeubles disparus. Voir une vue actuelle Google Maps de la rue Próżna

Située aujourd’hui non loin du palais de la culture, la rue Próżna s’élance de la rue Zielna, une rue parallèle à l’avenue Marszałkowska et débouche sur la place Grzybowski.
Mais avant la guerre, la rue était plus longue et reliait d’ouest en est la place Grzybowski à l’avenue Marszałkowska, Marschallstaße comme l’appelaient alors les allemands. Elle avait une dimension symbolique car elle reliait la partie juive autour de la place Grzybowski vers la partie polonaise de l’avenue Marszałkowska. D’ailleurs les immeubles de la section est, 1, 2 et 4 étaient habités essentiellement par des polonais et le reste surtout par des juifs.
La rue Próżna est la dernière rue qui a été ouverte dans ce secteur de la place Grybowski où vivait une population juive avec l’installation des premiers juifs durant le XVIème siècle. Le percement de la rue fut réalisé vers 1880 après l’acquisition des biens immobiliers de Abram et Zofia Idelsohn

Rue Próżna - © Romuald Broniarek / www.shabbat-goy.com
Rue Próżna – © Romuald Broniarek / www.shabbat-goy.com
14 rue Prozna - Prozna street 14 © J. Zielinski
14 rue Prozna – Prozna street 14 © J. Zielinski

Les premiers bâtiments à avoir été construits sont les numéros 5, 7, 9 et 10 dans les années 1880 sous la direction de l’architecte Franciszek Brauman.
L’immeuble situé au numéro 9, de style néo-renaissance, a été construit entre 1880 et 1882. Il s’agit du bel immeuble restauré qui est visible aujourd’hui et qui débouche sur la place.  Il appartenait à Naftali Perlman et à Zalman Nożyk, le fondateur de la synagogue éponyme Nożyków voisine qui a survécu à la guerre. En 1919, Boruch Cukerman, un fabricant d’écrous et de boulons devint le nouveau propriétaire, il possédait là sa propre boutique.

 

Majer Wolanoswki
Majer Wolanoswki – Photo All Rights Reserved – Lucjan Wolanowski

Le grand immeuble situé en face au numéro 14 et qui donne sur la place Grzybowski a été construit entre 1898 et 1899. Il fut édifié pour le compte de Majer Wolanowski (1844-1900), un industriel originaire de Radom, qui avait ouvert en 1858 une boutique de vente d’objets en métal sur la place Grzybowski et qui par la suite se spécialisa dans la fabrique de matériels de construction pour de gros clients, notamment les chemins de fer russe. Il créa une grande usine à Varsovie, dans le quartier de Muranów (rue Gęsia) et développa rapidement une intense activité dans un contexte d’industrialisation de la Pologne durant la seconde moitié du XIXème siècle.

C’était un grand immeuble de style de 4 étages dont il ne subsiste aujourd’hui qu’une partie du côté de la place.
Le numéro 7 a été construit entre 1880 et 1882. Il a appartenu au départ aux sœurs Anna et Ludwika Braun. Ensuite en 1891 Salomon Neufeld a racheté l’immeuble qui changea à nouveau de propriétaire en 1894 avec Rozalia et Szejwach Batawia.
Le numéro 10 a été édifié entre 1910 et 1912. Il abritait sur 3 étages les bureaux et les installations de la compagnie American International Bell Telephone Co qui avait reçu en 1881 du gouvernement russe une concession de 20 ans pour construire et exploiter un réseau de téléphonie à Varsovie . De fait, de très nombreux fils téléphoniques traversaient la rue pour alimenter 800 abonnés de la capitale et du quartier Praga peut-on lire sur une brochure datant de 1893. Le numéro 12 a été également été construit entre 1910 et 1912.

De l’autre côté de la rue donnant sur l’avenue Marszałkowska, le numéro 2 avait été édifié dans la seconde moitié du XIXème siècle par l’architecte Julian Ankiewicz, il a été détruit en 1939. En face, le numéro 1 avait été édifié en 1862 par l’architecte Theodor Shoen.

La rue Próżna était essentiellement habitée par des juifs. On y vendait surtout des articles de ferronnerie, de métal, dans de nombreuses boutiques situées au rez de chaussée ainsi que des livres bon marché ou de belle édition. C’était là l’une des principales activités commerciales dans ce secteur autour de la place Grzybowski qui devint également le lieu des manifestations des mouvements socialistes et du Bund en particulier. La bourgeoisie juive et polonaise qui habitait les beaux immeubles de la rue Próżna côtoyaient les populations ouvrières et orthodoxes juives de la rue Twarda (prolongement ouest de la place Grzybowski) qui a son extrémité rejoignait les quartiers populaires et ouvriers polonais. La population polonaise restait cependant très présente dans ce secteur commercial animé autour de l’église de tous les Saints qui avait été édifiée le long de la place Grzybowski.

Au début du XXème siècle, B. Krakowska ouvrit une boutique de vêtements au numéro 7 et Icek Blumenfeld un restaurant et une brasserie. En 1919, Jan Gombrowicz racheta l’immeuble du numéro 7. Durant l’entre-deux guerres, la rue était surtout habitée par des artisans et des propriétaires de magasins juifs. La proximité de l’artère centrale de Marszałkowska en faisait une rue très vivante.

Au déclenchement de la guerre en 1939, les maisons situées aux numéros 2 et 4 furent incendiées durant les bombardements allemands.
Durant la guerre, une partie de la rue Próżna se retrouva enclavée dans le petit ghetto dès novembre 1940 et un mur fut édifié qui l’isolait de la rue Zielna. Cependant, en avril 1941, la délimitation du ghetto fut redéfinie dans ce secteur et la rue Próżna en fut définitivement exclue.
Suite au départ des juifs de la rue, les appartements furent occupés par des polonais. A la place du restaurant de I. Blumenfeld, Józef et Bronisław Perłowscy installèrent un commerce de vin et eau. Lors du déclenchement de l’insurrection de 1944, la rue devint un lieu de combat intense, une barricade fut édifiée. L’immeuble du numéro 14 (Wolanowski) abrita le bataillon Kiliński de l’Armia Krajowa (Armée de l’intérieur, AK).

Après l’écrasement de l’insurrection, des bâtiments de la rue Próżna furent incendiées mais la plupart des immeubles de la rue étaient encore debout et assez bien conservé à la fin de la guerre.

Rue Próżna, le mur du ghetto © Warszawa wczoraj i dzis›
Le mur du ghetto vu depuis le croisement des rues Próżna et Zielna. A droite le bel immeuble est le 6 de la rue Próżna © Warszawa wczoraj i dzis› (Cliquer pour agrandir)

Une photo des années 1950 (deuxième photo en haut avec les taxis) montre les immeubles 14 et 9 dans un état encore acceptable, notamment le numéro 9 avec ses stucs et ses détails architectoniques visibles.

Cependant, dans les années 1945 et 1946, les immeubles des numéros 1,3,8 et 10 furent démolis. Vers la fin des années 1950, l’immeuble numéro 6 qui faisait l’angle avec la rue Zielna fut également démoli. La partie de la rue située entre les rues Zielna et l’avenue Marszałkowska fut démolie. Dans les années 1980, l’administration envisageait la destruction des derniers bâtiments, mais des voix s’élevèrent et le projet fut abandonné. De fait, depuis la guerre, aucun entretien ou restauration ne fut engagé sur les derniers immeubles. Le temps fit son œuvre, les crépis et les stucs disparurent, plongeant les immeubles dans un état de délabrement très avancé.
En mars 1987 les quatre derniers immeubles d’origine de la rue Próżna ont été inscrits au registre des monuments. Aujourd’hui il ne reste plus que ces 4 immeubles (les numéros 7, 9, 12 et 14) sur les 12 qui existaient avant la guerre.
Les immeubles 7 et 9 et 12 ont été entièrement restaurés ces dernières années.
Le dernier immeuble, 14 – Wolanowski, est actuellement en attente de restauration.

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La rue Próżna hier et aujourd’hui © www.shabbat-goy.com
Rue Próżna et place Grzybowski durant le festival Singer © www.shabbat-goy.com
Rue Próżna et place Grzybowski durant le festival Singer © www.shabbat-goy.com

Chaque année se déroule sur la place Grzybowski et dans la rue Próżna le festival Singer de la culture juive organisé par la fondation Shalom.

Dans le cadre de l’exposition I ciągle widze ich twarze (Et je peux toujours voir leur visage, And I can still see their faces) initiée par Gołda Tencer, directrice du théâtre juif situé sur la place Grzybowski, un appel fut lancé pour recueillir des photos de juifs disparus et des centaines de clichés furent envoyés. Certaines de ces photos furent exposées des années durant sur les vieux immeubles de la rues Próżna.

Visage de Lusia Bronstein en haut © www.shabbat-goy.com
Visage de la petite Lusia Bronstein en haut © www.shabbat-goy.com – Cliquer pour voir la photo de Lusia Bronstein © And I still see their faces – Shalom Fundation

Parmi ceux-ci, celui d’une jeune fille retint l’attention par son expression, on la voit portant une coiffe à carreaux, la tête penchée et posée sur sa main. Il s’agit de Lusia Bronstein, originaire de Tarnów, elle avait la nationalité brésilienne et a été déportée avec une partie de sa famille. C’est son visage que l’on peut voir sur la fenêtre d’angle du troisième étage du numéro 14 qui donne sur la place Grzybowski.
Elle nous rappelle avec les autres visages tout ce monde disparu qui animait la vie juive de Varsovie et de Pologne.
1 Deux immeubles de la rue Krochmalna subsistent à la jonction de la rue Żelazna comme ultime témoignage de la rue juive où vécu Isaac Bashevis Singer
Sources:
Polish jews and their culture – Adam Dylewski,
warszawa1939.pl,
Próżna, ocalona ulica żydowskiej Warszawy – Janusz Sukecki via le site Projekt Próżna.

Projet immobilier de la rue Próżna © OP Architekten
Projet immobilier de la rue Próżna © OP Architekten
Ghetto de Varsovie: rue Próżna - Fin 2012, restauration des immeubles 7 et 9.
Ghetto de Varsovie: rue Próżna – Fin 2012, restauration des immeubles 7 et 9.

Depuis leur classement en 1987 au registre des bâtiments historiques, de nombreux projets ont été portés sans toutefois aboutir. La réhabilitation des immeubles de la rue Próżna en immeubles de bureaux de prestige a démarré. Le projet Office Le palais est mené par la société autrichienne Warimpex AG qui a acquis les immeubles 7 et 9 de la rue Próżna en 2005. 7300 m² de bureaux ont été réalisés dans les immeubles complètement remis à neuf et qui retrouvent leur physionomie et architecture d’antan. Les rez de chaussée ont été aménagés en locaux commerciaux sur une surface de 900m². Un parking souterrain de 33 places a également été construit.

La rue Próżna de 1891 à aujourd’hui

Diaporama de la rue Próżna

La statue de Hitler dans le ghetto

Réalisée par Maurizio Catellan, La statue controversée d’Hitler a été installée un temps dans l’entrée du numéro 14 de la rue Próżna.

La rue Próżna et les circuits touristiques

14 rue Próżna, immeuble Wolanowski
14 rue Próżna, immeuble Wolanowski – © www.shabbat-goy.com

Il peut paraître étonnant pour des visiteurs que la rue Próżna soit aujourd’hui l’une des ultimes traces de la Varsovie juive d’avant guerre, mais c’est pourtant une réalité. La guerre a laissé des marques profondes et indélébiles, des trous béants, dans la longue histoire de la ville. Un habitant sur trois était juif, des juifs assimilés, des juifs orthodoxes, hassidiques, dans cette ville (et dans bien d’autres) vivait tout le kaléidoscope de la vie juive décrite par Isaac B. Singer.
A la lecture de commentaires que j’ai pu lire sur des sites, beaucoup de gens qui se rendent à Varsovie pour découvrir l’histoire et les lieux où vivaient ces communautés juives s’attendent à voir des immeubles et des rues du ghetto un peu comme ils ont pu les découvrir sur des films d’archives ou dans des livres. Il n’en est rien. Si vous me demandez que reste t-il à voir du ghetto, je vous répondrai rien, strictement rien. Et pour une bonne partie de la ville et de ses quartiers ouest plutôt habités par la classe ouvrière polonaise avant la guerre, il en est de même; beaucoup n’ont pas idée de l’état de la ville à la fin du dernier conflit mondial, à tel point que les autorités d’après guerre ont pensé transférer la capitale à Łódź.

Rue Próżna
Rue Próżna © www.shabbat-goy.com (Cliquer pour agrandir)

La rue Próżna a été revitalisée ces dernières années. 3 des 4 derniers immeubles d’avant guerre ont retrouvé leur façade d’autrefois avec leurs stucs. Evidemment ces restaurations seront décriées ou contestées, comme cela a été le cas dans un documentaire diffusé sur une chaîne française à l’occasion d’un voyage organisé par une association française qui propose des voyages dans le monde sur le thème du judaïsme. La journaliste et les participants ne peuvent pas s’imaginer de voir ces immeubles restaurés et transformés « en immeubles de luxe » selon leurs propres mots. Pour eux, le ghetto c’est forcément des immeubles décrépis, en ruines, en noir et blanc comme dans les archives, comme le numéro 14, le dernier immeuble dans un triste état. Et pourtant non, la rue Próżna n’était pas une rue populaire, là habitaient des gens bien argentés, des propriétaires aisés, effectivement dans des immeubles et des appartements de luxe. Il faisait partie de cette classe juive de commerçants et industriels qui vivaient comme leurs voisins polonais aisés dans des immeubles cossus.
La photo ci-dessous illustre bien le luxe des habitations de la rue Próżna avec cette pièce de l’ancien appartement des époux Rywka et Zalman Nożyk au numéro 7 avec un magnifique plafond orné d’étoiles de David et un plancher d’origine, restauré, réalisé en marqueterie.

Une pièce de l'appartement de Zalman Nożyk, au 7 de la rue Próżna
Une pièce de l’appartement de Zalman Nożyk, au 7 de la rue Próżna (Cliquer pour agrandir) – Photo Michał Przeździk, archiwum : OP Architekten, Trygon/IVG

Voilà pourquoi si cette rue reste l’une des très rares traces de vie juive à Varsovie, elle représente assez mal, ou pas du tout, la partie juive populaire, largement majoritaire avant la guerre. Et de mon point de vue, entre novembre 1940 à mars 1941, période durant laquelle la rue a été intégrée dans le petit ghetto, elle n’a été nullement le témoin de ces juifs affamés en haillons du ghetto, de cette juive décharnée des archives qui parcourt une rue avec son enfant mort dans les bras ou de ces cadavres morts la nuit et que l’on aligne le matin devant la porte cochère afin de les transporter tels des fagots de bois pour les inhumer dans une fosse commune à côté du cimetière juif.

La rue Próżna reste pour moi beaucoup plus symbolique de la présence juive que réellement emblématique de cette présence disparue. Elle est le témoin de la classe juive aisée comme d’autres immeubles dans quelques autres quartiers témoignent plus de la vie juive populaire.
Elle est devenue aujourd’hui l’emblème, le témoin du ghetto, le lieu incontournable des visites guidées; il faut bien montrer quelque chose.

On ne peut commencer à imaginer la vie juive et la Varsovie d’avant guerre qu’en se plongeant dans les livres et dans l’histoire de la capitale, dans sa topologie et ses rues disparues avec leurs longues façades d’immeubles gris, c’est un travail minutieux, long, passionnant pour qui aime l’histoire des lieux, se plonger dans le passé, mais c’est un travail qui de toute façon ne peut restituer que des bribes d’impressions. Car au final, quand on se rend sur le terrain, en connaissance de cause, c’est une amertume qui vous envahit, on voudrait pouvoir remonter le temps et parcourir cette ville animée d’autrefois, croiser ces gens. Mais l’histoire est passée, et 3 immeubles, fussent-ils restaurés ou pas, ne restitueront jamais ce que fut le cadre de vie des juifs, et des polonais, à Varsovie.

Découvrir la liste des abonnés du téléphone de la rue Próżna (1938-1939).

Positionner la figurine sur la carte ci-dessous afin de visualiser en mode Street View.