Hermann Graebe, Juste oublié

Le paria réhabilité

La médaille de Juste parmi les Nations décernée par Yad Vashem honore les personnes qui ont, durant la guerre, permis de sauver des juifs, soit en leur fournissant une l’aide, soit en les cachant, au péril de leur vie. Cette distinction est aujourd’hui encore décernée, généralement à titre posthume car la grande majorité des principaux intéressés ne sont plus de ce monde et c’est leurs descendants qui la reçoivent en leur nom.
Quelques Justes sont devenus très célèbres du public comme Oskar Schindler suite au film de Steven Spielberg La liste de Schindler qui retrace le sauvetage de 1000 juifs par l’industriel nazi venu faire des affaires à Cracovie et dont le destin bascula lorsqu’il décida de sauver ses juifs. D’autres restent encore peu connus du public comme Irena Sendler, une infirmière polonaise qui réussit à extraire du ghetto de Varsovie 2500 enfants juifs.

Hermann Graebe
Hermann Graebe

Avec la chute du communisme vers la fin des années 1980, des contacts et des recherches ont pu être entrepris à l’est et de nombreux Justes de ces pays d’Europe centrale purent être identifiés, notamment en Pologne, pays où on dénombre aujourd’hui le plus grand nombre de Justes parmi les Nations (>6500).
De par sa spécificité, l’Allemagne comptabilise à ce jour 569 Justes. Parmi eux, il en est un que le destin choisit, il s’appelait Hermann Graebe (Hermann Friedrich Gräbe).

Hermann Graebe est un Juste un petit peu à part, car c’est le seul allemand qui a témoigné durant le procès de Nuremberg.

Hermann Friedrich Graebe (1900-1986) était donc citoyen allemand. Né dans une famille pauvre, il suivit cependant des études pour devenir ingénieur. Il rejoignit le parti nazi en 1931 mais en 1934 il critiqua ouvertement la campagne antijuive menée par les nazis arrivés au pouvoir un an auparavant. Cela lui valut d’être arrêté par la Gestapo et d’être emprisonné durant plusieurs mois. Il travailla les premières années de la guerre pour une entreprise de construction basée à Solingen et supervisa la construction de fortifications à la frontière occidentale de l’Allemagne. Après l’invasion de l’URSS par les allemands en juin 1941, il fut envoyé en Ukraine par l’organisation Todt dans la région de Volhynie située au nord-ouest du pays en tant qu’ingénieur pour l’entreprise; il travaillait à la réalisation de travaux de construction pour le compte de la Reichsbahn, les chemins de fer allemand, dans la région de Lwów. Son entreprise employait une main d’oeuvre de 5000 juifs.
Le 5 octobre 1942, alors en déplacement à Dubno, une petite ville située à une centaine de kilomètres au nord de Tarnopol, il assista de manière fortuite à l’exécution des juifs du ghetto de Dubno sur le site de l’ancien aérodrome. Le massacre eut lieu près du chantier où il s’était rendu, il fut perpétré par des SS de l’Einsatzgruppe C*, des membres du SD et des supplétifs ukrainiens. 5000 juifs furent exécutés en quelques jours dans trois fosses communes de 30 mètres de long sur 3 mètres de profondeur, au cours des massacres aujourd’hui connus sour le nom de Shoah par balles.

A l’entrée en guerre, 12000 juifs vivaient à Dubno dont 4000 réfugiés venus de Pologne. Les exécutions commencèrent après l’arrivée des allemands à l’été 1941. Le ghetto fut liquidé le 23 octobre 1942. 300 juifs survécurent à la guerre et ils étaient encore une dizaine en vie en l’an 2000.
Axel von dem Bussche-Streithorst, un officier allemand, fut également le témoin du massacre de 3000 juifs à Dubno. Il entra en résistance et, encouragé par le Comte Claus von Stauffenberg, planifiat un attentat suicide contre Hitler en 1943 qui avorta.

Au mois de juillet 1942, Hermann Graebe apprit qu’une liquidation imminente du ghetto de Rovno allait être entreprise alors que des juifs de cette ville et d’autres localités avoisinantes travaillaient pour sa société à Rovno. Fusil à la main, il se rendit sur les lieux où il put libérer 150 juifs qui étaient sur le point d’être embarqués par la police ukrainienne. Par la suite, il fournit des faux papiers à 25 juifs et les emmena à plusieurs centaines de kilomètres vers l’est dans une filiale fictive de l’entreprise où il les aida financièrement. Ils purent par la suite s’échapper vers l’est grâce à l’avancée de l’Armée Rouge. Ces activités intrigèrent la maison mère de Solingen et l’entreprise le rappela afin de l’inculper de détournement de fonds. Face à l’avancée soviétique, Hermann Graebe transféra son bureau avec son équipe juive à Varsovie puis en Rhénanie. En septembre 1944, il passa les lignes américaines avec une vingtaine de ses protégés.
Dès la fin de la guerre, il coopéra avec le bureau en charge des crimes de guerre de l’armée américaine en vue de la préparation du procès de Nuremberg. Il fut le seul allemand qui témoigna durant le procès. Son témoignage permit d’identifier les fosses communes et les responsables du massacre de Dubno.
En 1948, il reçu des menaces de mort et émigra aux Etats-Unis où il s’installa avec sa famille à San Francisco.
Il s’employa à faire comparaître les criminels de guerre auprès de la justice d’Allemagne de l’ouest. Il devint alors un paria aux yeux de nombreux allemands de son pays. Il fut accusé de faux témoignage en 1966 lors du procès en révision de Georg Marschall qui avait été condamné durant le procès de Nuremberg suite à son témoignage. Le journal Spiegel reprit également à son compte les accusations.

Il devint citoyen américain en 1953.
C’est en 1965 que Hermann Graebe fut reconnu comme Juste parmi les Nations par Yad Vashem et c’est durant les années 1990 que sa réhabilitation intervint en Allemagne. Pour le centième anniversaire de sa naissance, une plaque fut dévoilée par les autorités de Soligen, sa ville natale. Un rue devait également porter son nom mais le projet n’a pas abouti. Graebe n’a jamais pu retourner en Allemagne et n’aura pas eu connaissance de cette réhabilitation intervenue après sa mort en 1986.

* Le procès des Einsatzgruppen est le neuvième des douze procès qui se sont tenus à Nuremberg entre 1946 et 1949.
Herman Graebe a également permis la libération en 1943 de Kazimierza Bessendowski et de 50 soldats de l’AK, Armia Krajowa.

Extrait du témoignage de Hermann Graebe durant le procès de Nuremberg:
«Le chef d’équipe et moi-même sommes allés directement vers les fosses. Personne ne nous en a empêchés. Alors j’ai entendu des tirs de fusil se succéder rapidement de derrière l’une des buttes de terre. Les gens qui étaient descendus des camions – des hommes, des femmes et des enfants de tout âge – ont dû se déshabiller sur ordre d’un SS qui tenait une cravache. Ils ont dû déposer leurs vêtements à des endroits précis, triés selon les chaussures, les vêtements et les sous-vêtements. J’ai vu des tas de chaussures d’environ 800 à 1000 paires, de grands tas de sous-vêtements et de vêtements. Sans crier ni pleurer, ces gens se déshabillaient, se tenaient groupés en familles, ils s’embrassaient, se disaient adieu et attendaient un signe d’un autre SS qui se tenait près de la fosse, lui aussi tenant un fouet dans sa main. Durant les quinze minutes où je me tenais là, je n’ai entendu aucune plainte ou demande de grâce. Je regardais une famille d’environ huit personnes, un homme et une femme tous deux âgés environ de cinquante ans, avec leurs enfants d’environ vingt à vingt-quatre ans, et deux grandes filles de vingt-huit ou vingt-neuf ans. Une vieille femme avec des cheveux blancs comme la neige tenait dans ses bras un enfant âgé d’un an tout en lui chantant et le chatouillant. L’enfant gazouillait avec délice. Les parents regardaient avec les larmes aux yeux. Le père tenait par la main un garçon d’environ dix ans et lui parlait doucement, tandis que le garçon retenait ses larmes. Le père a montré le ciel, lui a caressé la tête et a semblé lui expliquer quelque chose. À ce moment là, le SS près de la fosse a commencé à crier quelque chose à son camarade. Ce dernier a compté une vingtaine de personnes et leur a ordonné d’aller derrière la butte de terre. Parmi eux se trouvait la famille que je viens de décrire. Je me rappelle bien d’une jeune fille, mince avec des cheveux noirs qui, alors qu’elle passait devant moi, s’est désignée et a dit: « vingt-trois ans ». J’ai contourné la butte et je me suis trouvé devant une fosse épouvantable. Les gens étaient étroitement serrés ensemble et étaient empilés les uns sur les autres si bien que seules leurs têtes étaient visibles. Presque tous avaient du sang qui coulait de leur tête sur leurs épaules. Certains d’entre-eux alors touchés bougeaient encore. D’autres levaient les bras et tournaient leur tête pour montrer qu’ils étaient toujours vivants. La fosse était pleine presque aux deux tiers. J’ai estimé qu’elle contenait déjà environ un millier de personnes. J’ai regardé l’homme qui avait procédé aux exécutions. C’était un SS qui était assis au bord de l’extrémité étroite de la fosse, les pieds ballants dans la fosse. Il avait une mitraillette sur ses genoux et fumait une cigarette. Les gens, entièrement nus descendaient quelques marches creusées dans la paroi d’argile de la fosse et grimpaient sur la tête de ceux qui gisaient déjà là, vers où le SS les dirigeait. Ils se couchaient face aux morts ou aux blessés, certains caressaient ceux qui étaient encore en vie et leur parlaient à voix basse. Alors j’ai entendu une série de coups de feu. J’ai regardé dans la fosse et j’ai vu que les corps frémissaient ou que les têtes gisaient déjà, immobiles au-dessus des corps couchés dessous. Le sang coulait de leur nuque. Le groupe suivant s’approchait déjà. Ils sont descendus dans la fosse, se sont alignés par dessus les victimes précédentes et ont été abattus

Antisémitisme ou vandalisme ?

L’inspecteur mène l’enquête !

Voici 2 photos d’un même endroit, qui ont été prises dans le cimetière juif de Wieliczka, une ville située au sud de Cracovie, mondialement célèbre pour ses mines de sel multicentenaires.
La première a été prise au début des années 1980 par le photographe Chuck Fischman, elle représente Jerzy Kiszler qui, avec son père, avaient fait ériger un mémorial sur le site de la fosse commune où périrent de très nombreux juifs et certainement des membres de sa famille puisqu’on arrive à lire 2 Kiszler sur le monument.

Cimetière juif de Wieliczka
Cimetière juif de Wieliczka (Cliquer pour agrandir) – © Chuck Fishman

La seconde photo a été prise par mes soins, sous la pluie, lors de ma visite du cimetière en 2011. Une trentaine d’années séparent ces 2 photographies.
Mémorial du cimetière juif de Wieliczka
Mémorial du cimetière juif de Wieliczka (Cliquer pour agrandir) – © www.shabbat-goy.com

La première chose que l’on constate est que le mémorial a été détérioré, le travail du temps ne suffit pas à expliquer les dommages.
A la vue de ces photos, à peu près tout le monde conviendra qu’il s’agit là d’un acte délibéré de profanation du mémorial, d’un acte antisémite. Quoi de plus normal en Pologne diront certains. C’est du reste ce que j’ai pensé dès que je suis arrivé sur le site.
Pourtant, je vais vous faire la démonstration du contraire.
Quand on y regarde de plus près, on constate que le monument n’a pas été touché. On peut l’affirmer en regardant d’autres photos présentées sur le site (lien plus bas) qui confirme qu’il n’y a eu aucune dégradation sur le mémorial sinon celles des éléments.
Effectivement, quand on y regarde de plus près, on constate que les piliers de la clôture ont été démolis. Pourquoi seulement les piliers me direz-vous ? Hé bien tout simplement pour récupérer les barres métalliques horizontales qui s’y trouvaient.
Ah bon !? et pour faire quoi ?
Hé bien pour les revendre chez le ferrailleur du coin et en tirer peut être 100 złoty (~24 euros) pour acheter quelques canettes de bière ou 2 bouteilles de wódka.
Ceci est effectivement un acte de vandalisme certainement perpétré par les poivrots du coin qui comme les autres dans le reste du pays récupèrent toutes les ferrailles possibles pour les revendre, de fait ils n’hésitent pas détériorer pour dérober. Ici le cimetière étant isolé, dans un bois sur les hauteurs de Wieliczka, la tache a du être relativement facile à mener, malheureusement.

Découvrir la superbe collection de photographies de Chuck Fishman intitulée: « Les juifs polonais: La vie sous le communisme 1975-1983 »
Le cimetière juif de Wieliczka sur Shabbat Goy.

Le cimetière, marqueur d’histoire et de respect

Les cimetières délaissés

Après avoir visité des douzaines et des douzaines de cimetières juifs en Pologne, notamment certains qui ont complètement disparus et dont il ne reste qu’un bois, un parc ou un champ de patates, j’ai été également amené à entrevoir au gré de mes visites et déplacements aussi bien en France qu’ailleurs, de nombreux autres cimetières, héritages des deux guerres mondiales et de la guerre franco-prussienne de 1870, et encore d’autres, nos lieux du dernier repos.
En Pologne, il y a une chose qui peut sembler taboue, voire incongrue à dire, et ce que je vais dire ensuite pourra certainement en choquer quelques-uns, mais quand on s’attaque à des cimetières quels qu’ils soient, on efface des pans d’histoire, on efface des histoires, des histoires de lieux, on fait mourir une seconde fois ces gens qui disparaissent à jamais de la mémoire.
Malgré leur histoire passée et les tragédies dont ils ont été victimes, les cimetières juifs de Pologne ne sont pas ceux qui ont été les plus dévastés, négligés ou éradiqués. Ceux qui ont été les plus atteints par l’inconscience des hommes sont les cimetières allemands. Dans la très grande majorité des cas, ils ont tout simplement disparus. Il en reste peu de visibles sur ces anciens territoires autrefois prussiens puis allemands et devenus polonais après la guerre et quand ils sont encore là, ils sont généralement dans un triste état.

Ci-dessous, le cimetière allemand de Koźle, l’ancienne citadelle prussienne de Cosel, en Haute-Silésie. Dévasté après la guerre, même des noms de défunts ont été effacés sous les coups du burin.

Le cimetière allemand de Koźle
Le cimetière allemand de Koźle en Haute-Silésie (Cliquer pour agrandir) – © www.shabbat-goy.com

Dans une Pologne exsangue et dévastée d’après guerre, ils ont été pillés et démantelés afin de pouvoir les recycler en matériaux de reconstruction. Mais souvent également, dans ces territoires devenus ou redevenus polonais après la guerre, c’étaient les marqueurs profonds d’une identité de gens qui vivaient là depuis de longues générations, ils représentaient la trace de l’histoire qu’il fallait effacer, l’image du pays qui en avait détruit un autre.
Aujourd’hui, ces derniers cimetières qui n’ont pas disparus ne bénéficient pas des attentions que l’on apporte aux autres. Parfois des stèles érigées par leurs descendants rappellent leur présence.
Les cimetières sont silencieux mais ils racontent beaucoup de choses. Ils racontent l’histoire, ils racontent des vies, ils racontent des gens.
Je reste persuadé que c’est à l’attention que l’on porte aux générations passées et donc aux lieux où ils reposent que l’on mesure un aspect de notre humanité.

Un festival de la culture juive à Paris en plein air !

Rêvons un peu, juste quelques instants…

Oui, imaginons un grand festival d’une semaine au cœur de la capitale française, sur le thème du judaïsme, avec pour point d’orgue des concerts qui se dérouleraient tout un week-end durant sur une grande scène dressée par exemple place de la République ou place de la Nation.

Je parle ici d’un festival en extérieur, ouvert à tous, comme ceux qui se déroulent à Cracovie depuis 25 ans et à Varsovie depuis 11 ans, avec certaines retransmissions télévisées, avec des affiches un peu partout à travers la capitale et des annonces à la radio nationale.

Festival Singer à Varsovie
Festival Singer à Varsovie (cliquer pour agrandir) – © www.shabbat-goy.com

Imaginons donc un festival avec pour démarrer la fin de semaine une célébration du Shabbat en plein air sur l’une de ces places parisiennes, autour d’une grande tablée de 40 mètres de long ou plus, d’où s’élèveraient la cérémonie proprement dite puis des chants enthousiastes et plein d’entrain en hébreu.
Imaginons quelques balades à thèmes organisées dans certains quartiers, accompagnées par un groupe de musique klezmer, imaginons des visites guidées dans certains arrondissements sur l’histoire d’un quartier, de personnages emblématiques du monde juif, imaginons un cour de danse juive en plein air, des ateliers, des concerts, des rencontres, des expositions, un marché ouvert à tous, sans protection particulière…
Oui imaginons juste cela.
Simplement pour comprendre qu’une telle chose est tout simplement irréalisable à Paris, même dans l’imagination. Et également impossible à organiser dans d’autres grandes villes de France au risque de manifestations, de perturbations, voire d’émeutes.
Pourtant, en Pologne, ces grands festivals en plein air, au cœur de grandes villes, c’est possible, et depuis longtemps déjà.

En 2014 se sont déroulés plus d’une quarantaine de festivals et manifestations à travers le pays consacrés à la culture juive.

Voisins

Quand les anciens se rappellent leurs voisins juifs

Un film réalisé par François Chilowicz, Anne Bettenfeld et Agata Krolikowska. Une très intéressante enquête en français menée en 2003 à Frysztak, une petite localité située dans le sud-est de la Pologne en région de Basses-Carpates (Galicie)

Une longue présence

Les premiers juifs s’établirent à Frysztak durant le XVIème siècle. Au milieu du XIXème siècle, les juifs représentaient les trois-quarts des habitants et plus de 2000 personnes en 1900. Ils résidaient essentiellement en ville, la population polonaise très minoritaire habitait les alentours. C’était une communauté hassidique qui vivait selon les préceptes rigoureux établis par cette branche religieuse apparue dès la seconde moitié du XVIIIème siècle dans cette région de la Pologne. Ils exerçaient des activités autour de l’artisanat et du commerce et habitaient pour l’essentiel tout le centre ville.

L’anéantissement

Les allemands arrivèrent en ville le 8 septembre 1939. Il établirent par la suite un ghetto ainsi qu’un Judenrat. Une première liquidation de ce ghetto intervint en juillet 1942, elle fut menée conjointement par la police militaire allemande et un détachement ukrainien (membres d’une unité ukrainienne de la Waffen-SS). Par la suite d’autres juifs furent déportés vers le camp de concentration de Płaszów ou furent exécutés dans des forêts voisines. Plus tard, les juifs restants furent transférés vers le ghetto de Jasło puis ensuite dirigés vers le camp d’extermination de Bełżec. Durant l’année 1943, des juifs qui se cachaient dans les forêts avoisinantes furent découverts ou dénoncés et exécutés, ainsi que certains qui étaient cachés par des polonais.

Ils racontent

Des anciens polonais de Frysztak sont interrogés et racontent leurs souvenirs de ces juifs, leurs voisins, leurs amis d’enfance, avec leurs mots, leurs expressions, les clichés, les idées colportées mais aussi les réalités de cette époque. Tous se rappellent les noms, les fêtes, les commerces, même pour certains des chansons en yiddish ou une prière en hébreu. La mémoire est restée intacte et surprenante.
Un juif venu d’Angleterre s’attache, avec l’aide de la nouvelle municipalité, à protéger le vieux cimetière juif malmené et négligé des décennies durant et où se retrouvent des désœuvrés pour boire de l’alcool en toute tranquillité. Au vue de mes très nombreuses visites sur le terrain, le chiffre qu’il avance de 99% des cimetières juifs en Pologne abandonnés ou complètement négligés est assez inexact et ne reflète pas le gros travail déjà effectué, même dès 2003, pour la conservation des cimetières juifs, même si nombre de situations restent encore à régler aujourd’hui.

Juifs, petits juifs, youpins

Dans le langage polonais, comme dans le langage français avec les termes petits juifs, youpins, feujs aujourd’hui, le terme żydek, littéralement petit juif, avec son pluriel żydki est souvent utilisé mais avec une connotation très large qui englobe selon la nature du locuteur, de la conversation, du sujet et du contexte, une signification familière sans arrière pensée appuyée, volontaire et parfois machinale ou alors une portée violente avec la plus basse insulte.
En français, rien que le mot juif, de la manière dont il sera présenté pourra restituer des perceptions totalement différentes, exemple:
» C’est un très bon ami à moi, c’est un juif ! «
ou
» C’est ce présentateur de la télé, c’est un juif !«
Aussi dans certains contextes comme ici où une dame qui fait certains reproches aux juifs est interviewée, l’interprète traduit żydki par youpins qui pour un français a une connotation insultante très forte alors qu’il ne me semble nullement que ce soit la volonté réelle de cette dame dans la suite de l’interview.

Nouveau cimetière juif

Vieux cimetière juif


C’est dans cette région que se sont illustrés les 500 hommes du 101ème bataillon de réserve de la police allemande de Hambourg.
Des hommes trop âgés pour être engagés au début de la guerre, des pères de famille, des employés, des ouvriers, des artisans, nullement encartés au parti nazi.
Ils seront directement responsables du massacre de 38 000 juifs, hommes, femmes et enfants exécutés dans des forêts de cette région et dans les cimetières juifs, et également de la déportation de 45 000 autres juifs vers les camps d’extermination.

Découvrir le livre de Christopher Browning Des hommes ordinaires qui retrace cette tragique période et analyse ce comportement de la nature humaine.

Le juif et les sablonniers

Regard sur une oeuvre de Gierymski

Aleksander Gierymski (1850 Varsovie – 1901 Rome)
Les sablonniers (titre original Piaskarze 1887) Musée National de Varsovie
Cette superbe et saisissante oeuvre réalisée par Aleksander Gierymski présente une équipe de sablonniers au travail sur la rive gauche de la Vistule à Varsovie, à hauteur du pont Kierbedzia (le premier pont métallique enjambant la Vistule construit à Varsovie et détruit lors de l’insurrection de 1944) qui reliait le centre du quartier de Praga à la vieille ville.

Les sablonniers - Aleksander Gierymski
Les sablonniers (Cliquer pour agrandir) – Aleksander Gierymski – Photo prise à Varsovie par Shabbat Goy

Au premier plan, un ouvrier en plein songe, cigarette à la bouche, les yeux perdus dans les eaux de la Vistule, au second plan trois autres de ses compères installés dans les embarcations voisines l’ont remarqué et le fixent du regard. Sur la droite, une embarcation attend son tour pour décharger.
En haut du quai en réfection, des gens observent les sablonniers qui déchargent leur cargaison. Parmi eux, à l’extrême gauche, un juif en habit traditionnel appuyé sur une canne regarde également les ouvriers au travail.
L’attique en haut d’un petit bâtiment visible au centre en arrière plan est l’auberge Kurtz édifiée vers 1825-1830 au bas de l’actuelle rue Mariensztat. L’autre bâtiment sur la gauche semble situé du côté d’un secteur autrefois appelé Kasztelanka.
Comme chez d’autres peintres de cette seconde période du XIXème siècle, les juifs sont présents soit comme personnages principaux à l’image d’une autre oeuvre de Gierymski avec la femme juive aux oranges ou comme personnages de second plan à l’image d’autres tableaux comme celui de l’arrivée de la diligence postale, une oeuvre réalisée par Alfred Wierusz-Kowalski dans laquelle plusieurs juifs sont représentés parmi les personnages de la scène à l’instar de leur visibilité dans le paysage et dans la société de l’époque.

Quand on visite le Musée National de Varsovie et sa galerie dédiée à la peinture du XIXème siècle, il est intéressant d’analyser et scruter des tableaux pour apercevoir sur certains d’entre-eux la présence juive de cette population alors en pleine expansion durant ce XIXème siècle.

Les sablonniers - Aleksander Gierymski
Les sablonniers – Le juif (Cliquer pour agrandir) – Aleksander Gierymski
Les sablonniers - Aleksander Gierymski
Les sablonniers – Détail (Cliquer pour agrandir) – Aleksander Gierymski