Polonais, donc antisémite

Histoire d’une perception trouble

Quelques années en arrière, j’étais de passage à Paris dans le secteur de la Gare du Nord. Ou de la Gare de l’Est, je ne me souviens plus précisément. Toujours est-il que ce dont je me souviens est resté gravé dans ma mémoire. Cela pourra paraître insignifiant pour les uns ou anecdotique pour les autres. Pour moi c’est une chose qui m’a perturbé.

Donc de passage dans l’une de ces deux gares, je tombais tout à fait par hasard sur une exposition présentée dans le hall d’entrée dont le thème était la Shoah et la SNCF. Moi qui suis toujours au fait des informations en provenance de France, je savais qu’à cette période avait éclaté une polémique sur le rôle de la SNCF durant la guerre et l’utilisation du matériel roulant à des fins de déportations sur fond de guerre commerciale pour un marché de trains à grande vitesse aux Etats-Unis.
Je m’approchais des panneaux de cette exposition et je commençais à lire les textes agrémentés de photos qui rappelaient des lieux visités ici en Pologne.
L’une des dames qui apparemment assistait les visiteurs s’approcha de moi et commença à me présenter la déportation depuis la France, les camps en Pologne, les grandes lignes de cette période douloureuse. J’acquiesçais et je lui précisais alors que j’habitais en Pologne et que je connaissais bien ces événements et les endroits qu’elle me présentait.
Dès cet instant la dame arrêta de parler, me regarda, me tourna le dos et repartit vers la table où se trouvaient quelques-unes de ses collègues de l’exposition.
La politesse aurait voulu dans ce cas qu’elle comprenne mon intérêt pour le sujet et qu’elle me laisse poursuivre ma lecture ou qu’une discussion s’engage, ou les deux. Mais je réalisa tout d’un coup que sa réaction avait été tout autre.
J’étais devenu la figure maudite du polonais antisémite, moi à la fois fils de Gascon et Minot du Sud, aussi polonais antisémite qu’un esquimau du Ku Klux Klan…
Evidemment je ne peux pas généraliser cette perception et je peux comprendre ces ressentiments de la part de familles meurtries au plus profond d’elles-mêmes, à l’égard de tout ce qui peut toucher de près ou de loin à la Pologne. Cependant cette réaction me laissa quand même un goût amer.

Il y a plusieurs mois, une enquête réalisée à Varsovie auprès de jeunes lycéens laissait apparaître que 40% d’entre-eux avaient une opinion négative des juifs. Pas antisémite, mais une mauvaise appréciation.
Si les conséquences du conflit israélo-palestinien provoquent des réactions très vives en France, ces événements ne sont pas non plus ignorés auprès de jeunes en Pologne même si c’est à une tout autre échelle, mais il me semble que c’est surtout cette condamnation en héritage, cet antisémitisme quasi héréditaire que l’on fait porter sur cette troisième génération d’après guerre, une génération nettement plus sensibilisée sur ce sujet que leurs aînés, pour ne pas dire impliquée pour certains, qui braque et met sur la défensive une partie d’entre-eux.
Et de mon point de vue, les «voyages holocauste» en Pologne organisés par les autorités israéliennes pour leurs jeunes avec les consignes strictes d’évitement et de tous contacts avec les populations locales y compris dans la capitale et des déplacements strictement encadrés par la sécurité israélienne et polonaise, hormis des rencontres ponctuelles programmées, ajoute à cette méfiance, incompréhension et échanges entre nouvelles générations.

Pour le reste, je ne rentrerai pas dans le débat à la fois riche et complexe des rapports entre juifs et polonais (du moins pas aujourd’hui), moi perçu comme pro-polonais en France ou pro-juif en Pologne, mais simplement fils de Gascon et Minot du Sud…