Juifs, l’histoire de la Pologne, c’est la vôtre aussi !

Lumière sur un épisode quasiment inconnu du grand public

Rue Stawki, à la limite nord du ghetto, les groupes de juifs qui descendent des autobus aux rideaux tirés, sous l’étroite surveillance de la sécurité israélienne qui, déjà présente sur les lieux pour évaluer et sécuriser le périmètre et qui prépare à coups d’oreillettes et micros ostensibles la périlleuse traversée du passage cloutée et des 30 mètres en terrain miné qui séparent les bus garés en face; visitent le mémorial de Umschlagplatz, cette ancienne gare de marchandises disparue qui fut transformée par les allemands en point de rassemblement pour la déportation des juifs de Varsovie vers le camp d’extermination de Treblinka.
Il est rare que des juifs poussent leur curiosité un peu plus loin, à 200 mètres d’Umschlagplatz, vers la place Muranowski. Et si cela est le cas, ils aperçoivent un curieux monument en forme de wagon de marchandises transportant une nuée de croix chrétiennes. Cette vison de croix amassées, symbole pour beaucoup au mieux de la bigoterie polonaise ou du martyr polonais longtemps ressassé , n’attire pas grand monde.
Les juifs eux, passent leur chemin.
Ils ont tort.

Mémorial aux morts et assassinés à l'est - Varsovie
Mémorial aux morts et assassinés à l’est – Varsovie (cliquier pour agrandir) © www.shabbat-goy.com

Ce monument édifié en 1995 s’appelle le mémorial aux morts et assassinés de l’est (Pomnik Poległym i Pomordowanym na Wschodzie). Il rappelle la mémoire des polonais déportés vers l’est et ceux victimes du massacre de Katyn.
Quand on fait le tour du monument, parmi les croix, on aperçoit une tombe juive.
Depuis ces années où je passe très régulièrement devant le monument pour me rendre en centre-ville, je n’ai Jamais aperçu ces petites chandelles juives si caractéristiques de leur passage.

Le pacte Molotov-Ribbentrop signé durant l’été 1939 avait enterriné le partage de la Pologne lorsque l’Allemagne nazie avait envahi la terre slave le 1 septembre 1939 puis lorsque les communistes russes, alors alliés des nazis, avaient envahi à leur tour la Pologne orientale le 17 septembre 1939. Pendant l’année qui suivit, dans la partie orientale sous contrôle russe, on assista à la déportation de centaines de milliers de polonais vers la Sibérie, l’Oural et le Kazakhstan. Parmi eux se trouvaient un peu moins de 10% de juifs. Ces déportations s’effectuèrent en trains à bestiaux et on dénombra des morts par dizaines de milliers.

« La première phase de déportation commença le 10 février 1940. Elle concerna les fonctionnaires de l’Etat et de ses administrations, et les agriculteurs avec leurs familles. 220 000 personnes furent déportées vers le nord de la Russie européenne.
La deuxième phase eut lieu le 13 avril 1940. Elle toucha les riches propriétaires terriens, les administrateurs de domaines, la population frontalière, les familles de militaires, les policiers, … 320 000 personnes, surtout des femmes et des enfants, furent ainsi déportés au Kazakhstan.
La troisième phase de déportation fut opérée à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet 1940. Elle concerna la population qui s’était réfugiée sur les territoires orientaux de la Pologne en septembre 1939… 240 000 personnes furent alors déportées.
La quatrième phase eut lieu une année après la troisième, c’est-à-dire au mois de juin 1941. Elle toucha les techniciens supérieurs, les ouvriers qualifiés, les cheminots et leurs familles… Quelque 300 000 personnes furent touchées par cette dernière phase de déportation.»

Source: La Pologne et les polonais dans la tourmente de la seconde guerre mondiale. p35-36. Edmond Gogolewski.

Effectuée en plein hiver, la première déportation fut particulièrement meurtrière.
Ces déportations furent organisées par la police secrète soviétique, le NKVD. De par les distances traversées, les déportations pouvaient durer entre 3 et 6 semaines.
Entre 1944 et 1945, de nouvelles déportations intervinrent et cette fois-là, ce furent de nombreux résistants et chefs de l’Armia Krajowa (L’Armée de résistance intérieure) qui furent déportés.

S’il est difficile d’avancer des chiffres avec précision, c’est au minimum plus d’un million de personnes qui ont été déportées depuis la Pologne, soit plus de 900 000 polonais et plus de 100 000 juifs selon Tadeusz Piotrowski.
Une stèle musulmane est également visible dans le monument parmi les croix. La Pologne abritait et abrite toujours une communauté musulmane d’origine tatar, qui se chiffre aujourd’hui entre 5000 et 6000 personnes.

Suite à ces déportations de familles polonaises vers l’est de la Russie, le ressentiment envers les populations juives qui dans de nombreuses localités de l’est avaient accueilli avec enthousiasme l’arrivée des russes, l’envahisseur historique, fut vif auprès de nombreux polonais dans ce qui était perçu alors comme une forme de complicité. Ce ressentiment fut par la suite exacerbé par les allemands dès la mi-1941 lors de l’opération Barbarossa. Une des origines des pogroms perpétrés à cette époque (comme celui de Jedwabne) puise sa racine dans la mise en perspective de ces tragiques événements par l’occupant allemand.

Mémorial aux morts et assassinés à l'est - Varsovie
Mémorial aux morts et assassinés à l’est – Varsovie (cliquier pour agrandir) © www.shabbat-goy.com
Mémorial aux morts et assassinés à l'est - Varsovie
Mémorial aux morts et assassinés à l’est – Varsovie (cliquier pour agrandir) © www.shabbat-goy.com
Depuis que je consacre une partie de mon temps à faire connaître le passé juif en Pologne, je me suis rendu compte de l’ignorance de bon nombre de juifs, pour ne pas dire d’un très grand nombre, pour l’histoire de leurs peuples en Europe centrale. Pour beaucoup, l’histoire des juifs en Pologne commence dès les années 1930 (témoignages des survivants nés avant la guerre) pour se terminer en 1946 à Kielce. La vision de la Pologne d’avant-guerre est à juste titre présentée par les derniers survivants d’alors dans un contexte d’antisémitisme actif, déjà présent dès le début des années 1930 (comme partout en Europe), principalement sur fond de crise économique. Cet antisémitisme se développa en Pologne après la mort de Józef Piłsudski en 1935 sous l’activisme virulent de mouvements nationalistes dès cette période.

Rigolades dans la chambre à gaz

Création vs banalisation

Dans le cadre de l’exposition Poland – Israel – Germany: The Experience of Auschwitz, présentée actuellement au Musée d’Art Contemporain de Cracovie, une installation vidéo qui met en scène des gens nus dans une chambre à gaz jouant au chat et à la souris sème la controverse (c’est le moins qu’on puisse dire). Le centre Wiesenthal a émis une protestation officielle auprès du ministre des affaires étrangères polonais pour dénoncer une banalisation de l’holocauste (tu m’étonnes).

Artur Żmijewski
Artur Żmijewski, « Berek », courtesy of the Foksal Gallery Foundation

L’ambassade d’Israël en Pologne, qui est également partenaire de cette exposition (??), a également demandé à ce que l’installation soit retirée. Déjà présentée précédemment dans d’autres lieux, elle avait fait l’objet des mêmes protestations et demandes de retrait.
Je vois d’ici les défenseurs de la liberté d’expression et de création vent debout contre la réaction. Bon, vous aurez compris que c’est pas mon truc.
Mais alors pas du tout.
La création… le machin avec des images est une idée de Artur Żmijewski. Ne connaissant pas l’animal, je ne jugerai donc pas le reste de son travail qui je l’espère est un peu plus créatif (le mot est lâché).

L’exposition présente également les œuvres d’autres créateurs polonais, israéliens et allemands.

Nota: la chambre à gaz est factice pour en rassurer certains. Faut pas charrier non plus.

Page de l’exposition sur le site du Musée d’Art Contemporain de Cracovie – Mocak.

Lien vers un ancien article présentant le Lego Concentration camp de Zbigniew Libera et le Untitled (Arbeit Macht Frei) de Jonathan Horowitz, vus en 2013 au Musée d’Art Moderne de Varsovie.

Shoahland, ou quand il est question de polonophobie

Il faut toujours préciser avec justesse le fond de sa pensée

Mon article, en lien ci-après, Shoahland, quelques remarques sur des inexactitudes et des préjugés, a donné lieu à certains commentaires sur FB, ce dont je me réjouis. Dans l’une de mes réponses, j’ai parlé de polonophobie, ce qui a suscité, je le comprends, la perplexité d’une intervenante.
J’ai rédigé une réponse qui illustre précisément ce que j’entends par l’emploi de ce terme, dans le contexte de l’article initial de Oriane paru sur le site Rootsisrael.com.
En voici le contenu afin que ma pensée reste aussi claire que précise pour le lecteur:
Dans mon article en réaction à celui de Oriane, je ne remets nullement en cause la détestation que des juifs peuvent éprouver à l’encontre des polonais. Je les encourage même à vomir sur des comportements exécrables qui se sont déroulés durant la guerre ou après, et j’irai même leur tenir la bassine, pour parler plus trivialement. C’est vous dire si je suis conscient des nombreux événements qui sont intervenus ici, comme beaucoup de polonais du reste.
Il a fallu du temps, et il en faudra encore, car l’histoire d’après-guerre dans les pays de l’est et la lecture de l’histoire ont été quelque peu interféré par la longue séquence communiste qui a pratiquement modelé nombre de perceptions et compréhensions dans ces populations slaves, et ce, durant 2 générations.

Donc, quand je parle de polonophobie et quand on lit entièrement mon article, on comprend parfaitement l’objet de mes récriminations.
La présentation qu’elle renvoie de son voyage en Pologne a, entre autres, de montrer au monde, de montrer aux juifs, que les polonais d’aujourd’hui (pas des) sont restés aux mieux des gens profondément méprisables au motif qu’ils bafouent la mémoire de la Shoah, au motif qu’ils n’ont que faire de la tragédie des juifs de leur pays, au motif qu’ils continuent à entretenir et opposer un martyr polonais (de la manière dont il était présenté durant le communisme) en voulant occulter le poids de leurs responsabilités passées, au motif qu’ils ignorent ou cherchent à cacher cette présence juive éradiquée.
Pour ce faire elle utilise un artifice fallacieux et malhonnête. Elle assène, parmi ses réactions profondément humaines et émouvantes, une suite de contre-vérités voire de mensonges que je démonte point par point dans mon article, et pas forcément de gaieté de cœur car certainement sa famille, des proches, ont été touchés par la tragédie, mais l’une de ses démarches (l’autre réside dans l’émotion que je partage absolument) dans son compte-rendu est de jeter l’anathème sur une génération de polonais qui œuvrent aujourd’hui, et ce, depuis des années déjà, dans un travail de prise de conscience et d’entretien de la mémoire, d’où cette difficulté pour moi à écrire cet article.

Cette manière de mettre à l’index les polonais d’aujourd’hui, pour des événements dont ils ne sont nullement responsables, d’autant plus au regard de l’important travail déjà réalisé dans la connaissance et l’éducation, même si beaucoup restent encore réticents ou hostiles, pour moi cela s’appelle de la polonophobie, ou tout autre synonyme.

J’ajoute que Oriane appelle à la fin de son article « les juifs et les non-juifs à aller en Pologne ». J’ignore si cet appel concerne aussi à rencontrer les polonais dont je parle, je pense qu’au mieux, elle doit les ignorer. C’est bien dommage parce que eux aussi l’aideraient à «comprendre notre présent, et nous battre pour un avenir meilleur».
Mais bon, si mon article en amène certains à dépasser leurs idées préconçues, à réfléchir et à ouvrir des livres, cela me suffira.

Shoahland, quelques remarques sur des inexactitudes et des préjugés

J’ai été à Shoahland… la mémoire bafouée

Tel est le titre d’un article dernièrement consulté sur le réseau. Il n’est pas dans mon habitude de répondre directement à un article, mais lorsque certaines perceptions entrent frontalement en confrontation avec ce que j’ai pu voir et percevoir sur le terrain, je ne peux que réagir.
Lire la suite…

Mémoire vs marteau, le combat inégal

Destruction d’un mémorial à Rajgród

Rajgród, nord-est de la Pologne, voïvodie de Podlachie.
Le mémorial à la mémoire des juifs de Rajgród a été sévèrement endommagé par des individus qui n’ont à ce jour pas été retrouvés par les services de police de Grajewo. La date exacte du dommage n’a pu être précisée.

Mémorial de Rajgród
Mémorial de Rajgród (Cliquer pour agrandir) – Photo Police de Grajewo

Ce monument se trouve sur le site de l’ancien cimetière juif, sur un terrain aujourd’hui sous l’autorité de l’administration des forêts et non des autorités de la ville de Rajgród. Son isolement a facilité sa dégradation qui a nécessité un certain outillage, un acte donc forcément prémédité de par la structure même du monument et perpétré très certainement à l’aide au moins d’une masse amenée sur place par des individus.
Une entreprise locale de construction a proposé bénévolement de procéder à la réparation du monument, toujours est-il que celle-ci ne pourra restituer dans son originalité la création car les sections formant l’étoile de David ont été réduites en pièces. Les autorités communales ont fait part de leur déception et l’administration des forêts a indiqué qu’elle procéderai à un renforcement des mesures de sécurité. Toujours est-il qu’il est bien difficile de surveiller des sites excentrés en pleine nature, comme souvent cela est le cas avec les cimetières juifs.
Le mémorial lors de son inauguration en septembre 2014
Le mémorial lors de son inauguration en septembre 2014 (Cliquer pour agrandir) – Photo Paweł Wądołowski
De nombreux monuments ont été érigés à travers la Pologne depuis des années afin de perpétuer le souvenir des communautés juives disparues durant l’holocauste. Parfois, ils rappellent dans certains lieux des événements tragiques où l’histoire locale se confond ou prend part avec la tragédie des juifs. Ces actes qui tendent à vouloir effacer de l’histoire locale, à éradiquer la présence juive disparue, témoignent de l’importance de l’enseignement et de l’éducation auprès des nouvelles générations et du public.
J’entends d’ici les protestations véhémentes, à juste titre, de mes compatriotes et d’autres, aussi je leur rappellerai les 200 tombes juives fracassées du cimetière juif alsacien de Sarre-Union, acte intervenu durant une période avoisinante à la destruction décrite dans ces lignes pour ne parler que de cet événement.

ans après la fin de la guerre, le monument avait été inauguré le 18 septembre 2014 et érigé en bordure de l’ancien cimetière juif aujourd’hui disparu; il avait été l’objet d’un long travail concernant sa conception et son financement.
Karen Kaplan, la fille de Awrum Szteinsaper, un juif né à Rajgród et qui avait survécu à la guerre, après avoir perdu ses proches et s’être caché dans les bois, avait eu l’initiative de ce projet avec Avi Tzur et Risa Dunni. C’est après sa visite à Rajgród en 2011 qu’elle avait décidé de s’investir dans la réhabilitation du cimetière juif avec l’édification d’un mémorial.
Le monument avait été réalisé par le sculpteur israélien Chen Winkler, en Israël, et avait été transporté par bateau jusqu’à Gdańsk puis dirigé par camion jusqu’au site. L’opération avait été encadrée et menée par la fondation pour la préservation de l’héritage juif en Pologne (Foundation for the Preservation of Jewish Heritage in Poland – FODZ). Les fonds récoltés pour le financement du mémorial provenaient principalement des descendants de la communauté juive de Rajgród.

Le monument par sa forme rappelle celle des tombes juives. L’étoile de David symbolisée ici par son absence et barrée par une séparation verticale dépeint la rupture de la vie, de la longue présence de la communauté juive qui vivait ici, à la manière des cassures symbolisées par les arbres coupés ou les chandelles de shabbat brisées que l’on retrouve gravés sur les stèles juives.

Le cimetière juif et les synagogues de Rajgród avant la guerre
Le cimetière juif et les synagogues de Rajgród avant la guerre (Cliquer pour agrandir) Carte igrek.amzp.pl

Les premiers juifs se sont établis à Rajgród durant la seconde moitié du XVIème siècle. Au milieu du XIXème siècle, c’était alors un véritable shtetl avec 86% de juifs. Après la première guerre mondiale, la population déclina jusqu’à 745 juifs. Durant la guerre, un ghetto fut établi en 1941. Une centaine de juifs furent tués durant la période du ghetto. Il fut liquidé en 1942 et les juifs déportés vers la ville voisine de Grajewo, de là vers le camp de travail de Bogusz puis vers le camp d’extermination de Treblinka.

Sources : Virtual Shtetl, Samuel Gruber’s Jewish Art & Monuments.

Kazimiera ou la photo de l’enfant meurtrie

Une image, plus que des mots

Parmi les photos les plus emblématiques de la guerre en Pologne, il en est une prise par un photographe américain, Julien Bryan (1899-1974), à Varsovie, au début de la guerre, le 14 septembre 1939.

Cette tragique photo (ci-contre) montre une jeune fille au désespoir devant le corps inanimé d’une autre jeune fille.

Alors qu’il circulait à proximité de la scène située rue Jan Ostroróg, la rue qui longe le cimetière chrétien Powązki côté ouest, mitoyen du cimetière juif de la rue Okopowa, Julien Brian s’arrêta sur le lieu où venait de se passer un drame.
Comme elles manquaient de farine alors que Varsovie était assiégée par les allemands, 7 femmes creusaient dans un champ à la recherche de pommes de terre. C’est alors que 2 avions allemands firent un passage et larguèrent 2 bombes sur une petite maison voisine où les 2 occupantes furent tuées. Les femmes dans le champ se jetèrent à plat ventre pour se protéger puis reprirent leur recherche une fois les avions disparus. Cependant ils revinrent quelques minutes après, mitraillèrent le champ et firent 2 nouvelles victimes. L’une d’elles que l’on aperçoit sur la photo s’appelait Anna Kostewicz. C’est alors que le photographe aperçut la petite sœur de Anna, Kazimiera Kostewicz, âgée de 10 ans s’approcher, s’agenouiller et pleurer près de sa sœur mortellement blessée.

Kazimiera Kostewicz (Mika), septembre 1939 Varsovie (Cliquer pour agrandir) - Photo Julien Bryan
Kazimiera Kostewicz (Mika), septembre 1939 Varsovie (Cliquer pour agrandir) – Photo Julien Bryan

Julien Bryan était reporter et photographe et a témoigné par l’image l’invasion allemande en Pologne en septembre 1939. Il avait à la radio polonaise exhorté le président Franklin Roosevelt à venir en aide aux polonais et l’avait mis en garde contre le risque d’une guerre mondiale. Bryan s’était rendu en train à Varsovie le 4 septembre, 3 jours après l’entrée des allemands en Pologne. Il filma et photographia le siège de Varsovie.
> Voir le film Siege de Julien Bryan

En 1959 il rencontra Kazimiera Mika, alors mariée, âgée de 30 ans et mère de deux enfants. Kazimiera et sa famille l’accueillirent chez elle autour d’un repas. Alors qu’il lui demandait si elle se rappelait tous les événements survenus dans ce champ de pommes de terre ce jour là, elle lui répondit que le jour où elle perdit sa sœur, c’était le jour où elle vit un mort pour la première fois et un étranger pour la première fois.

Le siège de Varsovie. L’Allemagne envahit la Pologne sans déclaration de guerre le 1er septembre 1939. La ville est bombardée le jour même. Les combats pour la défense de la capitale commencent le 8 septembre, les allemands sont arrêtés par la défense polonaise et encerclent la ville. Les combats vont durer 20 jours. Entre-temps le 17 septembre, les russes envahissent à leur tour la partie orientale de la Pologne. Le 25 septembre les allemands lance un grand raid aérien sur la capitale. Le 28 c’est la capitulation et 120 000 prisonniers seront transférés vers des camps de prisonniers de guerre. 15% de la capitale est déjà en ruine.

Julien Bryan
Julien Bryan sur une barricade effectue des prises de vue pour son film Siege. La photo a été prise sur l’actuelle avenue Solidarité, rive gauche, quartier de Praga. A gauche l’hôpital Praski. Au fond Varsovie centre (Cliquer pour agrandir) – Photo IPN / Julien Bryan

Władysław Bartoszewski, témoin de l’histoire

Découverte d’un personnage hors norme

Hier est décédé Władysław Bartoszewski (1922-2015), à l’âge de 93 ans, une grande figure en Pologne, certainement mal connue, peu ou pas assez du grand public, à l’étranger.

Né dans une famille catholique, il entame ses études à Varsovie.
Il prend part à la défense de Varsovie dès le début de la guerre, sera déporté en 1940-1941 à Auschwitz puis libéré suite à l’intervention de la Croix Rouge. Par la suite il entrera en résistance dès 1942 dans l’Armia Krajowa (première armée de résistance en Europe, forte en moyenne de 300 000 résistants) où il transmettra des informations sur le camp de concentration.
Parallèlement, il participe activement à l’action du comité d’aide aux juifs Żegota, mouvement initié au départ par deux polonaises de la résistance; 100 000 juifs purent ainsi être sauvés par l’organisation durant la guerre.

Władysław Bartoszewski
Władysław Bartoszewski – photo Photo M. Kulisiewicz / Muzeum POLIN

Pendant les quatre années de guerre de 41 à 44, il suit aussi des études auprès d’un département de l’université qui mène secrètement ses activités, il s’occupe également de la ligne éditoriale d’un journal engagé pour la renaissance de la Pologne. En 1943, dans le cadre des activité de l’organisation Żegota, il organise l’assistance des insurgés du ghetto. En 1944, il participe à l’insurrection de Varsovie.
Il poursuit après la guerre des activités de résistance et de propagande contre le régime communisme qui se met en place et rejoint le parti d’opposition. Ses idées en opposition frontale avec le communisme en place le mènent en prison pour 8 années sous le prétexte d’espionnage. Libéré en 1954, il se consacre au journalisme.
A l’initiative de l’institut historique juif de Varsovie, il est décoré pour son aide apportée aux juifs une dizaine d’années plus tôt. En 1963 il se rend en Israël puis est honoré du titre de Juste parmi les Nations par Yad Vashem pour ses actions de sauvetages des juifs durant la guerre en 1966.
Au début des années soixante, il voyage en Europe de l’ouest et aux Etats-Unis, il coopère avec Radio Free Europe. Dans les années 1970-1980, il s’engage dans la vie intellectuelle et politique polonaises, et donne de nombreuses conférences à l’université de Varsovie et de Lublin sur des thèmes historiques, notamment la période de la guerre et de l’occupation. Il est également accueilli et honoré par de très nombreuses universités occidentales.
il rejoint le syndicat Solidarność de Lech Wałęsa au début des années 1980, ce qui lui vaudra d’être de nouveau emprisonné suite à la reprise en main du pouvoir par le général Jaruzelski en 1981. Dans les années 1990-2000, il devient ambassadeur en Autriche, puis ministre des affaires étrangères alors qu’il réalise un grand discours au Bundestag lors du cinquantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, puis sénateur au début des années 2000.
Depuis 1990 il était l’un des membres éminents du conseil international du musée d’Auschwitz. Il siège ensuite à l’assemblée. En 2005 il prononce un important discours lors du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz et participe très activement à la réconciliation germano-polonaise et judéo-polonaise.
Il est l’auteur de très nombreux livres et publications, également en langue allemande. Il a été honoré d’une vingtaine de décorations et reconnaissances aussi bien en Pologne qu’à l’étranger.

Władysław Bartoszewski faisait partie des personnalités polonaises qui furent interviewées par Claude Lanzmann dans le cadre de la réalisation de son film Shoah mais dont l’apparition n’a pas été retenue par le réalisateur malgré sa participation personnelle très active dans le comité d’aide aux Juifs Żegota durant la guerre et pendant l’insurrection du ghetto. La forme narrative utilisée par Bartoszewski, ne répondait pas de manière précise à ce que recherchait Lanzmann à travers des témoignages plus vivants pour son film, il la trouvait dit-on ennuyeuse, sur la forme. Cette interview pourtant importante puisqu’elle abordait l’aspect du sauvetage de juifs par des polonais durant la guerre ne fut donc pas retenue, peut être pour certaines autres considérations qui mériteraient aujourd’hui d’être développées (Il en avait été également de même avec l’interview de Tadeusz Pankiewicz, le pharmacien polonais du ghetto de Cracovie, un autre Juste polonais absent du film.)