La manipulation des images

Ou comment donner du grain à moudre aux négationnistes

Avec la profusion des sites personnels et des sites d’images tel Pinterest, de Facebook et bien d’autres supports, l’image est devenue un vecteur central de la communication. Bien souvent, les personnes qui surfent sur le Net ne s’arrêtent qu’à des images ou des titres. On entre dans le domaine de la consommation d’informations poussée à son extrême, on lit en diagonale, on feuillette, on zappe, on survole.
Ce comportement est assez visible sur Facebook ou nombre de gens likent ou réagissent sans vraiment prendre le temps de lire l’article ou le papier dont il est question. On reçoit tellement d’informations que d’un côté il est impossible de tout lire, et de l’autre on lit en survolant.
Les communicants de la presse écrite ont bien assimilé ce comportement depuis longtemps déjà et ont mis en place des techniques qui permettent aux lecteurs d’assimiler rapidement et globalement de l’information. La recette, diffuser une image choisie accompagnée d’un titre percutant et d’un bandeau de 2 ou 3 lignes. Cette manière de présenter un sujet permet au lecteur-surfeur d’assimiler environ 50% d’une information sans pour autant lire l’article qui suit.

Les images quant à elles naviguent de site en site, comme désormais une bonne partie de l’information traditionnelle, grâce à la technique du copier-coller. De part la multitude et la répétition, la photo détournée et l’information bancale deviennent factuelles et vérités. Et il est souvent difficile dans ce foisonnement d’images et d’articles de trier le vrai du faux.
Sur le sujet de l’holocauste, j’ai déjà observé nombre d’inexactitudes, d’erreurs, parfois très grossières (une photo de la rafle du Vel d’Hiv… en 1961).
La manipulation d’images, quoique moins fréquente, reste plus sournoise.

Ci-dessous, une photo extraite du site Jewish Virtual Library, mais que l’on retrouve sur de nombreux autres sites web.

Jews Forced to Dig Graves - Juifs forcés de creuser leur tombe
Jews Forced to Dig Graves – Juifs forcés de creuser leur tombe

Elle présente dit-on des juifs forcés de creuser leur tombe sous l’oeil d’un soldat allemand.
Ayant reconnu l’auteur de cette photo qui est Julien Bryan, un photographe américain qui se trouvait à Varsovie au moment du déclenchement de la guerre, je me suis demandé quelle était l’intention de ce cadrage restreint. D’autant plus qu’une autre photo a été prise durant cette séquence.
Le cliché a été pris en septembre 1939, dans le quartier de Praga, à Varsovie. Les deux juifs âgés qui creusent la terre à l’aide de pelles ne sont pas seuls mais creusent une tranchée en compagnie d’autres polonais, sous l’œil organisateur d’un soldat polonais. L’événement se situe juste après le déclenchement de la guerre et durant le siège de Varsovie par les allemands.
Quand on sait que ce ne sont pas les photos qui manquent pour illustrer l’holocauste, on peut se demander pourquoi certains en viennent à détourner des photos pour arranger à leur manière des événements tout autre. Il est clair que certains négationnistes qui eux aussi utilisent ce procédé trouvent là de la matière à contradiction.
Ci-dessous, un autre angle de la photo originale.
Jews Forced to Dig Graves - Juifs forcés de creuser leur tombe
Jews Forced to Dig Graves – Juifs forcés de creuser leur tombe – La photo originale, colorisée, prise par Julien Bryan en septembre 1939

Ci-dessous, une autre photo de Julien Bryan prise durant cet événement.
Siège de Varsovie, septembre 1939 - Photo Julien Bryan
Siège de Varsovie, septembre 1939 – Photo Julien Bryan

> Voir une série de photos emblématiques de Julien Bryan.

Kazimiera ou la photo de l’enfant meurtrie

Une image, plus que des mots

Parmi les photos les plus emblématiques de la guerre en Pologne, il en est une prise par un photographe américain, Julien Bryan (1899-1974), à Varsovie, au début de la guerre, le 14 septembre 1939.

Cette tragique photo (ci-contre) montre une jeune fille au désespoir devant le corps inanimé d’une autre jeune fille.

Alors qu’il circulait à proximité de la scène située rue Jan Ostroróg, la rue qui longe le cimetière chrétien Powązki côté ouest, mitoyen du cimetière juif de la rue Okopowa, Julien Brian s’arrêta sur le lieu où venait de se passer un drame.
Comme elles manquaient de farine alors que Varsovie était assiégée par les allemands, 7 femmes creusaient dans un champ à la recherche de pommes de terre. C’est alors que 2 avions allemands firent un passage et larguèrent 2 bombes sur une petite maison voisine où les 2 occupantes furent tuées. Les femmes dans le champ se jetèrent à plat ventre pour se protéger puis reprirent leur recherche une fois les avions disparus. Cependant ils revinrent quelques minutes après, mitraillèrent le champ et firent 2 nouvelles victimes. L’une d’elles que l’on aperçoit sur la photo s’appelait Anna Kostewicz. C’est alors que le photographe aperçut la petite sœur de Anna, Kazimiera Kostewicz, âgée de 10 ans s’approcher, s’agenouiller et pleurer près de sa sœur mortellement blessée.

Kazimiera Kostewicz (Mika), septembre 1939 Varsovie (Cliquer pour agrandir) - Photo Julien Bryan
Kazimiera Kostewicz (Mika), septembre 1939 Varsovie (Cliquer pour agrandir) – Photo Julien Bryan

Julien Bryan était reporter et photographe et a témoigné par l’image l’invasion allemande en Pologne en septembre 1939. Il avait à la radio polonaise exhorté le président Franklin Roosevelt à venir en aide aux polonais et l’avait mis en garde contre le risque d’une guerre mondiale. Bryan s’était rendu en train à Varsovie le 4 septembre, 3 jours après l’entrée des allemands en Pologne. Il filma et photographia le siège de Varsovie.
> Voir le film Siege de Julien Bryan

En 1959 il rencontra Kazimiera Mika, alors mariée, âgée de 30 ans et mère de deux enfants. Kazimiera et sa famille l’accueillirent chez elle autour d’un repas. Alors qu’il lui demandait si elle se rappelait tous les événements survenus dans ce champ de pommes de terre ce jour là, elle lui répondit que le jour où elle perdit sa sœur, c’était le jour où elle vit un mort pour la première fois et un étranger pour la première fois.

Le siège de Varsovie. L’Allemagne envahit la Pologne sans déclaration de guerre le 1er septembre 1939. La ville est bombardée le jour même. Les combats pour la défense de la capitale commencent le 8 septembre, les allemands sont arrêtés par la défense polonaise et encerclent la ville. Les combats vont durer 20 jours. Entre-temps le 17 septembre, les russes envahissent à leur tour la partie orientale de la Pologne. Le 25 septembre les allemands lance un grand raid aérien sur la capitale. Le 28 c’est la capitulation et 120 000 prisonniers seront transférés vers des camps de prisonniers de guerre. 15% de la capitale est déjà en ruine.

Julien Bryan
Julien Bryan sur une barricade effectue des prises de vue pour son film Siege. La photo a été prise sur l’actuelle avenue Solidarité, rive gauche, quartier de Praga. A gauche l’hôpital Praski. Au fond Varsovie centre (Cliquer pour agrandir) – Photo IPN / Julien Bryan