La dernière synagogue de style oriental en Pologne

Landé, une famille qui a marqué l’histoire des juifs d’Ostrów Wielkopolski

Il est une synagogue quasiment inconnue du grand public qui s’intéresse à l’histoire de la Pologne et qui ne figure pas sur les circuits touristiques dédiés au patrimoine juif. Pourtant cette synagogue possède quelque chose d’unique dans son architecture puisque c’est la dernière grande synagogue de style oriental que l’on peut admirer aujourd’hui en Pologne, à Ostrów Wielkopolski, en région de Grande Pologne (ouest), à une centaine de kilomètres au nord-est de Wrocław. Elle est à mes yeux l’une des plus belles synagogues aussi bien par le style mauresque unique de ses élévations et de ses deux tours que par sa double galerie en bois qui surplombe l’ancienne grande salle de prières. Elle fût inaugurée en 1860 et son architecte et bâtisseur s’appelait Moritz Landé.

La synagogue de Ostrów Wielkopolski restaurée en 2010
La synagogue de Ostrów Wielkopolski restaurée en 2010 (Cliquer pour agrandir) – Photo www.shabbat-goy.com

 

Moritz Landé
Moritz Landé

Moritz Landé est né en 1829 à Ostrów Wielkopolski, une ville polonaise alors appelée Ostrowo lorsque la province de Posen (Poznań) était sous domination germanique durant le XIXème siècle. Né dans une famille juive, il était le fils de Löbel Landé, un commerçant prospère établi en ville.
Les origines de la famille remontent probablement à leur présence dans la ville de Landau dans le land de Rhénanie-Palatinat et serait affiliée à la lignée de la famille sacerdotale des Lévites. Dans cette ville germanique, les familles Landau étaient installées depuis de très longues générations, et, selon la tradition familiale, installées dès les premiers siècles de la chrétienté avec l’arrivée des légions romaines. Avec la persécution des juifs en terre germanique dès le XIème siècle, les familles émigrèrent vers l’est dans les territoires de la Pologne et de l’actuelle République Tchèque. Des enregistrements des familles sont notés à Cracovie, à Opatów et à Tarnopol en Ukraine. Beaucoup de descendants sont devenus prêtres et rabbins conformément à la tradition des lévites. C’est vers le XVIIIème siècle que le nom de Landau a été transformé en Lande. L’accentuation du nom, Landé, n’étant apparue qu’à partir du début du XIXème siècle à Ostrowo.
Le premier représentant de la famille présent à Ostrów était Jakob ben Jicchak ha-Levi Lande, arrivé en ville très probablement depuis Kalisz vers 1770 pour prendre les fonctions de premier rabbin permanent. Il se maria avec Vögele, la fille d’un scientifique dénommé Samuel Cohen. Le rabbin Lande mourut en 1787 et fut enterré dans le cimetière juif de Ostrów. Jakob eut deux fils, Hirsh et Moses, et une fille Torza.
Plusieurs générations de la filiation de Moses se sont succédée à travers ses 4 fils et 2 filles. Seul Löbel Landé (1788-1869) est resté à Ostrów alors devenue Ostrowo. un autre fils, Jakob, s’installa à Wrocław (Breslau) et Dawid, entrepreneur et industriel, géra ses
affaires au travers d’une mine de tourbe, une trentaine d’ateliers de tissage situés à Kalisz et une filature de coton à Łódź.
Löbel se maria avec Blume Zuckermann et ils eurent 14 enfants dont 5 filles et 5 garçons (les autres étant morts en bas-âge). Il exerça de façon prospère à Ostrowo comme commerçant notamment avec l’approvisionnement en fruits exotiques. Il a été le fondateur d’une synagogue et l’un des principaux bienfaiteur d’une école juive. Il fut l’un des premiers juifs naturalisé prussien en 1833.

Josef Landé, frère de Moritz
Josef Landé, frère de Moritz (Cliquer pour agrandir) – Photo Domaine public

Parmi les enfants du couple Löbel et Blume, il y eut le futur architecte Moritz et Josef, qui devint un commerçant célèbre à Ostrowo puis à Berlin. Il est à noter qu’après la première guerre mondiale, on assista à une forte émigration des juifs d’Ostrowo, redevenue Ostrów, vers l’Allemagne. Hugo, le fils de Josef ouvrit un cabinet d’avocats en Allemagne à Elberfeld, il se maria avec sa cousine Tekla Landé, la fille de Moritz, et le couple fut très actif dans les mouvements socialistes et dans leur ville où Tekla fût l’une des premières femmes d’Allemagne à siéger dans un conseil municipal. Ils eurent quatre enfants. Leur fils aîné, Alfred Landé devint un grand scientifique, professeur à l’Université de Tübingen, puis chercheur à l’université Colombus, Ohio, aux Etats-Unis. Leur fille Charlotte exerça en tant que pédiatre, Franz devint musicien, compositeur et critique, il mourut à Auschwitz; et Eva qui fit carrière en tant que professeur puis œuvra au sein d’une organisation chrétienne d’Amérique dans la lutte contre la pauvreté.

Moritz Landé fut éduqué par un percepteur puis il poursuivit ses études à Breslau (Wrocław). Il partit vivre chez son oncle Jacob Landé qui était architecte. Il se maria avec Sophie Block en 1857.
Il dessina et dirigea l’édification de la synagogue de Ostrów Wielkopolski dont la construction s’étala entre 1857, avec la pose de la première pierre, et son inauguration en 1860 en présence du rabbin Aron Moses Stössel et des autorités de la ville.
La synagogue fut réalisée dans un style architectural oriental mauresque. C’était alors l’un des bâtiments les plus prestigieux de la ville. Un grave accident survint en 1872 à la synagogue le jour de Yom Kippour où une coupure de gaz, qui était utilisé pour éclairer l’intérieur de l’édifice, provoqua un mouvement de foule durant lequel 19 personnes moururent piétinées.

Le bâtiment édifié en briques s’inscrit dans un plan perpendiculaire avec une arche Sainte (Aron ha-Kodesh) située au sud de la grande salle de prières qui est surmontée par deux majestueuses galeries réalisées en bois. Les élévations intérieures et les boiseries sont ornées de polychromies. Les élévations extérieures furent réalisées avec des décorations architectoniques inspirées du style mauresque oriental qui se développa alors durant le XIXème siècle en Europe. Les deux tours situées côté rue à chaque extrémité de la synagogue offrent à l’ensemble une architecture unique et grandiose.

Moritz Landé a été un bâtisseur et architecte de grand talent. Il a été le concepteur de l’un des cimetières juifs de Berlin.
En 1864, il s’installa avec sa famille à Berlin où il mourut en 1888. Il fut inhumé dans le grand cimetière juif de Berlin de Weißensee.

Intérieur de la synagogue de Ostrów Wielkopolski restaurée en 2010
Intérieur de la synagogue de Ostrów Wielkopolski restaurée en 2010 (Cliquer pour agrandir) – Photo www.shabbat-goy.com

> Découvrir la synagogue de Ostrów Wielkopolski.

Synagogues de Pologne vues par Wojciech Wilczyk

Vie et destin des synagogues polonaises

Il y a quelques années, j’avais acheté le livre de Wojciech Wilczyk (anglais/polonais) Niewinne oko nie istnieje que l’on pourrait traduire par « l’œil innocent n’existe pas » (ou le regard plutôt). Ce livre édité en 2008 est une véritable petite bible de près de 700 pages sur les synagogues en Pologne.
Son auteur, spécialiste de la photographie documentaire, a en effet parcouru le pays durant plusieurs années et ramené des centaines d’images de ces multiples synagogues et maisons de prières qui ont survécu au temps, ou pas pour certaines d’entre-elles.
Quasiment aucune aujourd’hui n’est dédiée au culte, pour la bonne et simple raison que les juifs ne sont plus là. Depuis la fin de la guerre, elles ont souvent connu de nombreuses autres vies, généralement elles ont été transformées en entrepôts ou en magasins au sortir de la guerre après avoir été relevées de leurs ruines puisque l’immense majorité des synagogues de Pologne ont été dévastées ou incendiées, souvent dès 1938 (nuit de cristal) pour celles qui étaient situées sur les territoires actuels de la Pologne occidentale.
Elles ont ensuite été transformées durant les décennies communistes qui ont suivi en magasins, halles marchandes, cinémas, restaurants, postes de police, caserne de pompiers, galeries d’art, maisons d’habitation, ateliers, entrepôts, bars, banques, église de Jéhovah, musées, bibliothèques, salles de sport, bureaux administratifs et même piscine municipale comme l’ancienne synagogue de Poznań transformée de la sorte pour la détente des soldats de la Wehrmacht et dont le nouvel usage est encore en activité aujourd’hui.
Nombre d’entre-elles ont été restituées aux communautés juives éparpillées dans le pays. Une partie de ces synagogues ont été rénovées et dédiées à des activités culturelles et de souvenirs du judaïsme, d’autres ont poursuivi leurs activités commerciales dans le cadre de baux initiés par ces mêmes communautés car il est devenu difficile de mener à bien des projets coûteux de restauration. D’autres sont aujourd’hui en ruines ou à l’état d’abandon car les petites communes où elles se situent ne disposent pas de fonds souvent très substantiels à investir pour mener à bien un projet de revitalisation. Restaurer une synagogue ne se limite pas à redresser murs et toitures ou à redonner une certaine magnificence d’antan, restaurer une synagogue, c’est un projet global, conséquent et mûrement réfléchi à mener entre les autorités municipales et régionales qui amènent des fonds et les communautés juives dans une perspective commune qui nécessite la mise en place des activités dédiées, du personnel, des fonds allouées chaque année pour l’entretien et le développement.

Exposition Wojciech Wilczyk
Exposition Wojciech Wilczyk (Cliquer pour agrandir) © www.shabbat-goy.com
A Ostrów Wielkopolski, l’ancienne et dernière grande synagogue de Pologne de style oriental mauresque, restituée à la communauté juive de Wrocław a été vendue en 2005 à la municipalité avec obligation de la dédier à des activités culturelles. En effet, la communauté ne disposait pas des fonds importants pour mener à bien cette grande et magnifique restauration qui a été entreprise par la ville. Elle est devenue à mes yeux l’une des plus belles synagogues de Pologne, encore bien mal connue.
Paradoxalement, toutes ces nouvelles vie dont beaucoup s’offusquent aujourd’hui ont permis à ces centaines de synagogues et maisons de prières de survivre aux vicissitudes du temps et pour plusieurs d’entre-elles de retrouver leur éclat et leur raison d’être.
Il est certain que si durant ces décennies communistes ces synagogues avaient été laissées en l’état il n’y en aurait plus beaucoup encore debout aujourd’hui. Un moindre mal diront certains. C’est tout le dilemme de ces synagogues sans juifs, de ces bâtiments sortis de l’oubli ou de l’indifférence grâce à l’objectif de Wojciech Wilczyk.

Jusqu’au 4 janvier 2016 se tient au Musée de l’Histoire des Juifs polonais de Varsovie l’exposition Wojciech Wilczyk: (nie)widzialne/ (in)visible” qui présente une partie de ses photographies.

Expression antisémite en Pologne

Durant ses visites dans les villes de Pologne, Wojciech Wilczyk en a profité pour saisir sur pellicule les tags et inscriptions antisémites visibles sur de nombreux murs qu’il présente dans le cadre de cette exposition. Si certaines inscriptions sont carrément antisémites, beaucoup d’autres illustrent les invectives et injures proférées entre certains supporters de clubs de football envers l’équipe adverse, « juif » étant devenu l’injure et la caricature ultime pour attaquer l’adversaire, notamment auprès de hooligans de Łódź, de Cracovie ou de Varsovie. Il s’agit là d’un phénomène pas nouveau, apparu depuis la chute du communisme, et déjà présent chez certains supporters d’autres équipes de championnats européens comme cela est arrivé aux Pays-Bas, en Angleterre, en Italie.

Exposition Wojciech Wilczyk au musée de l’Histoire des Juifs polonais

Restauration de la synagogue de Ostrów Wielkopolski

Renaissance d’une grande synagogue en Pologne

Longtemps laissée à l’abandon, la synagogue de Ostrów Wielkopolskie a été entièrement restaurée en 2010 grâce à des fonds régionaux et européens. Elle reste à ce jour la seule grande synagogue orientale de style mauresque visible en Pologne qui a miraculeusement survécu à la guerre. Son intérieur également entièrement restauré présente la particularité d’avoir une magnifique double galerie entièrement réalisée en bois.
Il reste très peu de synagogues dans les régions de Grande Pologne, de Silésie et de Poméranie et toutes les grandes synagogues ont été détruites en novembre 1938 durant les événements de la nuit de cristal. Celle de Ostrów Wielkopolskie s’élève comme un ultime témoignage d’une splendeur passée.
Aujourd’hui la synagogue est devenue un lieu incontournable du patrimoine juif en Pologne. Elle est devenue à mes yeux la plus belle synagogue réformée de Pologne avec celles de Cracovie (synagogue Tempel) et de Varsovie (Nożyków).
Visiter la page de la synagogue de Ostrów Wielkopolski.

La synagogue de Ostrów Wielkopolski

Ostrów Wielkopolski (Nom allemand: Ostrowo)
Wielkopolskie – (Voïvodie de Grande Pologne)
L’arrivée des juifs à Ostrów Wielkopolski remonte au début du XVIIIème siècle, en provenance d’Allemagne. Une première communauté de 12 juifs a été établie en 1724, date de la construction d’une synagogue en bois qui fut accordée par l’écuyer…
Continuez la lecture »

Une majestueuse synagogue qui va bientôt retrouver son éclat d’antan, témoignage de ses habitants à la communauté juive disparue.

Les cimetières juifs de Ostrów Wielkopolski

Ostrów Wielkopolski (Nom allemand: Ostrowo)
Wielkopolskie – (Voïvodie de Grande Pologne)
L’arrivée des juifs à Ostrów Wielkopolski remonte au début du XVIIIème siècle, en provenance d’Allemagne. Une première communauté de 12 juifs a été créée en 1724, date de l’établissement de l’ancien cimetière, près de la synagogue. Ce vieux…
Continuez la lecture »

Une commune redonne à son vieux cimetière juif la place qu’il avait perdue depuis très longtemps. Une noble manière de se souvenir.