Sur les traces de Shoah à Grabów

Grabów en région de Łódź (Łódzkie) est une bourgade située à une quinzaine de kilomètres du centre d’extermination de Chełmno.

La synagogue de Grabów
La synagogue de Grabów (Cliquer pour agrandir)

L’ancienne synagogue de Grabów est aujourd’hui située sur un terrain privé et inutilisée. Édifiée durant la seconde moitié du XIXème siècle, elle fut dévastée par les allemands, puis transformée en entrepôt et magasin de meubles après la guerre.
C’est devant la synagogue que Claude Lanzmann, pour son film Shoah, a lu la lettre du rabbin de Grabów, Jakub Schulman, lettre que ce dernier avait envoyé à ses amis de Łódź.
Grabów le 19 janvier 1942
Mes très chers,
Je ne vous ai pas répondu jusqu’ici car je ne savais rien de précis sur tout ce qu’on m’a dit. Hélas, pour notre grand malheur, nous savons déjà tout maintenant. J’ai eu chez moi un témoin oculaire, qui grâce à un hasard, fut sauvé. J’ai tout appris de lui. L’endroit où ils sont exterminés s’appelle Chełmno, près de Dąbie, et on les enterre tous dans la forêt voisine de Ruchów. Les juifs sont tués de deux manières, par les fusillades ou par les gaz. Depuis quelques jours, on a même des milliers de juifs de Łódź et on en fait de même avec eux. Ne pensez pas que tout ceci soit écrit par un homme frappé de la folie, hélas c’est la tragique, l’horrible vérité. Horreur, horreur, homme ôte tes vêtements, couvre ta tête de cendres, cours dans les rues et danse, pris de folie. Je suis tellement las que ma plume ne peut plus écrire, créateur de l’univers, viens-nous en aide.

Découvrir l’ancien Le shtetl de Grabów, la synagogue et le cimetière juif.

Władysław Bartoszewski, témoin de l’histoire

Découverte d’un personnage hors norme

Hier est décédé Władysław Bartoszewski (1922-2015), à l’âge de 93 ans, une grande figure en Pologne, certainement mal connue, peu ou pas assez du grand public, à l’étranger.

Né dans une famille catholique, il entame ses études à Varsovie.
Il prend part à la défense de Varsovie dès le début de la guerre, sera déporté en 1940-1941 à Auschwitz puis libéré suite à l’intervention de la Croix Rouge. Par la suite il entrera en résistance dès 1942 dans l’Armia Krajowa (première armée de résistance en Europe, forte en moyenne de 300 000 résistants) où il transmettra des informations sur le camp de concentration.
Parallèlement, il participe activement à l’action du comité d’aide aux juifs Żegota, mouvement initié au départ par deux polonaises de la résistance; 100 000 juifs purent ainsi être sauvés par l’organisation durant la guerre.

Władysław Bartoszewski
Władysław Bartoszewski – photo Photo M. Kulisiewicz / Muzeum POLIN

Pendant les quatre années de guerre de 41 à 44, il suit aussi des études auprès d’un département de l’université qui mène secrètement ses activités, il s’occupe également de la ligne éditoriale d’un journal engagé pour la renaissance de la Pologne. En 1943, dans le cadre des activité de l’organisation Żegota, il organise l’assistance des insurgés du ghetto. En 1944, il participe à l’insurrection de Varsovie.
Il poursuit après la guerre des activités de résistance et de propagande contre le régime communisme qui se met en place et rejoint le parti d’opposition. Ses idées en opposition frontale avec le communisme en place le mènent en prison pour 8 années sous le prétexte d’espionnage. Libéré en 1954, il se consacre au journalisme.
A l’initiative de l’institut historique juif de Varsovie, il est décoré pour son aide apportée aux juifs une dizaine d’années plus tôt. En 1963 il se rend en Israël puis est honoré du titre de Juste parmi les Nations par Yad Vashem pour ses actions de sauvetages des juifs durant la guerre en 1966.
Au début des années soixante, il voyage en Europe de l’ouest et aux Etats-Unis, il coopère avec Radio Free Europe. Dans les années 1970-1980, il s’engage dans la vie intellectuelle et politique polonaises, et donne de nombreuses conférences à l’université de Varsovie et de Lublin sur des thèmes historiques, notamment la période de la guerre et de l’occupation. Il est également accueilli et honoré par de très nombreuses universités occidentales.
il rejoint le syndicat Solidarność de Lech Wałęsa au début des années 1980, ce qui lui vaudra d’être de nouveau emprisonné suite à la reprise en main du pouvoir par le général Jaruzelski en 1981. Dans les années 1990-2000, il devient ambassadeur en Autriche, puis ministre des affaires étrangères alors qu’il réalise un grand discours au Bundestag lors du cinquantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, puis sénateur au début des années 2000.
Depuis 1990 il était l’un des membres éminents du conseil international du musée d’Auschwitz. Il siège ensuite à l’assemblée. En 2005 il prononce un important discours lors du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz et participe très activement à la réconciliation germano-polonaise et judéo-polonaise.
Il est l’auteur de très nombreux livres et publications, également en langue allemande. Il a été honoré d’une vingtaine de décorations et reconnaissances aussi bien en Pologne qu’à l’étranger.

Władysław Bartoszewski faisait partie des personnalités polonaises qui furent interviewées par Claude Lanzmann dans le cadre de la réalisation de son film Shoah mais dont l’apparition n’a pas été retenue par le réalisateur malgré sa participation personnelle très active dans le comité d’aide aux Juifs Żegota durant la guerre et pendant l’insurrection du ghetto. La forme narrative utilisée par Bartoszewski, ne répondait pas de manière précise à ce que recherchait Lanzmann à travers des témoignages plus vivants pour son film, il la trouvait dit-on ennuyeuse, sur la forme. Cette interview pourtant importante puisqu’elle abordait l’aspect du sauvetage de juifs par des polonais durant la guerre ne fut donc pas retenue, peut être pour certaines autres considérations qui mériteraient aujourd’hui d’être développées (Il en avait été également de même avec l’interview de Tadeusz Pankiewicz, le pharmacien polonais du ghetto de Cracovie, un autre Juste polonais absent du film.)

L’ancien Shtetl de Grabów, la synagogue et le cimetière juif

Grabów est une bourgade très ancienne puisque sa première mention a été faite en 1232 mais c’est au cours du XIVème siècle que le village se développa et devint une petite ville.
Elle acquit le droit d’organiser 3 foires par an vers le milieu du XVIème siècle. Cependant vers la fin du XVIIIème siècle, le développement de la ville déclina et elle redevint un village.

La première présence de juifs à Grabów est relativement ancienne puisqu’elle remonte à 1764.
» Lire la suite… Le Shtetl de Grabów

Huitième édition du festival international « Motifs juifs »

Samuel Willenberg, l’un des deux derniers de Treblinka

Dans le cadre du 8ème festival international cinématographique «Motifs juifs» qui s’est tenu à Varsovie du 25 au 29 mai 2012 au cinéma Muranów (situé dans le quartier où se trouvait le grand ghetto) à l’occasion duquel une trentaine de films et documentaires ont été présentés, on a pu assister à la projection du documentaire Just the two of us (juste les deux derniers d’entre-nous, Tylko nas dwóch) réalisé par Tzipi Baider. Ce film émouvant présente les deux derniers rescapés encore en vie du camp d’extermination de Treblinka, Samuel Willenberg (sur la photo) et Kalman Taigman.

Samuel Willenberg et Tzipi Baider (droite)
Samuel Willenberg et Tzipi Baider (droite)
© shabbat-goy.com

Samuel Willenberg est un sculpteur et peintre israélien né en 1923 à Częstochowa, Pologne, d’un père professeur d’art dans une école juive et d’une mère orthodoxe russe convertie au judaïsme.
En 1939, alors âgé de 16 ans, il est sérieusement blessé dans les environs de Chełm lors d’un engagement contre l’Armée Rouge. Par la suite, sa famille s’installe à Varsovie en 1942 puis Samuel rejoint Opatów où il se retrouve enfermé dans le ghetto. En octobre 1942, il est déporté vers le camp d’extermination de Treblinka.
Après avoir déclaré travailler comme maçon, il échappe miraculeusement à l’extermination de tout le convoi et est dirigé vers le Sonderkommando. Il se retrouve à travailler aux tri des affaires et des biens des victimes assassinés et un jour il reconnait parmi les vêtements ceux de ses 2 sœurs disparues à Treblinka.
Une de ses fonctions consistait également à la coupe des cheveux des femmes, tache dramatique puisqu’elle se déroulait dans la chambre à gaz juste avant la dernière étape. De cette terrible expérience, il en gardera le souvenir indélébile d’une jeune femme, Ruth Dorfman dont l’image reviendra souvent hanter sa mémoire, image qu’il retranscrira à travers ses créations futures.
Le 2 août 1943, il s’évade lors de la révolte du camp de Treblinka, et réussi à s’échapper malgré une blessure par balle à la jambe. Il rejoint la capitale polonaise où il se cache puis il participe à l’insurrection de Varsovie en 1944 en combattant au sein du bataillon Ruczaj de l’Armia Krajowa. Il continua ensuite le combat avec les partisans.
Après la guerre, il s’installe en Israël et exerce une carrière d’ingénieur dans la construction.
L’âge de la retraite venu, il se dirige vers une activité artistique et suit des cours aux Beaux-Arts et à l’université de Jérusalem où il étudie la sculpture. Son travail s’articule essentiellement sur le thème de la Shoah et ses travaux sont vite reconnus.
Ses œuvres sont exposées à Varsovie en 2003 puis à Częstochowa en 2004. Samuel est le créateur du monument inauguré en 2009 à Częstochowa à la mémoire des victimes du ghetto.
Depuis 1983, il accompagne des groupes de jeunes israéliens en visite en Pologne.
En 1994, il reçoit de nouveau la nationalité polonaise.

Le camp d'extermination de Treblinka < br /> shabbat-goy.com
Le camp d'extermination de Treblinka
© shabbat-goy.com

Le documentaire Just the two of us a été réalisé par la Tzipi Baider en 2011 et met en scène Samuel Willenberg et Kalman Taigman qui revient en Pologne pour la première fois depuis la guerre. Le film retrace ce parcours vers Treblinka depuis Tel Aviv jusqu’à Varsovie puis dans cette forêt du nord est de la Pologne, en passant par le camp de Majdanek.
Avec les mots qui illustrent les souvenirs difficiles et les réparties autant comiques qu’ironiques de son compagnon de voyage Kalman, les 2 rescapés entament sur ce qui était le quai de transbordement du camp, dernière étape de la tragédie, cette fameuse et terrible chanson de Treblinka que les juifs prisonniers devaient apprendre, celle-la même que l’ancien officier SS Unterscharführer Franz Suchomel entonna devant Claude Lanzmann lors du tournage du film Shoah, et qu’il conclut en s’exclamant : «Vous êtes content ? C’est un original. Plus un seul juif ne connait ça…»

La chanson de Treblinka:
Le pas ferme, le regard sur le monde,
droit et loin,
les commandos marchent au travail.
Pour nous il n’y a plus aujourd’hui que Treblinka
qui est notre destin.
Nous avons assimilé Treblinka
en un clin d’œil.
Nous ne connaissons que la parole du commandant,
et seulement l’obéissance et le devoir,
nous voulons servir, servir encore,
jusqu’à ce que le petit bonheur, un jour,
nous fasse signe. Hourra !

Le documentaire se termine sur cette simple phrase de Samuel :
«Dieu n’était pas à Treblinka. Il devait être en vacances»…

Samuel Willenberg était l’un des 68 membres recensés du Sonderkommando de Treblinka, il portait le matricule 937. A ce jour, il est l’un des 2 derniers survivants du camp d’extermination de Treblinka. Il est l’auteur du livre Révolte à Treblinka.
Le camp d’extermination de Treblinka sur Shabbat Goy.

8ème Festival international du film juif
8ème Festival international du film juif - © shabbat-goy.com